Trente ans après le génocide des Tutsis au Rwanda, cet artiste tente de raconter l’horreur à Aix

Trente ans après le génocide des Tutsis au Rwanda, cet artiste tente de raconter l’horreur à Aix
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Comment dire, comment montrer, comment faire ressentir ce que représente un million d’hommes, de femmes et d’enfants massacrés à coups de machette en seulement cent jours ? Comment penser l’impensable ? Comment expliquer que l’on puisse abandonner sa propre humanité au point d’abolir celle de l’Autre ?

Toutes ces questions hantent Bruce Clarke depuis 30 ans. Né en 1959 à Londres, ses parents étaient des Blancs sud-africains qui faisaient campagne contre l’apartheid. Il rejoint naturellement la cause et en août 1994, quelques semaines après le génocide, celui devenu photographe et plasticien engagé pour les droits de l’homme est envoyé au Rwanda par des associations africanistes : «Je suis arrivé de nuit avec un avion cargo américain, il n’y avait ni véhicule, ni électricité, ni téléphone, il se souvient. J.Je faisais du stop avec des missions humanitaires allemandes, suisses, françaises, néerlandaises… C’était une catastrophe : de nombreuses ONG avaient reçu beaucoup d’argent dont les victimes ne bénéficiaient pas.

Trente ans plus tard, à l’occasion des commémorations, il expose au Camp des Milles, lieu de mémoire évidemment hautement symbolique. L’exposition s’intitule « Au-delà : les artistes face au génocide des Tutsis au Rwanda », et le vernissage a eu lieu jeudi 14 mars en présence de l’artiste Alain Chouraqui, président de la Fondation du Camp des Milles, par Boubacar Boris Diop. , écrivain sénégalais auteur de Murambi, le livre des ossementsDafroza et Alain Gauthier, fondateurs du collectif « Parties civiles pour le Rwanda » et Jeanne Uwimbabazi, survivante.

Restaurer la dignité des survivants

On peut y voir les photomontages de Bruce Clarke, qui mélangent des photos grand format d’époque avec des collages d’articles de journaux, des œuvres plastiques comme cette installation glaçante « Survivants en suspension », ainsi qu’une quinzaine de citations d’auteurs francophones ayant écrit sur le Rwanda. “A une ou deux exceptions près, c’est un regard extérieur, celui d’un non-rwandais, que nous vous proposons. C’est notre droit, voire notre devoir, de nous approprier le génocide, un crime contre l’humanité et donc un crime contre nous tous.“, explique l’artiste.

Les photos de Bruce Clarke montrent des survivants tutsis essayant tant bien que mal de reprendre un semblant de vie après plusieurs semaines de terreur et d’étonnement. L’artiste restitue leur humanité, on y voit un boucher ou une femme qui sourit. Bruce Clarke demande : «Sorties de leur contexte, ces photos pourraient prendre un tout autre sens.

Le collage d’articles de journaux, qui n’avaient à l’origine rien à voir avec le génocide, vise également à interroger le rapport entre texte et image : «Il suffit qu’une photo soit mal légendée pour changer de sens et ouvrir la porte au révisionnisme. A l’époque, 99 % des photos utilisées par la presse pour illustrer le génocide étaient en réalité celles des bourreaux, des Hutus qui avaient fui au Zaïre par peur des représailles. Et pourtant les légendes les présentaient comme des victimes. Il y a eu très peu de photos du génocide lui-même, car il était très dangereux, prises de loin et souvent considérées comme inesthétiques.

Tout aussi émouvantes que les images, les citations de l’auteur imprimées sur de grandes toiles suspendues questionnent le pouvoir des mots. Si insignifiant face à l’horreur, et pourtant plus nécessaire que jamais : «On se demande ce que la fiction peut faire dans une telle situation. On se dit que le témoignage journalistique n’est pas beaucoup plus efficace dans ce monde globalisé, rongé par l’indifférence, certes bien informé et pourtant peu enclin à réagir promptement et efficacement.écrit le Djiboutien Abdourahman A. Waberi. On se souvient immédiatement que la machette n’était pas le seul instrument à la disposition du bourreau. : la plume et la puissance symbolique de nombre d’intellectuels hutu comme l’historien Ferdinand Nahimana ou le linguiste Léon Mugesera ont été mobilisées pour la solution finale.

Démystifier, remettre en question les mécanismes

Bruce Clarke souhaite rappeler les nombreuses mystifications et contrevérités entourant le génocide le plus rapide de l’histoire. Non, il ne faut pas dire « génocide rwandais » : «On ne parle pas de génocide allemand mais de génocide des Juifs. Le terme de génocide rwandais qui a longtemps prévalu (et est encore utilisé la moitié du temps dans la presse) cache les victimes et ouvre la porte au révisionnisme, voire au négationnisme

Redonner du sens aux mots, une mission cruciale face au génocide : «Comme lors de la Shoah ou du génocide arménien, les génocidaires ont utilisé le mot « travail » pour qualifier leur crime et le rendre psychologiquement plus acceptable.

Longtemps controversée, cette exposition est enfin l’occasion de s’interroger sur la responsabilité de la France, deux ans après le rapport Duclert commandé par le président Macron. 1 200 pages rédigées par une commission d’historiens, grâce à un accès inédit aux archives de l’État, qui, sans aller jusqu’à reconnaître une complicité génocidaire, conclut sans doute que «un ensemble de responsabilités lourdes et accablantes» de François Mitterrand et de ses collaborateurs.

La France a soutenu le régime génocidaire militairement, financièrement et idéologiquement, pendant et après le génocide», déclare Bruce Clarke. Plusieurs plaintes contre l’État français, mais aussi contre la banque BNP Paribas, accusée d’avoir financé les armes utilisées par les génocidaires, sont toujours en cours d’instruction.

Jusqu’au 9 juin, au mémorial du Camp des Milles. Tous les jours de 10h à 19h ENTREE GRATUITE.

#Français

 
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