La France est-elle sur la voie de « mexicanisation » ? C’est en tout cas ce que craint le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau après les multiples fusillades qui ont éclaté dans le pays début novembre, notamment à Poitiers (Vienne), où un adolescent de 15 ans a été tué par balle. , et à Valence (Drôme), où un jeune homme tout juste majeur a subi le même sort. Toujours avec le même décor : trafic de drogue.
En 2023, les homicides liés à ce fléau ont atteint des sommets avec 418 cas d’assassinats et tentatives d’assassinats entre malfaiteurs, soit une augmentation de 38% par rapport à l’année précédente. Avec le JDD,e secrétaire général du syndicat UN1TÉ (ex-SGP-Unité Police) Grégory Joron rappelle la nécessité de renforcer les moyens de maintien de l’ordre et de justice pour gagner cette victoire. « guerre »… unavant qu’il ne soit trop tard.
Le JDD. Après les fusillades qui ont éclaté ces derniers jours, Bruno Retailleau n’a pas hésité à évoquer « mexicanisation » de France. Partagez-vous ce constat ?
Grégory Joron. Il est clair que les trafiquants de drogue sont de plus en plus militarisés dans le pays. C’est un phénomène visible depuis de nombreuses années, mais qui ne cesse de croître et s’étend désormais même aux villes moyennes et aux zones rurales. Pour quoi ? Tout simplement parce que les dealers doivent défendre de plus en plus de positions. Ils ont besoin d’armes pour impressionner leurs ennemis, pour effrayer la concurrence, et pourquoi pas même pour l’éliminer. Alors oui, malheureusement, je pense qu’on assiste à une « mexicanisation » de la France.
Est-il devenu facile, en 2024, de se procurer une arme à feu en France ?
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Facile, je ne sais pas, mais en tout cas, c’est sûr que c’est plus simple qu’avant. Lorsque le crime organisé prospère (comme c’est le cas actuellement), la circulation des armes augmente. C’est mécanique.
De très grands gangs, comme la DZ Mafia, exportent désormais hors de leur ville d’origine
Cela se voit à travers les fusillades, mais pas seulement : lorsque nous, policiers, effectuons des contrôles sur des points de deal, il est rare qu’on ne les retrouve pas sur les lieux.
Pour endiguer ce phénomène, certains responsables politiques, notamment de gauche, appellent à légaliser le cannabis, voire d’autres drogues. Serait-ce une solution efficace ?
Au contraire, c’est l’éternelle fausse bonne idée. On le voit dans d’autres pays [comme les Pays-Bas, NDLR] qui a fait ce choix, mais aussi dans notre pays, avec une autre drogue, déjà légale : la cigarette. J’invite tous les défenseurs de la légalisation du cannabis à se rendre dans n’importe quelle entrée du métro parisien pour constater que la contrebande est toujours florissante.
Et ce serait encore pire si nous légalisions les stupéfiants. Vu Avec la manne d’argent sale que cela génère, il ne faut pas penser une seconde que les trafiquants cesseraient leurs activités. Au contraire, les produits vendus sur le marché noir seraient encore plus concentrés en THC. [la molécule psychoactive, NDLR] qu’aujourd’hui.
Selon vous, il faudrait au contraire recruter davantage de policiers et leur donner plus de moyens.
Évidemment. Ce discours peut paraître « tarte à la crème » venant d’un syndicaliste, mais il n’en reste pas moins réel : les policiers sont loin, très loin d’être assez nombreux pour mener une guerre d’une telle ampleur contre le trafic de drogue. En France.
Un exemple : eEntre 2015 et 2021, les dossiers de la brigade criminelle de Marseille, ville particulièrement touchée par le phénomène, ont doublé. Mais pas son personnel ni les moyens qui lui sont alloués… D’ailleurs, le ministre de l’Intérieur a aussi parlé d’une « cartellisation » de la France. Il s’agit en effet d’un enjeu de taille : des gangs de très grande envergure, comme la DZ Mafia à Marseille, exportent désormais hors de leur ville d’origine pour diversifier leurs trafics.
Bref, les forces de l’ordre sont débordées. Et ils ne sont pas les seuls. La justice est atteinte des mêmes maux. Elle est également submergée de dossiers et manque cruellement de magistrats pour prendre en charge le travail de la police. Ajoutez à cela une procédure pénale trop lourde, et on n’y arrive plus ! Il faut hausser le ton sur le sujet et mettre en place un arsenal véritablement efficace. Sinon, la France risque vraiment de se transformer en « narco-État » !