A Strasbourg, le Guercœur de Magnard ressuscite

A Strasbourg, le Guercœur de Magnard ressuscite
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Depuis sa création à l’Opéra de Paris en 1931, le chef-d’œuvre d’Albéric Magnard n’a plus jamais été joué sur les scènes françaises. C’est un pur joyau que l’Opéra de Strasbourg ressuscite.

Vivre, n’est-ce pas l’obsession de Guercœur ? Insensible à la sérénité qui règne au paradis, le héros implore les divinités Vérité, Bonté, Beauté et Souffrance de le rendre à sa bien-aimée Giselle, à son ami Heurtal, à son peuple qu’il a libéré de la tyrannie. Après avoir tenté en vain de lui faire entendre raison, les divinités s’inclinèrent. Guercœur se réveille sur les terres qu’il a quittées deux ans plus tôt, impatient de retrouver tous ceux qu’il aime. Que découvre-t-il ? Giselle, qui lui avait juré une fidélité éternelle, devient la maîtresse d’Heurtal et ce dernier, ayant renié leurs idéaux communs, se fera proclamer dictateur. Assassiné alors qu’il tentait de raisonner la foule, Gercœur est de retour dans la demeure céleste. Désormais dépouillée de ses illusions, son ombre peut reposer en paix. “La fierté a fui ton âme”, lui dit Truth. Que l’espoir reste là. Un jour, dans votre pays et sur toute la terre, le rêve de votre vie doit devenir réalité. »

Idéalisme mal compris

La tragédie lyrique d’Albéric Magnard, achevée en 1894 mais jouée seulement en 1931, est un chef-d’œuvre d’idéalisme. Un autoportrait, une synthèse de ses idées, voire un hymne à l’espoir. Les actes I et III, plus statiques et allégoriques, sont plus délicats à mettre en scène que le II, où s’enflamment les passions terrestres. « Paysage de rêve », note Magnard pour le séjour des « âmes élues » ? Une prison éternelle aux yeux de Christof Loy, matérialisé par un plateau tournant noir et nu. Un bouquet épars de fleurs en plastique et de pauvres chaises de bistrot sur lesquelles s’assoient des silhouettes hagardes, quand elles ne piétinent pas. figés au moment de leur mort, leurs tenues (uniformes militaires, costume bourgeois ou robe simple, costume trois pièces, etc.) placent l’intrigue entre l’époque de Magnard et la nôtre.

Dans II, on découvre de l’autre côté du mur noir, un mur blanc. Et, entre les deux, un étroit couloir bordé d’un paysage rural intemporel, qui ne fait que traverser. Le monde d’avant ? Mystère. Devant le mur blanc, des chaises alignées mais pas accessoire : Giselle et Heurtal s’accouplent par terre, elle en chemise de nuit, lui tout habillé. Quant au peuple, qui s’agite et se débat de l’autre côté du mur, il ressemble comme un frère aux ombres errantes dont il partage le paysage. Alors la vie et la mort ne font plus qu’un ? Faire lever les individus tués par les sbires de Heurtal annihile le caractère sanglant de ce tableau. Ce n’est pas pour rien que Magnard en accentue la brutalité et la vulgarité (le chœur rimé célébrant la victoire du despote n’est pas loin de singer Gustave Charpentier). Bref, le spectacle n’aidera guère le néophyte à pénétrer les arcanes du livret. Était-ce le meilleur choix pour une œuvre quasiment inconnue ?

Un héros à part entière

La partition ne manque heureusement pas d’atouts pour toucher et convaincre. Surtout quand il est servi, comme ici, par des interprètes de premier ordre. Dans le rôle écrasant de Guercœur, Stéphane Dégout nous étonne, une fois de plus, par l’intensité et le magnétisme de l’incarnation (son éveil en II, plein de douceur émotionnelle, renoue avec celui du créateur Endrèze !). L’éclat un peu grinçant du timbre, le souffle, le ciselé de la parole creusent chaque recoin du personnage : la candeur, le doute, la douleur, la révolte, l’humilité, la résignation, l’apaisement, tout y est.

La jolie soprano un peu lunaire deAntoinette Dennefeld embrasse ce qui fait le personnage de Giselle : sa fraîcheur un peu fade, ses joies artificielles comme dévitalisées par la culpabilité. D’Heurtal, le ténor Julien Henric a un courage hautain, une mordance vocale et une présence physique imposante. Adriana Bignani Lescamezzo sombre et cinglant, dépeint une Souffrance dont l’arrogance est une illusion : elle se révélera aussi humaine que la Bonté, à laquelle Eugénie Joneau donne un mezzo plus chaud et plus doux, plus immédiatement séduisant. J’aime encore le personnage.

Tempéraments et fièvre

La vérité peut compter sur le tempérament wagnérien de Catherine Hunold, qui possède l’autorité matriarcale de la première divinité. Même si la ligne a tendance à se briser dans l’aigu, la soprano livre une magnifique prophétie en III : Magnard s’adresse à nous comme pour nous exiger un pas supplémentaire, un effort vers le bien. Autour Marie Lenormandtouchante Ombre de femme, tournent deux jeunes artistes du Studio de l’Opéra national du Rhin, Alysia Hanshaw Et Glen Cunninghamqui donnent présence et glamour à l’Ombre d’une Vierge et à l’Ombre d’un Poète.

Très sollicité en première partie, le Chœur de l’Opéra national du Rhin atteste de sa bonne santé. Parfois, le faire chanter depuis le foyer exagère l’effet lointain et le rend assez frustrant. Ingo Metzmacher et l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, qui portent à bout de bras cette flambée quasi symphonique, ne sont pas les derniers héros de la soirée. Quand Michel Plasson, sur le disque (Warner), alangui ou épaissi le son ici et là par cupidité, le chef allemand aiguise, aiguise, cinglant quand il le faut, jetant souvent une vive lumière. Il revient à Guercoeur de Magnard la fièvre de son idéalisme. Et la vie.

Guercoeur par Magnard. Strasbourg, Opéra, le 30 avril. Représentations jusqu’au 7 mai. Puis, à La Filature de Mulhouse, les 26 et 28 mai.

 
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