Paris, 22 avril 1832. Au passage du char funéraire tiré par quatre chevaux, un officier en uniforme s’enquiert du nom de celui qu’on inhume : « – It’s Mr. Lethière. – Mr. Thiers? – No, Mr. Lethière. – M. de Thiais? – Non, je vous le dis, Monsieur Lethière, artiste célèbre, ancien directeur de l’École de Rome, membre de l’Institut. – Ah ! Je pensais que c’était un personnage ! » However, Guillaume Guillon Lethière (1768-1832) had been “un personnage”. Mais après une carrière qui lui avait valu gloire et honneurs, il était tombé dans l’oubli. Alors qu’il était vivant !
Un fils d’esclave
Son histoire est édifiante. Né le 10 janvier 1760 à Sainte-Anne, sur l’île de la Grande-Terre, en Guadeloupe devenue colonie française au XVIIe siècle.e siècle, Guillaume est le troisième enfant de Pierre Guillon, planteur et procureur du roi, et de Marie-Françoise Pepeye, esclave « race mixte » Publié à une date incertaine. Était-elle encore esclave en 1760 ? Dans ce cas, Guillaume lui-même serait né esclave, comme l’exige le Code Noir. Nommé “le Troisième”dans lequel l’orthographe de l’époque retranscrivait Le Thiers ou Lethièrece troisième enfant n’acquit son nom de famille qu’en 1799, cinq ans après l’abolition de l’esclavage dans l’île, son père l’ayant officiellement reconnu et désigné comme héritier.
Julien Léopold Boilly, Guillaume Guillon Lethière, membre de la Légion d’honneur1822, lithographie, détail, Paris, ENSB-A. ©Photo RMN-GP.
Un rival de David
En 1774, M. Guillon, visiblement soucieux d’encourager ses dons pour le dessin, emmène Guillaume en France. Inscrit aux cours de l’École de dessin de Rouen, le garçon remporte plusieurs prix pour ses académies. Ces succès le conduisent à Paris et lui ouvrent les portes de la prestigieuse Académie Royale de Peinture. Dans l’atelier du peintre Doyen, il est le camarade de classe de Jacques-Louis David, bientôt son rival. Après plusieurs tentatives, il obtient le Prix de Rome en 1786. Pensionnaire de l’Académie française de Rome jusqu’en 1791, il se consacre à l’étude de l’architecture antique et des œuvres de la Renaissance italienne et dessine dans la campagne romaine. Il conçoit un projet ambitieux de quatre grands tableaux inspirés de l’histoire romaine. Préparé par de nombreux dessins et croquis, Brutus condamnant ses fils à mort (première version, Clark Art Institute) et La mort de Virginie (1828) comptera parmi ses compositions les plus célèbres.
Guillaume Guillon Lethière, La mort de Virginie1828, huile sur toile, 458 x 778 cm, Paris, musée du Louvre. ©Photo de presseRMN.
Lethière partage les idéaux de la Révolution. LE « exemples de vertu » (exemples de courage) Les Romains exaltent le patriotisme et la bravoure. Ils se drapent des atours du néoclassicisme, dont Lethière se révèle, avec David, l’un des représentants les plus célèbres. A son retour à Paris en 1792, ses soumissions de tableaux historiques et de portraits au Salon furent accueillies favorablement. Sa carrière décolle sous le Directoire. Artiste de renom, il ouvre un atelier rue Childebert, près de Saint-Germain-des-Prés. Lethière accueille chez lui la communauté caribéenne de Paris où il compte de nombreux amis, comme le chevalier de Saint-Georges et le général Dumas, père de l’auteur de Trois mousquetaires. Comme eux, c’est un escrimeur remarquable. A « la Childebert »nous croisons le fer. À tel point que Lethière va devoir s’exiler en Allemagne après avoir tué un adversaire…
Guillaume Guillon Lethière, Le serment des ancêtres1822, huile sur toile, 400 x 300 cm, détail, Haïti, Port-au-Prince, musée national. ©Photo RMN-GP.
Un parent des Bonaparte
En 1800, il suit Lucien Bonaparte, frère de Napoléon, dans son ambassade en Espagne. Il le conseille et l’assiste dans la constitution de sa collection de peintures espagnoles. Ce lien avec la famille Bonaparte eut d’heureuses répercussions sous l’Empire en termes de commandes officielles, Paix de Leoben (1805) au Portrait de l’Impératrice Joséphine (1807). Lorsque l’esclavage fut rétabli dans les colonies, Lethière se rangea naturellement du côté des abolitionnistes. Son engagement se manifestera publiquement dans la grande composition Le serment des ancêtres, célébrant l’indépendance d’Haïti. Fièrement signé Guillon Lethière « né en Guadeloupe en 1760 »elle fut offerte par l’artiste à la nation haïtienne en 1822 et placée dans la cathédrale de Port-au-Prince. Aujourd’hui conservé au Musée du Panthéon national haïtien, le tableau revient exceptionnellement à Paris pour l’exposition du Louvre.
Guillaume Guillon Lethière, Jeune femme s’appuyant sur un portefeuillev.1709, huile sur toile, 63,5 x 56,4 cm, Worcester Art Museum. ©Bridgeman Images photo de presse.
En 1807, le peintre est nommé directeur de l’Académie française de Rome, qui vient de quitter le palais Mancini pour la Villa Médicis. Il restaure l’institution, son palais et ses jardins. Un résident promis à un brillant avenir dessine au crayon le portrait de Lethière et de sa famille. Il s’appelle Ingres. À Rome, Lethière interprète trois de ses compositions les plus ambitieuses, Homère chantant son Iliade aux portes d’Athènes, Le jugement de Pâris et Brutus condamnant ses fils à mort (grande version du Louvre). Élu en 1816 à l’Académie des Beaux-Arts, Lethière, compromis par ses liens avec l’Empire, dut attendre deux ans pour que Louis XVIII ratifie son élection. Chevalier de la Légion d’honneur en 1818, il est nommé professeur à l’École des Beaux-Arts l’année suivante. Mais au Salon de 1831, sa gigantesque reprise de La mort de Virginie est accueilli avec indifférence. Les héros sont fatigués et la vertu ancienne ne paie plus !
Guillaume Guillon Lethière, Homer chantant son Iliade aux portes d’Athènes1811, huile sur toile, 48 x 72 cm, détail, Nottingham City Museums & Galleries. ©Bridgeman Images photo de presse.
“Guillon-Lethière, born in Guadeloupe”
Musée du Louvre, 75001 Paris
du 13 novembre au 15 février
Guillaume Guillon Lethière – conference at Artchipel – Guadeloupe October 25, 2018