Faut-il abroger le Concordat en Alsace-Moselle ? – .

Faut-il abroger le Concordat en Alsace-Moselle ? – .
Faut-il abroger le Concordat en Alsace-Moselle ? – .

La France Insoumise a déposé un projet de loi visant à abolir le régime concordataire en Alsace-Moselle : en quoi consiste-t-il et quelles visions politiques s’affrontent ici ?

En décembre dernier, deux députés de La France Insoumise (LFI) ont déposé une proposition de loi en vue de supprimer le régime local des cultes dérogatoire au droit commun qui existe encore en Alsace-Moselle.
La proposition est tout sauf originale. Elle est, en vérité, un marronnier politique de gauche. Dans le programme de gouvernement commun élaboré par la gauche en 1972, l’abrogation du Concordat d’Alsace-Moselle figurait déjà dans le chapitre consacré à la laïcité, mais Mitterrand, une fois au pouvoir, refusa de l’appliquer. De même, lors de l’élection présidentielle de 2012, le candidat François Hollande avait proposé de constitutionnaliser le principe de laïcité, ce qui aurait conduit à remettre en cause le régime local des cultes en Alsace-Moselle, mais il y a renoncé devant le quasi-attachement identitaire. des Alsaciens-Mosellans à leur particularisme religieux. Les députés insoumis ne sont donc qu’une partie de cette tradition idéologique.
Mais de quoi parle-t-on exactement ? Juridiquement, le Concordat Alsace-Moselle n’est qu’un élément du droit local, spécifique à l’Alsace-Moselle, qui reprend, d’une part, des dispositions d’origine française antérieures à 1871 (date de l’annexion de l’Alsace-Moselle par l’Empire allemand) qui ne furent jamais abrogées après 1918 (date du retour de l’Alsace-Moselle à la France), et d’autre part, des dispositions issues de la loi allemande promulguée entre 1871 et 1918, qui ne furent pas remises en cause une fois ces territoires revenus au giron de la France. Terre natale.
À la loi religieuse locale s’ajoute une législation sociale mise en place par Bismarck qui offre davantage de protection au salarié ; Le repos dominical y est toujours obligatoire ; Le Vendredi Saint et la Saint-Étienne (26 décembre) sont des jours fériés ; il existe une obligation de secours aux indigents dans chaque commune et les artisans sont regroupés en corporations qui, contrairement aux syndicats, représentent à la fois les employeurs et les salariés, ce qui évite la logique de la lutte des classes. Enfin, le droit local régit également le domaine de la chasse, celui des associations (la loi de 1901 n’est pas applicable), le régime de la publicité foncière, l’urbanisme et même le droit communal.

Un clergé fonctionnaire

Concernant le régime des religions, la principale particularité est que le Concordat Napoléonien y est toujours en vigueur. Quand on parle du Concordat, on parle en réalité du système juridique qui accorde un statut privilégié à trois religions : le catholicisme, le protestantisme et le culte juif. Le Concordat lui-même est un traité international signé le 15 juillet 1801 entre Bonaparte et le pape Pie VII afin de redonner un cadre juridique à l’Église catholique après la période révolutionnaire. Aux termes de cet accord, l’Église consent à la perte de ses biens fonciers – nationalisés sous la Révolution – mais ses ministres – évêques et curés uniquement – ​​reçoivent un traitement de la part de l’État qui nomme à leurs postes archevêques et évêques. , le pape leur conférant l’institution canonique. On passe donc d’un clergé propriétaire à un clergé fonctionnaire, ce qui entraîne un changement total de philosophie. En 1802, Bonaparte ajoute unilatéralement des articles organiques qui englobent le culte protestant, et le système est étendu au culte juif en 1808. Malgré tous ses défauts – notamment la volonté de contrôler étroitement les cultes – il faut reconnaître que le régime concordataire a permis à l’Église catholique de connaît un essor sans précédent au sein de la société française tout au long du XIXe siècle.
C’est ce système qui continue d’être appliqué aujourd’hui en Alsace-Moselle où les ministres des trois cultes reconnus sont rémunérés au budget de l’Etat et voient leur salaire aligné sur l’indice de la fonction publique. L’archevêque de Strasbourg et l’évêque de Metz sont nommés par le Président de la République qui suit généralement l’avis du Saint-Siège ; les cultes sont organisés dans des établissements publics sous la tutelle du ministère de l’Intérieur ; des cours de religion sont dispensés dans les écoles publiques (mais les élèves qui le souhaitent peuvent en être exemptés) ; il existe à Strasbourg deux facultés de théologie, l’une catholique et l’autre protestante, ainsi qu’un département de théologie à l’Université de Lorraine. Tous délivrent des diplômes d’État et sont financés sur fonds publics avec des enseignants fonctionnaires de l’enseignement supérieur. Au total, l’État consacre chaque année un budget de 58 millions d’euros à l’entretien de ce vestige historique.
Comment un tel système a-t-il pu survivre dans le temps dans un pays aussi marqué par la laïcité ? Ce sont les circonstances qui l’expliquent. En 1919, il est décidé de maintenir le Concordat à titre transitoire, afin de ne pas froisser les populations qui viennent de rentrer dans le giron français. En 1924, lorsque le cartel de gauche, dirigé par l’anticlérical Édouard Herriot, décide d’introduire la loi de séparation de l’Église et de l’État en Alsace-Moselle, il doit reculer face aux réactions locales et nationales. En 1940, c’est Hitler qui abolit le Concordat en annexant l’Alsace-Moselle ; en 1945, son maintien va donc de soi. Depuis, malgré les tentatives récurrentes des élus de gauche, le Concordat est devenu un élément identitaire dans la culture locale – notamment en Alsace – et l’imposition de la laïcité est perçue comme une pointe de jacobinisme.

