Le Kunstmuseum montre la lecture selon Albert Anker

Le Kunstmuseum présente la lecture selon Albert Anker

Publié aujourd’hui à 14h06

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Je lis, tu lis, elle lit. Ah, c’est déjà mieux ! Il y a maintenant le pronom « elle ». Le pluriel a encore plus d’effet. Les « Elles » donnent ainsi au visiteur une idée de sororité, mot devenu à la mode après l’échec du mot particulièrement galvaudé de fraternité. La nouvelle exposition du Kunstmuseum Bern, dirigée par Nina Zimmer, s’intitule donc « Lesende Mädchen ». « Les femmes qui lisent sont dangereuses », nous dit depuis quelques temps Laure Adler. A noter qu’il y a peu de chance que ceux-ci soient gras. L’exposition est en effet dédiée à Albert Anker (1831-1910), dont les tableaux représentant des enfants peuvent également être vus par le public à la Fondation Gianadda de Martigny jusqu’au 30 juin. On ne peut pas dire que l’artiste ait cédé au progressisme le plus débridé. Au contraire, il glorifiait la campagne éternelle dans une Suisse en voie d’industrialisation. D’où un gros succès de nostalgie qui ne s’use pas au fil des décennies. Je tiens également à vous signaler que le Centre Albert Anker a ouvert ses portes le 7 juin dernier dans son village d’Anet, ou Ins en allemand (site https://centrealbertanker.ch).

Éducation des filles

A Berne, des peintures et quelques œuvres sur papier ont été regroupées montrant l’éducation des filles. Un problème constant dans l’Ouest depuis « L’École des femmes » et « Les femmes savantes » de Molière au XVIIe siècle. Les membres de ce que Simone de Beauvoir appellera bien plus tard « Le Deuxième Sexe » doivent-ils ou non être éduqués ? Nous savons que la réponse est « oui » en terres protestantes. Chacun, et donc chacun, doit ici se montrer capable de lire la Bible. Un livre où se produisent des choses qui ne sont pas du tout appropriées dans l’Ancien Testament. Inceste, viol, sodomie, meurtre fraternel, etc. D’où une obligation d’envoyer tout le monde à l’école, avec apparemment une certaine efficacité. Dès la fin du XVIIIe siècle, pratiquement toute la population genevoise savait lire couramment, ce qui surprenait à l’époque les touristes anglais ou russes. Que des petites Bernoises soient alphabétisées cent ans plus tard n’est donc pas surprenant.

Albert Anker a peint beaucoup d’enfants et de personnes âgées. Ce qui manque chez lui, c’est la tranche d’âge au travail. Sous son pinceau, les demoiselles se montrent toujours actives. Une question de moralité. L’oisiveté favorise le vice. La plupart d’entre elles tricotent, généralement vues de profil avec leurs tresses blondes. Ou bien elles prennent soin de leur jeune frère en tant que futures mères. Il existe donc aussi des liseuses, mais du genre studieux. Rien à voir avec celui de Fragonard, qu’on imagine se gaver de romans farfelus. Quelques grands tableaux se trouvent à l’école. Au premier plan de l’une d’elles, une jeune personne s’essuie les yeux avec son tablier. Une écolière serre ses livres un peu plus loin dans la neige. Une autre écrit sur son ardoise, ce qui se faisait encore dans ma jeunesse. Il y a enfin la journée d’examen, avec des jurés qu’on imagine exigeants mais justes. Nous sommes ici dans un monde démodé, qui devait déjà paraître tel vers 1900.

Le livre et les tresses. Quelles sages occupations !

Mais est-ce vraiment une exposition ? Après une première chambre aux murs vert émeraude, j’ai eu un sentiment de doute. Ne faut-il pas y voir plus simplement une présentation temporaire des fonds du musée, très riche en peintures suisses du XIXe siècle ? J’ai ensuite vu, au premier étage de l’ancien bâtiment (contemporain d’Albert Anker en fait), des œuvres d’autres artistes de toutes sortes. Aux murs se trouvent Benjamin Vautier (un lointain ancêtre de Ben qui vient de mourir), Karl Stauffer-Bern, Cuno Amiet, Viktor Surbek et bien sûr de nombreuses femmes artistes récemment mises en valeur par le Kunstmuseum. Je citerai donc Martha Stettler, Anne Elisabeth von Erlach, Clara von Rappard, Annie Stebler Hopf ou encore Élisabeth Vigée Le Brun. Le parcours couvre en fait tout le XIXe siècle, et il ne faut pas oublier que l’illustre portraitiste parisien a immortalisé le jet de pierre d’Unspunnen dès 1808.

Les femmes lues aussi par Félix Vallotton.

Tout cela est agréable à regarder, même si le mot « exposition » est, à mon avis, exagéré. La présentation reste malheureusement un peu triste. Il y a toujours un problème avec la mise en scène au Kunstmuseum de Berne. Il y a là des tableaux que je n’ai jamais vus. Les réserves de l’institution me semblent aussi pleines que les nappes phréatiques de notre été pluvieux. Le tout constitue aussi un antidote paisible à la rétrospective consacrée par l’institution à la Sud-Africaine Tracey Rose, visible jusqu’au 11 août. Les visiteurs de l’institution se retrouvent face à un féminisme décolonial plus choquant que chic. Boom! C’est l’esthétique de la truelle. Il lui faut tout pour créer un tiers monde, surtout s’il veut continuer à relever la tête.

Pratique

« Lesende Mädchen », Kunstmuseum, 8-12, Hodlerstrasse, Berne, jusqu’au 21 juillet. 031 328 09 44, site Internet https://kunstmuseumbern.ch Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 17h, le mardi jusqu’à 21h

Elisabeth Louise Vigée-Le Brun a créé le lancer de pierre Unspinnen en 1808.
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Né en 1948, Étienne Dumont étudié à Genève qui lui furent de peu d’utilité. Latin, grec, droit. Avocat raté, il se tourne vers le journalisme. Le plus souvent dans les sections culturelles, il travaille de mars 1974 à mai 2013 à la Tribune de Genève, commençant par parler de cinéma. Viennent ensuite les beaux-arts et les livres. A part ça, comme vous pouvez le constater, rien à signaler.Plus d’informations

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