« L’appartenance de Mayotte à la France n’aurait pas dû permettre de telles situations de carence »

« L’appartenance de Mayotte à la France n’aurait pas dû permettre de telles situations de carence »
« L’appartenance de Mayotte à la France n’aurait pas dû permettre de telles situations de carence »

Relativiser l’histoire de la santé occidentale à Mayotte

La politique sanitaire et sociale menée à Mayotte depuis 1841, date de la cession de l’île à la France, et surtout depuis la construction du premier hôpital de l’île à DZAOUDZI, dès 1847 et achevée en 1892, s’articule autour de deux grandes périodes. Une première période qui s’étend de 1841 à 1975, marquée par une présence sanitaire timide et limitée, dans une société qui vit au rythme des saisons des pluies, des maladies et des épidémies destructrices. Ces années ont été dominées par la lutte contre les grandes endémies. Une seconde partie qui a débuté dès la reprise de l’île sous administration directe par la France, de 1976 à nos jours, et qui s’est concentrée depuis plus de quarante-cinq ans sur la mise en place d’une politique sanitaire et sociale. insuffisant, compte tenu des normes sanitaires attendues en France.

Une offre santé timide et limitée.

Tant que Mayotte vivait dans l’indifférence administrative de la colonisation et des régimes de Madagascar et des Comores qui expédiaient les puissances de la France aux Mahorais, la question du développement de l’île ne méritait guère d’être posée. Force est de constater que durant cette période plus ou moins longue, la société mahoraise a été abandonnée, dispersée en petits hameaux constitués de cabanes aux murs en terre séchée ou en matériaux végétaux. Elle vivait au rythme des saisons des pluies, des maladies et des épidémies destructrices dans une époque endurée puisqu’elle n’avait aucun débouché.

La présence sanitaire occidentale est restée longtemps limitée à un médecin, situé à Dzaoudzi, dans l’enceinte de l’hôpital. L’activité hospitalière était essentiellement limitée aux habitants de Petite-Terre. A cette époque, il n’existait pas d’installations sanitaires sur la Grande-Terre et les liaisons entre les deux îles étaient souvent difficiles. S’il faut remonter à cette période, le paludisme fut la première maladie et fit des ravages notamment parmi les Blancs. La filariose lymphatique, responsable d’éléphantiasis des membres inférieurs et d’hydrocèle, touchait 80 % des hommes. La typhoïde et la syphilis étaient courantes. La lèpre était la maladie infectieuse chronique la plus redoutée. La chique aux puces (maroantody), parasite qui n’épargnait que ceux qui portaient des chaussures, autrement dit peu de Mahorais car enfants et adultes marchaient pieds nus, a marqué l’esprit de la population. Enfin, la tuberculose entraîne une mortalité élevée.

Par ailleurs, les épidémies récurrentes de variole mais aussi de paludisme, ayant fait de nombreuses victimes, sont restées vives dans la mémoire des ravages provoqués. L’épidémie de variole de 1898 fut responsable de 2 300 décès et fut la cause de la disparition du village de CARONI.[1]. Ces épidémies ont donné lieu à des mesures ponctuelles de prévention et à des campagnes de riposte vaccinale. C’est le début des mesures de lutte contre les moustiques, des tournées de vaccination contre la variole, de l’évacuation des malades de la variole vers les lazarets installés sur l’îlot BOUZI et au centre de l’île à COMBANI et des lépreux à la léproserie située sur l’île de MTSAMBORO et des tournées hebdomadaires. d’infirmières qui se déplaçaient en chaise à porteurs (fitaco) en Grande Terre.

Une politique de santé insuffisante

Mouhoutar Salim fait état du décalage entre l’image paradisiaque et les difficultés en matière sanitaire et sociale

Après plus d’un siècle d’incertitude, l’image paradisiaque de cette île accueillante des mers du Sud ne cache pas ses difficultés en matière sanitaire et sociale depuis sa reprise d’administration directe par la France en 1976. La première année a été mise à profit pour réaliser un travail essentiel recensement de la population et des foyers. Un recensement dont les numéros de peinture sont visibles depuis longtemps sur un certain nombre de portes à Mayotte. Fin 1976, après une campagne de sensibilisation de la population, une grande campagne de lutte domestique, associant plusieurs insecticides et la chimioprophylaxie, est menée par le Service de Santé de Base et de Lutte contre les Grandes Endémies (SSBGE). ) dans le cadre de la lutte contre le paludisme et la filariose.

Les déséquilibres socio-économiques de l’île, aggravés par la pauvreté, la croissance démographique, le poids des traditions et habitudes de vie, la médecine traditionnelle (encore d’actualité), ont été tantôt des facteurs positifs, tantôt des obstacles. difficile à lever pour cette politique de santé occidentale en construction. La Direction de la Santé et des Affaires Sociales (DASS) a été créée en 1977. L’implantation de médecins en milieu rural avec un réseau de dispensaires a été renforcée par des Volontaires d’Assistance Technique (TVA). Ce dispositif préfigurait le système extra-hospitalier actuel. L’hôpital MAMOUDZOU, qui comptait 50 lits et disposait d’une capacité technique minimale, a été construit en 1979. Un programme spécifique de Protection Maternelle et Infantile (PMI) a été mis en œuvre en 1980. La couverture vaccinale, la planification familiale et la lutte contre la malnutrition ont constitué les fondements de ce projet. nouvelle politique de santé lancée à Mayotte, ratifiée par délibérations du Conseil général.

