Skier jusqu’en avril est une aberration

Le vrai ski ne se découvre qu’en fin de saison

Publié aujourd’hui à 16h09

J’avoue, j’ai péché. Face aux propos, lors d’une séance de rédaction, d’un collègue qui souhaitait faire le point sur les stations à la mi-février, j’ai craqué. « Parce que la saison est terminée ? Mais c’est maintenant que ça commence : des conditions de rêve, du soleil, et surtout… sans vous autres qui bloquez les parkings, les pistes et les autoroutes. Le printemps, on vous le laisse en plaine.

Je n’avais pas encore enfilé de mitaines et j’ai donc eu une réaction négative : j’ai été envoyé sur les pistes le 25 avril. Une sanction qui n’est pas des plus désagréables pour autant, puisque j’ai pu sortir mes spatules pour retracer cette chronique « tout droit sur la pente » – comme on dit chez nous – mais qui m’oblige donc à faire la lumière sur ce qui aurait dû resté dans l’ombre.

Secret bien gardé

Car au sommet de la montagne il y a des choses qui me détruisent le moral, juste au dessus de cette curieuse invention lémanique qu’est le stratus, ces « guides de coins secrets » et autres « conseils pour des séjours hors des sentiers battus ». Je frôle l’accident vasculaire cérébral lorsqu’ils sont portés par des influenceuses en maillot de bain dans les lacs de montagne, modèles de destruction de l’insolite par les foules. Un secret se garde comme un trésor, me murmurait ma grand-mère. Quelque chose a dû coincer pour que la règle soit désormais la divulgation, le remplacement des sentiers par des autoroutes, selfie sticks à la main.

Plus fan de vestes imperméables que de maillots de bain et aussi influente qu’un bouquetin sur un rocher, je tombe néanmoins dans le piège paradoxal du journaliste : celui de me laisser aller à des envolées coupables. J’irai donc, en bon catholique valaisan – pour la forme plus que pour la foi – avouer ce dimanche avoir trahi à ce point mes idéaux, car voici ma confiance que le titre de cette chronique était censé cacher : la saison de ski sera Cela ne se termine pas après les vacances de février. Mieux encore, c’est plus savoureux après et, non, ça n’a rien à voir avec un après-ski en terrasse, ou très peu.

Un dessert à ne pas partager

Assez parlé des enjeux, revenons aux faits. Skier jusqu’à fin avril, c’est comme prendre un dessert après un repas gastronomique. C’est d’abord la cupidité. Un autre péché. Au fond, c’est vrai, la saison est longue et après, à quoi bon risquer une indigestion ? Car le plat surprise n’est pas au menu : c’est la tarte au citron meringuée de grand-mère, sans chichi. Pâte durcie comme les premières couches du début de saison, acidité grisante du fruit comme des courbes sur des pentes vierges et douce douceur des températures. Le tout régulièrement saupoudré de sucre glace. Et, cerise sur le gâteau, il y a souvent moins d’invités que de partages ; C’est un buffet à volonté.

L’appétit (re)vient en mangeant, voici le tableau plus concret de jeudi dernier sur les pistes du Glacier 3000, la dernière station ouverte : 30 centimètres de neige fraîche tombée dans la nuit, des pistes lissées au scalpel et d’autres où le On a laissé la meringue sur les pistes, un soleil généreux et un froid encore mordant pour éviter de transformer la crème en soupe et un parking à moitié vide. Bref, on se gave. Bien sûr, c’était en semaine, mais dans la grande secte du ski, en échange, on mourrait pour travailler le week-end.

Enfin, il y a l’anticonformisme : dans les embouteillages du dimanche soir de la haute saison, les skieurs du printemps vivent la douce descente aux couleurs de fin de journée. Et terminer sa journée sur une terrasse de ville en pantalon fluo retroussé jusqu’aux chaussettes, masque toujours sur le chapeau alors que la foule a déjà sorti son bermuda, a quelque chose d’aussi ridiculement provocateur que délicieusement jubilatoire.

Novembre, pourquoi ?

Enfin, il y a surtout une leçon, celle de prendre les saisons comme elles passent. Quelle idée aussi que de vouloir skier dans le froid de novembre tout en pariant contre les éléments. Même Zermatt a perdu ses dents et boude le cirque blanc avec sa pelle dans son bac glaciaire. Nous répondons à l’entêtement de vouloir aiguiser les bords de plus en plus tôt en allongeant lentement le temps. Il y a quelque chose de mystique à se laisser porter jusqu’au bout au-delà de « l’amour » : il s’agit d’arrondir les virages et de ralentir avant de penser à l’été et aux vacanciers par 40 degrés. Pourtant il fait toujours aussi beau là-haut en ce mois de février.

La neige fraîche, déposée sur certaines pistes par les exploitants, est la cerise sur le gâteau de cette fin avril.

Et au diable les clichés sur le ski de printemps, il n’y a qu’aux Bronzés que la neige est trop molle. Foi de cycliste, écrivait-on, l’hiver revient toujours par la fenêtre en avril : il n’y a pas une année – ou presque – sans que le Tour de Romandie ne connaisse une météo qui rendrait impossible la mise en extérieur d’un guidon. Quitte à claquer des dents, mieux vaut glisser sur des flocons de neige que rouler sur du goudron. Skier en fin de saison, c’est au fond attendre ce qui arrive, le garder pour soi, faire durer le plaisir et s’en vanter. Paresse, cupidité, luxure et fierté ; ce n’est plus un aveu, mais un exorcisme qui m’attend.

Pour m’épargner le châtiment divin et m’extirper de mon erreur morale, il importe de ne pas vous convaincre et de vous renvoyer à mon titre sincèrement faux. Je m’en remets à la prochaine canicule : je serai vite oublié. D’ici là, je range mes skis alpins et sors mes spatules de randonnée, la Patrouille des Glaciers est terminée, les collants-pipettes ont chaussé leurs baskets et la haute montagne est déserte jusqu’en juin. Merde, je recommence.

Julien Wicky est journaliste à la rubrique Suisse depuis 2018. Il est spécialisé dans les enquêtes, notamment en Valais. Il s’intéresse également aux thématiques du territoire, de la montagne, de l’énergie et du climat. Auparavant, il a travaillé à la rédaction du « Nouveaulliste ».Plus d’informations @JulienWicky

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