Présent à plusieurs meetings de Donald Trump, Elon Musk n’était pas sur scène lors du premier discours du nouveau président élu depuis son QG en Floride. Mais le milliardaire républicain n’a pas manqué de saluer celui qu’il a qualifié de «mec incroyable» : «Nous avons une nouvelle star, une star est née… Elon ! C’est un gars incroyable.»
Quatre minutes d’éloge durant lesquelles Donald Trump a notamment salué la réussite du patron de Space X capable de poser ses fusées : «La Russie peut-elle le faire ? Non, la Chine ? Non. N’importe qui d’autre aux États-Unis peut-il faire cela ? Non, personne d’autre ne peut faire ça et c’est pourquoi je t’aime Elon ! “
“Un génie» selon Donald Trump qui s’est révélé être un véritable colistier. En plus des plus de 110 millions de dollars investis sur sa fortune personnelle, Elon Musk a « Trumpisé » son réseau social une loterie pro-Trump très controversée.
Les messages de celui qui compte 203,4 millions d’abonnés sur son compte X concernant les élections ont été vus plus de 1,2 milliard de fois ! Et un tiers des messages postés entre mai et septembre contenaient de fausses informations selon une enquête du Wall Street Journal.
Depuis qu’il a racheté l’ancien Twitter, celui qui se présente à plusieurs reprises comme un fervent défenseur de la liberté d’expression a quasiment interdit la modération et une modification des algorithmes a permis une profusion de contenus pro-Trump. Le patron de Tesla doit désormais hériter d’un audit du gouvernement fédéral en vue de réformes draconiennes.
Politologue, spécialiste des enjeux politiques et géopolitiques de la Tech, Asthme Malla répondu à nos questions à ce sujet.
Dans quelle mesure Elon Musk comptait-il pour Donald Trump ?
Elon Musk a été absolument central depuis cet été, depuis le 13 juillet 2024 et la tentative d’assassinat de Donald Trump. Elon Musk s’est alors vraiment mis en avant. Et il a adopté une posture, un rôle presque de colistier, plus que James David Vance.
Au printemps, il avait déjà lancé le super PAC, un fonds d’aide, de financement et de logistique avec les équipes de campagne de Donald Trump pour l’aider à battre le terrain. Avec également la capture de données et le micro-ciblage qui ont également donné lieu à des débuts d’enquête, enquêtes de la part de quelques Etats par rapport à la collecte de ces données par exemple.
Ensuite, il y a eu évidemment le rôle des news, des deep fakes, des théories et des stratégies pour déstabiliser le camp démocrate avec une sur-visibilité des propos pro-Trump et une sous-visibilité des comptes, commentaires ou relais en faveur de Kamala Harris. Cela a été extrêmement significatif tout au long de la campagne.
Et puis il s’est finalement rendu, littéralement, physiquement, en Pennsylvanie pour mener la campagne sur le terrain dans une forme totalement baroque et réinventée de ce que l’on appelle aux États-Unis « l’organisation communautaire ». C’est vraiment le réseau de territoire pour créer un mouvement pro-Trump.
Est-il finalement devenu une sorte de vice-président du numérique sur cette campagne ?
Bien plus que pour le numérique. Le numérique est aujourd’hui un mot très dépassé. Qui est Elon Musk ? C’est un acteur absolument hybride. C’est un entrepreneur technologique, mais c’est aussi un acteur géopolitique, un acteur militaire, un acteur idéologique et qui peut aussi avoir son propre agenda. Et donc le coup de l’alliance Trump-Musc est un coup à plusieurs bandes et qu’il faut comprendre dans cette complexité.
C’est aussi la reconquête de l’espace, un Etat fédéral très libertaire, de droite voire d’extrême droite.
L’agenda idéologique et politique derrière ce couple doit donc être regardé avec beaucoup de questions, avec quelque chose d’assez nouveau et de vertigineux, vraiment.
Vous insistez donc sur son influence multiple.
Les contrats des dix dernières années d’Elon Musk et du gouvernement fédéral et des agences fédérales américaines représentent plus de 15 milliards de dollars, notamment avec le Pentagone et la NASA. Il faut donc comprendre qu’Elon Musk n’est pas ce clown ou juste quelqu’un de fou ou de dangereux. Elle est aujourd’hui devenue un goulot d’étranglement géostratégique et l’un des acteurs clés de la puissance américaine. Ce qui suscite d’énormes inquiétudes quant à la future politique étrangère de Trump avec Musk à ses côtés, notamment sur la question chinoise. Car la Chine est aujourd’hui le deuxième marché de Tesla pour Elon Musk. Et cela fait à la fois partie de cette rivalité géostratégique, mais aussi de cette obsession américaine de préserver sa puissance. Il sera très intéressant de voir comment ce couple va construire et raconter la nouvelle histoire de la puissance américaine. Et ce qui est très intéressant, c’est que Musk apporte à Trump cette image, ce symbole de puissance technologique sous stéroïdes, avec la conquête de l’espace. Dans son discours de ce matin, Donald Trump a rendu hommage à Elon Musk et à sa fusée.
