« Cela faisait deux ans qu’on était là-dessus à temps plein… La déception est monumentale », déclare Sophie Ouellet.
Il y a un peu plus de deux ans, elle et Emmanuelle Breton ont décidé d’unir leurs forces pour monter un projet qui leur permettrait d’exposer dans une galerie reconnue par le Conseil des Arts et des lettres du Québec (CALQ).
«C’est comme ça que ça marche dans notre communauté : plus on expose dans des lieux reconnus par le CALQ, plus on a accès à des subventions», explique l’artiste de Thetford Mines qui vit au Québec.
Leur proposition a été acceptée en octobre 2022 par Regart, un centre d’artistes autogéré reconnu par le CALQ. Les artistes ont obtenu une résidence à L’Autre Gare pour créer les œuvres et leur installation. Le duo a même participé à des activités de médiation auprès de groupes scolaires de Lévis.
Comme convenu, le fruit de leur travail a été présenté pour une première fois à la Vitrine Arts contemporains de Lebel-sur-Quévillon et devait revenir à la galerie de Lévis à la fin de l’automne 2024.
«Ça se passait bien et, à notre grande surprise, à la fin de l’été, on a appris que c’était annulé et on a vraiment eu le souffle coupé», raconte Sophie Ouellet.
« On a besoin de ces places sur notre CV et elles sont de plus en plus rares, parce que c’est difficile. Plusieurs sont sous assistance respiratoire », dit-elle tristement.
La fatigue s’accumule
Les artistes, qui évoluent dans le monde de l’art depuis plus de 20 ans, avaient également décidé de travailler ensemble afin de surmonter « un ralentissement culturel » issu de la pandémie.
En plus de mettre en commun leur créativité, ils ont souhaité s’entraider dans la préparation des dossiers pour présenter leur projet à des galeries ou faire une demande de financement, entre autres.
« La rédaction d’un dossier pour un projet prend plusieurs heures à chaque fois », argumente Emmanuelle Bédard.
Plusieurs heures non rémunérées en plus. Et cette lourdeur administrative est épuisante. Surtout quand cela ne porte pas de fruits.
L’annulation de leur exposition au Regart est un nouveau « coup dur » pour la motivation du duo. A tel point qu’ils ont mis leur projet entre parenthèses.
«Le système dans lequel nous sommes actuellement ne fonctionne plus», affirme Emmanuelle Breton.
À bout de souffle, le Lévisien a accepté un contrat dans une école cet automne.
« La structure crée un essoufflement culturel. […] A peine un tiers de notre temps est consacré à la création, car la machine de cette structure engloutit tout le reste de notre temps et toutes ces tâches ne sont jamais rémunérées », ajoute-t-elle.
Sans compter que cette machine vient exercer un certain contrôle sur le type d’art et les artistes qui sont financés, déplore le duo.
Essoufflé
« Ce sont des choix qu’il a fallu faire pour pouvoir respirer », explique Claire Goutier, directrice de Regart, à propos des deux expositions annulées cet automne.
Le montant reçu du CALQ à la fin de l’été est le même montant que celui que le centre d’artistes reçoit depuis 10 ans.
« Non seulement cela ne suit pas l’inflation, mais pour nous, c’était déjà insuffisant. Et c’est quelque chose que notre agent savait », explique le réalisateur.
L’organisme avait une « bonne évaluation », mais il lui aurait fallu une excellente note pour espérer une augmentation de son financement.
A cela s’ajoute la disparition de l’argent du programme Jeune Public du ministère de la Culture et des Communications dont Regart bénéficiait depuis plusieurs années.
Selon Mme Goutier, l’argent de cette enveloppe, et probablement d’autres aussi, aurait été transféré au programme de soutien à la mission et ferait partie des 15 millions de dollars supplémentaires annoncés par le ministre Mathieu Lacombe à la suite de la grande manifestation pour la culture qui a eu lieu. à Montréal le 18 avril.
« Ce n’est pas de l’argent neuf, précise Claire Goutier.
D’un feu à l’autre
Ce n’est pas le premier écueil auquel Regart est confronté.
Cet hiver, le centre d’art contemporain a lancé un cri du cœur pour trouver un nouveau lieu pour accueillir ses ateliers d’artistes. Les bâtiments qu’ils occupaient jusqu’alors ont dû être rénovés et ces rénovations ont entraîné une augmentation du prix de leur loyer que l’organisation n’a pas pu absorber.
Heureusement, cette histoire s’est bien terminée. Les ateliers ont été relocalisés au 4555 boulevard Guillaume-Couture, un immeuble qui appartient à l’organisme communautaire Le Filon, depuis mai.
« Normalement, c’est stable pendant cinq à six ans », se réjouit Claire Goutier.
Toujours. L’année précédente, c’est L’Autre Gare qui était dans une situation précaire avant d’obtenir le soutien de la Ville de Lévis. Avant cela, il y a eu évidemment les années difficiles de la pandémie. Et juste avant, en 2019, c’était l’expropriation des locaux que le centre d’artistes occupait depuis huit ans au 5956 rue Saint-Laurent pour y construire un ascenseur qui n’a pas encore vu le jour.
« Chaque année, des problèmes majeurs surviennent dans la vie de Regart. A quoi il faut ajouter les mêmes problèmes que connaissent toutes les autres organisations», argumente le directeur, fatigué.
“Ça finit par démoraliser un peu aussi… Quand on a de l’espoir, on est capable de faire des miracles, mais là… On commence à se dire qu’on va faire ce qu’on peut et ce sera tout”, ajoute-t-elle.