De Marseille au Maroc, récit de la chute de Félix Bingui, le « patron » du réseau de drogue « Yoda »

De Marseille au Maroc, récit de la chute de Félix Bingui, le « patron » du réseau de drogue « Yoda »
De Marseille au Maroc, récit de la chute de Félix Bingui, le « patron » du réseau de drogue « Yoda »

A Marseille, la force a longtemps été avec Yoda, le meilleur deal point de la ville. Connu d’abord sous le nom de « La Fontaine », à l’entrée de la Cité de la Paternelle, dans le 14e arrondissement de Marseille, ce «four» est si bien situé qu’il partage un rond-point avec un marché d’intérêt national. A quelques centaines de mètres des sorties d’autoroute, des clients de toute la région viennent s’approvisionner en cannabis et cocaïne, servis directement en voiture. Jusqu’en 2023, à Marseille, c’est même le seul projet qui ne ferme jamais. La demande est alors telle que certains jours, le chiffre d’affaires de cet unique point de vente peut atteindre 100 000 euros en 24 heures. Et au Paternel, il n’est pas seul. Trois autres »des plans», détenus parfois par autant de réseaux différents, se partagent le marché. Parfois des tensions éclatent, et à l’été 2021, le quartier est plongé dans une première « guerre » de clans, entre le plan dit « du haut », appelé le Maga, et un autre groupe implanté dans la ville voisine de Bassens (15e). ), qui a fini par l’emporter. Mais ce conflit n’a pas ébranlé La Fontaine, rebaptisé par des tags sur tous les murs du bas de la ville « Chez Yoda ». Même le confinement ne tarit pas le distributeur de billets. Au contraire. Parmi les clients, « Yoda » est réputé pour la qualité du produit qui y est servi. Parmi les petits mains du deal, les guetteurs, les vendeurs, le régime est aussi connu pour payer mieux qu’ailleurs.»Depuis des années, La Fontaine, c’est un régime très stable, ça marche fort», avait alors constaté la police.

Mais après les « guerres » de l’été 2021, dans le secret d’un bureau d’enquête, un juge et les policiers de l’antenne Ofast de Marseille, l’Office anti-stupéfiants, ont décidé de s’intéresser un peu aussi à ce trafic. calme, dont l’ampleur devient inquiétante.

L’homme qui dépensait 300 000 euros par semaine

Le suspect numéro 1 est un natif d’Alès, Félix Binguy, surnommé Féfé, ou « Le Chat ». Arrivé à Marseille, aux Chartreux, à l’âge de 12 ans après avoir grandi à Nîmes, il connaît l’incarcération pour vol avec violence avant même sa majorité. Il rejoint ensuite la « bande des Carmes », un groupe de braqueurs qui bascule progressivement dans le trafic de drogue au cours des années 2010, s’alliant au clan Remadnia, d’abord pour mener des opérations de trafic de drogue. intimidation. Une « bonne école » : la plupart des membres des Carmélites sont depuis devenus des figures majeures du narco-banditisme local.

Mais en 2017, ces activités valent au « Chat » une peine de 3 ans de prison. A sa libération, le jeune homme au seuil de la trentaine aurait immédiatement repris les rênes de La Fontaine avec plusieurs associés. Et fait décoller l’entreprise.

Connu de beaucoup de petites mains du deal sous le prénom de Félix, Bingui ouvre la voie avec une apparente décontraction. Tantôt à Marseille, tantôt à Malaga, en Thaïlande ou encore à Dubaï, le jeune homme dépense sans compter, mais il évite soigneusement de fréquenter le quartier paternel. “Félix, il mène sa vie, il peut dépenser 30 000 euros le soir», murmure un jeune dealer de La Paternal, fin 2022.

Les enquêtes de la PJ confirment que le « patron » de La Fontaine peut dépenser plusieurs centaines de milliers d’euros par semaine. Le réseau est alors à son apogée. Mais deux problèmes se profilent.

Dans le collimateur de la PJ

Début 2023, la PJ achève la cartographie du réseau. L’affaire occupe à plein temps un groupe Ofast depuis près de deux ans. Des mois de filature, de sonorisation, d’examen de la téléphonie, pour relier les points de la procédure, avec suffisamment de certitudes pour que le juge d’instruction puisse déclencher les opérations d’interpellation et enfin démanteler le groupe. Le réseau de Yoda n’est pas si étendu mais extrêmement rentable. S’il est composé de plusieurs dizaines de personnes, associés, dirigeants, et autres cadres de la transaction, on ne connaît alors que deux points de vente identifiés : celui de la ville de La Paternelle, et celui de Tourmarines, à La Cabucelle (15e). , un guichet beaucoup plus modeste. Mais des alliances se dessinent, avec des équipes constituées à Félix-Pyat (3e), Castellas ou encore Micocouliers.