Une forme de rétrofuturisme se joue sur un néoconservatisme ultra réactionnaire et en même temps une projection technologique futuriste.
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Pour rester dans la sphère d’influence, du moins sur les réseaux sociaux, les fake news sont omniprésentes sur le compte X d’Elon Musk. Et d’ailleurs, aujourd’hui, les médias américains commentent cette fake news. Ils se propagent donc bien au-delà de ce réseau social.
Il y a bien eu une remise à zéro algorithmique, avec des instructions d’Elon Musk pour que ses comptes et ses contenus soient survisités. Vous ne pouvez pas entrer dans X aujourd’hui sans tomber sur les tweets d’Elon Musk.
Au-delà de cela, il faut noter les récentes révélations du Wall Street Journal sur les liens entre Poutine et le Kremlin plus généralement, et Elon Musk. On pourrait donc aussi se poser la question de la convergence entre désinformation, fake news et post-vérité domestique mais augmentée, optimisée par des stratégies d’influence, d’ingérence, de lutte informationnelle venues de Russie.
Et enfin, les grands médias, la presse écrite reprenant la rhétorique, les tweets d’Elon Musk la donnent et l’amplifient, blanchissent d’une certaine manière la propre force de frappe de celui qui compte plus de 200 millions de followers. Se pose donc aussi la question du système d’amplification qui s’inscrit dans un continuum avec des médias plus conventionnels.
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Autre nouveauté de cette campagne, l’intelligence artificielle qui a été extrêmement présente.
Oui, c’était très présent, d’abord dans la rhétorique, dans la stratégie de pouvoir. Ensuite l’IA, en tant que telle, sur la gouvernance, il sera très intéressant de voir quelle sera désormais la posture d’un Donald Trump qui n’est pas tout à fait en phase avec JD Vance, qui lui-même n’est pas forcément en phase avec Elon Musk. Il faudra voir comment ils géreront le problème hautement géopolitique de la gouvernance mondiale de l’intelligence artificielle qui s’inscrit dans la rivalité géostratégique avec la Chine.
Ensuite, en ce qui concerne l’IA générative à proprement parler, il s’agissait évidemment d’un générateur, d’un amplificateur de deep fakes, notamment contre le camp démocrate et contre Kamala Harris en particulier, repris par Elon Musk et dans des proportions extraordinaires. Puis surtout, Donald Trump avait aussi préparé le terrain à une éventuelle défaite en utilisant l’argument de l’intelligence artificielle pour dire que si jamais ils perdaient l’attention, c’était peut-être des astuces de l’intelligence artificielle pour déjà préparer un climat quasi insurrectionnel. Il a également compris l’ambiguïté et la dualité de cette technologie.
Et quand Elon Musk poste ce mercredi « Vous êtes les médias maintenant »« vous êtes désormais les médias » sur X, ça veut dire quoi ?
C’est très intéressant car Elon Musk, depuis son rachat de X-Twitter en 2022, a toujours eu cette vision, au-delà de la question du modèle économique, de : « Je suis un acteur antisystème pratiquement anarchiste ». Il en veut aux grands médias, au même titre que Trump et ils sont très d’accord sur ce point. L’idée de Musk était donc de s’attaquer aux grands médias, aux chaînes d’information, mais aussi à la presse écrite contre laquelle il a une réelle rancune. Et il s’est radicalisé littéralement sous nos yeux sur cette question.
Alors, quand il dit « Vous êtes les médias désormais », il dit qu’en gros, nous avons gagné. En fin de compte, c’est : « Le pouvoir au peuple ». Il s’agit d’un tweet extrêmement populiste au vrai sens du terme, au pouvoir du peuple, quel que soit le danger de ce courant idéologique.
Et devrait-il avoir une place importante auprès du nouveau président Trump ?
Il l’aura de toute façon. Et de toute façon, même si Harris avait gagné, Musk serait resté un acteur stratégique fondamental, compte tenu des liens qui l’unissent aujourd’hui à l’État américain. Mais il est vrai que la victoire de Donald Trump lui donnera une place, une prépondérance extrêmement importante, et qu’il faudra le suivre de bien plus près, bien au-delà de l’entrepreneur technologique qu’il n’est plus depuis longtemps. Il a dépassé cette simple case pour devenir un acteur, disons systémique, mais véritablement leader.