Au cœur de la Transylvanie, à plus de cinq heures de route de Bucarest, l’automne éclate de couleurs vives : vert, rouge, jaune, marron. Ici plus qu’ailleurs, chaque feuille semble marquer la saison sur les arbres roumains. À cette vision multicolore s’ajoute l’odeur humide de la terre et de la végétation changeante. Mais si l’odeur des plaines de Cincu aspire à la paix, l’odeur soudaine de la poudre et le bruit des canons nous rappellent que la Roumanie se prépare à l’éventualité d’une guerre.
« De nombreux Roumains craignent encore que le conflit ukrainien ne se propage à nous »raconte au JDD Adrian Popa, journaliste local. Alors que Bucarest partage une frontière avec l’Ukraine au nord, l’homme d’une quarantaine d’années avoue se sentir « plus en sécurité avec autant de soldats étrangers » présent en Roumanie.
Ce mercredi 30 octobre, à proximité de cette ville de 1 500 habitants, la France et l’Otan ont mobilisé d’importants moyens pour simuler une riposte à une attaque venant du nord. Baptisé Dacian Fall, cet exercice est l’un des plus importants organisés sur le sol roumain depuis le début de l’agression russe. L’objectif : repousser un attaquant en trois étapes bien distinctes. « On commence par une phase de renseignement, pour localiser l’adversaire, suivie d’un appui feu par l’artillerie et les moyens aériens, puis on déploie enfin des troupes au sol »détaille le colonel Jean Michelin.
Neuf pays mobilisés
Pour accomplir cette mission, neuf nationalités ont rassemblé un arsenal important. L’Espagne et la Roumanie ont mobilisé quatre chasseurs F-16 ainsi que plusieurs hélicoptères, et les États-Unis ont, de leur côté, engagé un avion à pales. La France déploie quatre chars Leclerc, tandis que le Portugal, la Belgique, le Luxembourg, la Pologne et la Macédoine du Nord fournissent divers véhicules blindés. « Dans ce type d’exercice, la barrière de la langue est un défi : nous devons tous parler un anglais opérationnel, très différent de l’anglais de tous les jours. » explique le colonel Michelin, responsable des 1 500 militaires, dont 700 Français, qui composent le bataillon multinational présent à Cincu depuis 2022.
Tandis que l’OTAN renforce ses forces en Europe de l’Est au rythme des tirs, le colonel Michelin poursuit : « Entre pays, il y a des procédures à unifier, notamment au niveau des commandes, et aussi un défi technique. Nos radios et nos systèmes de communication avec lesquels nous communiquons, comme les demandes de tirs, doivent être compatibles. » Un détail à peaufiner, car il arrive encore que des militaires se mélangent dans les véhicules, radio à la main, pour assurer une transmission optimale entre les nations. “C’est normal, on monte en puissance”tempère un officier entre deux coups de feu.
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Depuis le 28 février 2022, dans le cadre de la mission Aigle, la France a donc déployé en Roumanie un bataillon d’alerte de la force de réaction rapide de l’Otan, devenue multinationale depuis le 1er mai 2022 afin d’éviter une extension de la guerre. Aux côtés de Bucarest, de la Belgique, du Luxembourg et de l’Espagne, Paris joue le rôle de nation-cadre. Dans cette fonction, la responsabilité française est « pour regrouper les autres nations » souligne le général Loïc Girard, commandant adjoint de la division multinationale sud-est de l’Otan. « Notre armée apprend beaucoup de l’expérience opérationnelle française » se réjouit le colonel roumain Balica, non loin d’un canon César.
Les drones inquiètent la population
Sur les hauteurs de Cincu, une légère brume s’installe, enveloppant les échanges de tirs de tous calibres pendant près d’une heure. Si la chute de Dacian est une réussite, une réalité importante des combats ukrainiens n’a pas été intégrée : les attaques de drones. Depuis le début de la guerre, ces appareils ont prouvé leur efficacité, transformant le plus simple avion en une arme redoutable du 21ème siècle.
« Les attaques de drones inquiètent la population. La Roumanie n’est pas préparée à cette menace.»déplore Adrian Popa. Face à cette crainte, le colonel Michelin précise que les unités ont “moyens anti-drones”tout en précisant qu’il s’agit d’un « augmentation de la capacité ». Quant à l’absence de simulation d’attaque dans cet exercice, il explique que celle-ci n’a pas pu être incluse. “pour des raisons réglementaires, car nous aurions dû détruire un de nos propres drones et assumer les dégâts.”
Au printemps prochain, Cincu accueillera un nouvel exercice, Spring Fall, avec près de 5 000 soldats déployés. Un exercice XXL, et peut-être l’opportunité d’intégrer une composante drone offensif ?