La nouveauté de l’Islam

Cependant, la montée de l’islam politique dans la région rebat les cartes. A Strasbourg, la mairie, hier socialiste et aujourd’hui écologiste, a pris l’habitude d’accorder des subventions au culte musulman dans un souci d’égalité de traitement vis-à-vis des religions du Concordat qui sont financées par des fonds publics. En effet, la loi de 1905 n’étant pas applicable à ces territoires, rien n’empêche un élu de faire voter son conseil municipal une subvention au profit d’un culte non reconnu par le Concordat, à condition que cette dépense réponde à un intérêt public local. C’est ainsi qu’en 2021, la maire de Strasbourg a voulu accorder – avant de reculer sous la pression de l’opposition puis de la justice – une subvention de 2,5 millions d’euros à l’association Milli Görüs, proche du régime d’Ankara, pour la construction d’un grand mosquée.
Dans l’esprit d’une certaine opinion publique locale hostile à l’instauration de l’islam, le Concordat devient alors un outil de financement de la construction de mosquées, ce qui alimente son rejet, alors que l’islam est justement exclu du système d’aménagement. Par ailleurs, il serait constitutionnellement impossible d’étendre le Concordat à l’islam comme certains le proposent car le Conseil constitutionnel, dans une décision rendue en 2011, a estimé que le droit local alsacien-mosellan ne pouvait être modifié que dans le sens d’un rapprochement avec le droit général. Seul le clientélisme de certains élus de gauche à l’égard de l’Islam et le parallèle qu’ils font eux-mêmes avec le Concordat sème la confusion dans les esprits. Le Grand Orient de France, qui tourne à plein régime, profite de cette confusion pour sonder les Alsaciens et les Mosellans, en pleine polémique sur l’attribution de ladite subvention à Milli Görüs. Résultat : 52% d’entre eux se disent favorables à l’abrogation du Concordat (enquête IFOP, avril 2021). Un résultat faussé par les circonstances…
Au fond, quelle est la motivation des Insoumis à déployer autant d’énergie contre un sujet qui faisait, jusqu’alors, l’objet d’un consensus quasi local ? Elle est de deux ordres. Philosophiquement, ils estiment que la religion n’a pas de place dans la vie publique car il s’agit d’un choix strictement personnel. Ainsi, les pouvoirs publics n’ont pas à financer une religion ou une faculté de théologie ; cela reviendrait à exercer une forme de violence contre tous les contribuables qui n’appartiennent pas à cette religion. Ensuite, sur le plan politique, ils considèrent, au nom d’un jacobinisme exacerbé, que la loi doit être appliquée uniformément sur le territoire français, au nom de l’indivisibilité de la République et de l’égalité des citoyens. Mais leurs scrupules républicains disparaissent vite lorsqu’il s’agit de servir les intérêts de leurs électeurs, dont beaucoup appartiennent à l’islam. Où l’on voit que la politique s’accommode facilement des principes…

Benoît Dumoulin

© LA NEF n° 366 Février 2024

 
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