Menaces, expulsions, rumeurs… A Paris, la guerre fait rage autour d’un terrain de pétanque emblématique

Par Augustin Delaporte
Publié le

9 avril 24 à 6h12

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C’est un petit espace caché par de hauts murs, à deux pas de la pittoresque Villa Léandre, à laquelle on accède en remontant l’avenue Junot qui serpente la butte Montmartre à Paris (18ème). Alors tu dois te faufiler derrière un portail noir, débouchant sur un chemin privé et goudronné, et tournez à gauche pour enfin découvrir le terrain du Club Lepic Abesses Pétanque, plus communément appelé « CLAP ». Baigné de soleil pendant les premiers jours des vacances de printemps 2024, le terrain coche toutes les cases Refuge sûr. La réalité du lieu est bien différente : un une guerre féroce se joue dans l’ombre où pas mal de déplacements semblent autorisés.

Un conflit à trois têtes

« Club de pétanque de Montmartre menacé d’expulsion, soutenez-nous » : bien plus visible que l’entrée de la place qu’il défend, une imposante affiche accrochée sur un mur extérieur du CLAP rappelle qu’il est au centre d’une lutte durable depuis septembre 2022. Au pied des majuscules, le numéro 23 de l’avenue offre une étonnante métaphore de la situation du terrain qui appartient à la Ville de Paris depuis 1966.

Avenue Junot, à Paris (18ème). (©AD / actualité Paris)

Un interphone doré, bien ancré et propre, celui duHôtel Privé Montmartre, partage un pan de mur avec un autre, gris, sur lequel est écrit un papier « Ne touche pas à mon clap ! » et griffonné au feutre noir « CLAP Pétanque ».

D’un côté, l’association qui occupe le terrain depuis 1971, mais « sans droits ni titres » aux yeux de la mairie. De l’autre, un hôtel de luxe avec une poignée de suites dont le prix par nuit coûte plusieurs centaines d’euros. Deux mondes qui cohabitent, se mélangent parfois, et surtout se déchirent depuis près d’un an et demi.

Créer un espace vert unique au cœur de Montmartre ouvert au public

Tout a commencé lorsque, il y a quelques mois, la Ville a décidé de mettre les terrains en concurrence et a lancé un projet appel à manifester. Cinq projets s’affrontent et c’est finalement celui d’Oscar Comtet, directeur de l’Hôtel Particulier Montmartre, qui est retenu.

Paysagiste de formation, il rêvait de créer « un espace vert unique » et rouvrir au public plus de 1800 m2 (tous les jours de 20h à 19h), incluant l’ensemble des terrains classés « Maquis de Montmartre ».

Un escalier situé à proximité de l’Hôtel Particulier Montmartre. (©AD / actualité Paris)

Avec trois partenaires, dont son épouse, il aspire à réintroduire près de 200 espèces de plantes en trois ans, organiser des activités pour les jeunes et des événements culturels, tout en intégrant le CLAP au projet, en retenant notamment six sites sur quatorze. “Je vis ici depuis 20 ans, je suis membre du CLAP, mais je l’ai connu sans murs et ouvert à tous”, confie-t-il à Actualités parisiennes.

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David contre Goliath, vraiment ?

Mais au sein du CLAP, certains quilleurs ne comptent pas céder du terrain aussi facilement. Le club deun peu moins de 300 licenciés diffusera rapidement sa version des faits, qui sera régulièrement tenue pour acquise, dans les médias notamment.

Le porte-parole du CLAP, Maxime Liogier, assure par exemple que le « jardin de Junot » est « un juteux projet commercial déguisé », qu’il sera rapporter beaucoup d’argent à Oscar Comtet. Cela implique aussi que plusieurs élus de la Ville de Paris ont leur « rond de serviette » à l’Hôtel Particulier, que plusieurs voisins les ont vus là et que, par conséquent, le les dés sont pipés.

Une partie de pétanque sous banderole, lundi 8 avril 2024. (©AD / actualité Paris)

Du point de vue de Maxime Liogier et ses partisansoù l’on retrouve les élus Pierre-Yves Bournazel et Émile Meunier, et un collectif de riverains, « l’un des derniers lieux de vie de quartier à Montmartre » va disparaître au profit « d’un hôtel de luxe et du sur-tourisme ».

Au-delà de explosion médiatiqueAlimentés par des personnalités comme Fabrice Luchini, les partisans du CLAP s’impliquent sur le terrain judiciaire : avec plusieurs recours au tribunal administratif et un saisine du Conseil d’Etat.

Enfin, une pétition rassemble plus de 10 000 signatures. Entre rumeurs et réalités, le lien est ténu sur la colline.

« Un rapport accablant »

Dans le camp adverse, Oscar Comtet associé à la République de Montmartre et entretient une relation fluide avec le conseiller parisien (très proche du dossier), Jean-Philippe Daviaud, entre autres.

Ils ont un réseau étendu et savent que les journalistes leur mangent les pieds.

Oscar Comtet

Contacté par Actualités parisiennesle directeur de l’hôtel est particulièrement touché par la tournure des événements : « Les médias ont pris au pied de la lettre la version du CLAP, qui entra directement en un rapport de force, alors que nous souhaitons les intégrer au projet. La rumeur largement répandue est que l’hôtel de luxe vire les pauvres petits boulistes, mais tout cela est faux. Il y avait un appel d’offresnous prenons en charge la copropriété, nous souhaitons ouvrir au public un espace privatisé, en faisant une zone écologique remarquable… »

Et de poursuivre : « notre erreur, dès le départ, a été d’avoir recours à l’entreprise hôtelière pour réaliser les travaux, le CLAP s’en est servi comme argument, alors qu’aujourd’hui le projet est séparé de l’hôtel. »

Dans sa logorrhée, Oscar Comtet évoque aussi une rapport d’inspection générale accablantque la Ville ne souhaite pas rendre public, et dans lequel les « pompiers ont signalé huit comas d’éthyle » en lien avec la buvette CLAP. L’homme aurait également porté plainte pour des menaces de mort contre lui et son équipe.

Enfin, il serait également en possession de diverses informations compromettantes, mais qu’il n’a pas encore décidé de divulguer.

Le CLAP a deux semaines pour quitter les lieux

« C’est la boîte de Pandore si on regarde le cas de certains dirigeants du CLAP, c’est une mafia montmartroise. La Ville est consciente de tout cela, mais elle ne souhaite pas parler pour le moment », a-t-il déclaré. Avant de conclure, exaspéré : « S’ils partaient dans une semaine [les boulistes], le site pourrait ouvrir dans presque un mois. »

Dans sa décision du jeudi 4 avril 2024, le Conseil d’État a ordonné au CLAP de quitter les lieux dans les 15 jours. Pas de quoi démoraliser les quilleurs acharnés : « On en prend acte, mais on ne lâche rien. Nous ne pouvons pas trop en dire pour le moment, mais nous discutons de notre prochaine stratégie », nous murmure Maxime Liogier.

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