une bande dessinée immergée dans la salle de consommation de drogue à Paris

une bande dessinée immergée dans la salle de consommation de drogue à Paris
une bande dessinée immergée dans la salle de consommation de drogue à Paris

Par

Emilie Salabelle

Publié le

22 septembre 2024 à 20h00

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Pendant un an et demi, Mat Let est allé à la salle de consommation à faible risquedésormais appelé Halte Soins Addictions (HAS), en expérimentation à l’hôpital Lariboisière à Paris depuis 2016. Dans ce lieu, la consommateurs de drogue peuvent consommer des stupéfiants dans un environnement sûr et propre, tout en bénéficiant de l’accompagnement d’une équipe médico-sociale.illustrateur et dessinateur de carnets de croquis a publié, Médecins du , un bandes dessinées publié le 28 août 2024. A moindre risque, Immersion en salle de consommation (The Bubble Box) est le résultat du « projet le plus important de [sa] la vie », confie-t-il à Actualités de Paris. Echange croisé avec l’auteur et Céline Debaulieu, référente réduction des risques au sein de l’ONG.

Actualité Paris : Qu’apporte le dessin à cette expérience documentaire ?

Tapis Let: C’est un bon outil de médiation. Pour les usagers de drogues et les équipes qui travaillent sur place, un carnet et un stylo créent un contact plus doux qu’un appareil photo ou une caméra vidéo. Et pour le public, le dessin rend les choses plus douces. A l’origine, nous avions prévu un carnet, puis le projet a évolué vers une bande dessinée, ce qui donne plus de liberté. Cela m’a permis de développer un fil narratif, d’illustrer des histoires racontées, de développer des scènes. La bande dessinée nous a donné plus de liberté.

Les gens qui viennent à la salle sont des habitués. Certains viennent plusieurs fois par jour. Ils m’ont tout de suite identifié en me demandant ce que je faisais. Dès le départ, je me suis installé, j’ai dessiné la cour, l’accueil… Dessiner quelqu’un, c’est une façon de le mettre en valeur. Très vite, ils m’ont demandé de le croquer. Ça fait jaser.

actu Paris : Quelle image aviez-vous de ce sujet au départ ? Pourquoi ce travail d’immersion était-il important ?

ML :J’ai imaginé une salle de consommation comme un lieu à mi-chemin entre une laverie et une fumerie d’opium. En fait, c’est un lieu qui accueille un public un peu médicalisé, mais qui ressemble à beaucoup d’autres. Mon truc, c’était l’observation. Puis j’ai commencé à créer des liens, à manger avec certains consommateurs, qui me racontaient leur vie. C’est l’un des endroits les plus vivants que je connaisse. La vie, c’est la joie, la tristesse, les émotions. Dans ce lieu, il y a tout ça. On rit souvent dans cette salle.

Céline Debaulieu :Il y a beaucoup d’ignorance et d’idées reçues négatives sur le sujet. Cette BD prend le temps de réhumaniser et de dédiaboliser ceux que nous voyons dans les représentations et les imaginaires comme des êtres à part et dangereux. Elle rend toute cette histoire humaine.

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actu Paris : Sur votre couverture, vous avez écrit shooting gallery, en barrant le dernier mot pour le remplacer par consumption. Pourquoi ?

ML:Gallery est le terme médiatique péjoratif. On a pensé qu’il fallait l’inclure, parce que c’est celui que les gens connaissent. Mais il faut comprendre que ce n’est pas juste une salle où l’on s’injecte. C’est une vision très réductrice qui occulte l’accès au droit, à la santé…

actu Paris : La salle est gérée par l’association médico-sociale Gaïa. Comment décririez-vous le travail des équipes d’accompagnement et l’ambiance qui règne dans ce lieu ?

ML: C’est une super équipe, composée essentiellement de personnels soignants et éducatifs. Les équipes sont de bonne humeur, les gens sont accueillis, on leur demande comment ils vont. Ce n’est pas un métier facile, ça peut être assez répétitif. Il faut gérer les montagnes russes, quand on voit quelqu’un aller mieux puis retomber. Ils se concentrent sur les petites victoires quotidiennes. Ceux qui arrivent en pensant changer le monde ne font pas long feu. Parfois il y a de la violence, parfois il y a des cris. Mais pour les usagers, c’est un havre de paix. La plupart du temps, ils sont dans la rue, maltraités par la police, les autres usagers, les regards en coin. Là, on les connaît personnellement, on connaît leur vie. Ils arrivent avec leur pseudo et leur date de naissance.

CD:En réduction des risques, on prend la réalité de la consommation de drogues de manière pragmatique, sans être moraliste. On va faire en sorte qu’ils se fassent le moins de mal possible. Cela permet de sauver des vies. Cela donne une place aux gens dans la société. C’est une population en grande précarité sociale, contrairement à la grande majorité des consommateurs de drogues qui sont intégrés, insérés dans la société.

actu Paris : Y a-t-il une anecdote en particulier dont vous vous souvenez de ces mois d’immersion ?

ML. : Chez Banban. La première fois que je l’ai vu, il sortait de la chambre. Il a pris sa guitare et a chanté Renaud dans la cour. On s’est rapprochés, on est devenus assez amis, je l’ai dessiné. Il m’a dit au bout de quelques semaines qu’il allait en cure. Je me suis dit : « ça y est, j’ai fini mon livre ». Il a disparu. Deux mois plus tard, je l’ai vu revenir. Ça m’a choquée. Les équipes m’ont fait changer de regard : Banban avait pris du poids, il avait pu se reposer, vivre une parenthèse à l’abri des violences… Sans logement stable, c’est très dur de se sevrer. Le sevrage peut prendre des années, et ce n’est pas le but de la chambre. Son rôle est plutôt de stabiliser les gens. J’ai beaucoup appris de ça.

Ma première question à mon arrivée a été : « Est-ce que vous aidez les gens à s’en sortir ? » Il nous a fallu beaucoup de temps pour nous mettre d’accord sur ce que signifiait « s’en sortir ». Pour quelqu’un qui est dans la rue, sans revenus, en forte addiction, on va se fixer des objectifs plus réalistes que d’arrêter la consommation et de lui trouver une maison en banlieue.

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