Même si cette situation semblait privilégiée par rapport à celle des pays de la région, l’appartenance de Mayotte au groupe français n’aurait pas dû permettre de telles situations de carence. Seuls quelques médecins libéraux sont implantés. Le secteur médico-social reste embryonnaire, la sécurité sociale est encore spécifique, le critère d’affiliation n’est pas celui du travail mais de la résidence légale sur le territoire. Il n’existe pas d’aide médicale d’État et l’immigration clandestine est permanente. Dans ce contexte, comment le système de santé mahorais peut-il évoluer ? Faut-il garder des dispensaires ? Quelle articulation proposer dans un secteur médico-social nouvellement créé ? En matière sociale, face au vide juridique et réglementaire lié à la spécificité législative avant la départementalisation de l’île en 2011, les autorités politiques de Mayotte, le Président-Député BAMANA et le Sénateur honoraire Marcel HENRY avaient clairement exprimé le choix de procéder actions collectives de protection sociale plutôt que de demander le versement de prestations individuelles. Grâce à cette préférence, des résultats positifs sont obtenus en termes de planification familiale et de réduction des accouchements à domicile. Ce choix mérite d’être souligné.

En témoignent les fruits apportés à la population, à travers les campagnes de planning familial » Bassi Kandé Karamba » pour l’espacement des naissances réalisé en 1985 et “1, 2,3 Basses” pour la limitation des naissances organisée en 1994.

Par ailleurs, l’évolution des modes de vie des Mahorais depuis cette prise de pouvoir par la France, combinée aux comportements sociologiques traditionnels, ont favorisé la progression de ce qu’on appelle les maladies de civilisation. La prévalence du diabète à Mayotte est estimée à plus de 12 %. 55,9 % des adultes de 15 ans et plus sont en surpoids ou obèses. L’hypertension artérielle est estimée à 38,4% et sans oublier l’insuffisance rénale, les maladies cardiovasculaires et les cancers qui se sont également développés. A cette transition épidémiologique se sont ajoutés des problèmes comme la malnutrition due à une carence en vitamine B1 chez les jeunes enfants, révélée par une épidémie de béribéri, phénomène unique sur le territoire français depuis son éradication. Cette dernière a été à l’origine de la mort d’une vingtaine de nourrissons en 2004.[2].

Il est donc temps de faire les choses différemment

Logo de la Campagne d’espacement des naissances de 1985

La lumière apportée par cette situation paradoxale qui fait cohabiter malnutrition de surcharge et d’excès (obésité, diabète, etc.) et malnutrition de déficits et de carences (marasme, kwashiorkor, etc.), interroge l’évolution des pratiques alimentaires dans ce territoire qui a ont connu des changements rapides qui se reflètent dans les relations sociales, politiques et économiques, mais aussi dans l’évolution de l’accessibilité à la consommation alimentaire dans ses dimensions individuelles, sociales, culturelles ou religieuses. La nutrition est devenue un enjeu majeur de santé, d’égalité en matière de soins et de justice sociale. Il existe cependant une réelle difficulté à promouvoir un changement de comportement alimentaire à Mayotte pour les raisons suivantes : la faible disponibilité des produits à base de fruits et légumes sur le marché ; un coût des produits qui n’est pas toujours accessible à la population de base ; une culture maraîchère et fruitière non organisée et improductive ; une activité de pêche essentiellement artisanale et des conditions de production difficiles (rareté des ressources en eau).

Cette situation rend indispensable la mise en place d’une véritable politique agricole et commerciale sur le territoire pour mieux répondre à l’approvisionnement alimentaire de la population. Enfin, la persistance de nombreuses maladies infectieuses liées à l’eau et à l’hygiène, ainsi que certaines maladies nutritionnelles, interrogent sur les limites d’une réponse aux besoins de santé basée uniquement sur des services visant à traiter les conséquences liées aux comportements inappropriés de la population sur d’une part, et aux mauvaises orientations politiques d’autre part. Ils suggèrent que l’amélioration de l’état de santé de cette population mahoraise passerait par le développement économique et social de Mayotte, par l’éducation, par le renforcement du système de santé de Mayotte pour le rapprocher des standards de la métropole, mais surtout par des orientations politiques visant à promouvoir la santé publique et la santé communautaire et donner à la population les moyens de prendre la responsabilité de sa propre santé.

Salim MOUHOUTAR – Auteur et Conférencier

[1] https://www.mayottehebdo.com/actualite/sante/1898-la-variole-a-mayotte-decime-2-300-personnel/

[2] https://www.mayotte.ars.sante.fr/beri-beri-pour-lutter-contre-la-morbide-je-varie-mon-alimentation

 
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