Autant de villes sur le point de sombrer dans une « guerre » entre trafiquants de drogue. Un conflit d’une ampleur jamais vue à Marseille, qui va rendre les cadres de Yoda beaucoup plus discrets, et déjouer le coup de filet que la justice s’apprête à lancer. Car les principales cibles de la police sont désormais aussi celles d’un clan rival, bientôt connu sous le nom de DZ Mafia.

En matière de trafic de drogue, la stabilité est moins la règle que l’exception. Celui du plan La Fontaine commence à vaciller au printemps 2022. Mais c’est ailleurs qu’apparaissent les premiers signes de tensions, dans les villes « satellites », aux mains des mêmes réseaux qui, à La Paternelle, s’occupaient encore de bons voisins. La recomposition du paysage du banditisme de la drogue s’opère lentement dans toute la ville, avec des conséquences inévitables à La Paternelle, où les quatre points de deal constituent presque un modèle réduit de l’oligopole de la merde marseillais. Avant de s’accélérer brutalement, en décembre 2022, après l’assassinat du responsable du plan Castellas (15e), une ville dans le giron de « Yoda », immédiatement reprise par l’équipe dite de Bassens (le cœur de la mafia DZ) .

Quelques semaines plus tard, le 5 février, des bagarres éclatent au Paternel, entre « voisins » d’en haut – l’équipe Bassens, implantée à Maga dès l’été 2021 – et d’en bas – l’équipe Yoda. Plusieurs raisons sont évoquées, « mais au fond, si la Fontaine a été attaquée par le haut, c’est parce que le plan a rapporté bien plus que les autres », résume un policier.

Quatre jours après l’incident, les deux chefs de clan se sont rencontrés dans une discothèque de Phuket, en Thaïlande. La suite est connue sous le nom de « Ice Cube Episode », le point de départ de la guerre des pères, entre DZ Mafia et Yoda. L’entretien tourne court : le patron de l’un jette un seau de glace au visage du patron de l’autre. Un affront aux conséquences quasi immédiates : quelques heures plus tard, à Marseille, un guetteur de « La Fontaine » est tabassé à mort par un groupe de Maga. Première victime d’une série de plusieurs dizaines d’homicides, des deux côtés, mais surtout sur Yoda.

Mais à ce stade, Bingui est vraiment fort, il a du monde, de l’argent et des alliés puissants, car presque tout le monde a dû choisir son camp.», murmure un enquêteur. L’ex-bande des Carmes se scinde en deux et les fusillades entre clans que l’on appelle désormais Yoda et DZ Mafia se succèdent à un rythme jamais observé auparavant. A Marseille mais aussi en Espagne, à Salou, où le 3 mai, deux personnes très proches de Félix Bingui, dont son beau-frère, ont été abattues par un commando venu tout droit de Marseille.

A la préfecture de police de l’Évêché, dans les locaux de l’Ofast, boulevard des Dames, et au palais de justice, tous les protagonistes de l’enquête sont à fleur de peau. Les principales cibles, dont l’arrestation pourrait endiguer la spirale de la violence, sont toujours introuvables.

La fin de « La Fontaine »

Après quatre mois ponctués par des dizaines de nouvelles victimes, blessées ou tuées avec des armes de guerre, un homme considéré comme le numéro 2 du clan Yoda a été localisé par la PJ dans le 9e arrondissement de Marseille. Le juge d’instruction lance aussitôt l’opération et dans la matinée du 28 juin, 16 personnes soupçonnées d’être à la tête de l’organigramme du clan sont interpellées. Le réseau de stupéfiants La Fontaine est démantelé, mais la cible numéro 1, Félix Bingui, est toujours en liberté. Il est à l’étranger, probablement au Maroc. Et si le « business » est durablement bouleversé chez le Paternel, la guerre avec la mafia DZ a toujours de l’inertie. Les deux clans, qui ont acquis une certaine notoriété dans les quartiers, font appel aux mêmes types de tueurs à gages, des jeunes inexpérimentés souvent recrutés via les réseaux sociaux. Ils s’entretuent encore tout l’été. Il a fallu attendre l’automne 2023 et une demi-douzaine d’arrestations en flagrant délit pour que le conflit s’essouffle enfin.

Près de 80 personnes ont depuis été inculpées dans le cadre de ce conflit qui semble pour l’instant terminé. Une poignée de cadres restent en fuite, mais l’arrestation vendredi de Félix Bingui marque la fin, au moins symbolique, du clan Yoda. Et si le trafic se poursuit dans d’autres villes de Marseille, évoluant également sous forme de livraisons, à La Paternelle, les quatre points de deal n’ont pas rouvert depuis des mois.

L’article est en français

Tags : Marseille Maroc histoire automne Félix Bingui patron Yoda drogue réseau

 
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