Les fêtes de fin d’année sont aussi le moment de prendre du recul sur l’année écoulée et sur notre rapport au monde. Youmatter vous a concocté une petite sélection de beaux livres à glisser sous le sapin pour réfléchir entre deux réveillons !
L’histoire oubliée du remembrement foncier
Il est impossible de comprendre la crise agricole si l’on ne pense pas au remembrement foncier, cette opération foncière qui a eu lieu au cours du XXe siècle et qui a profondément remodelé l’agriculture, les paysages et la société française. Menée à toute vitesse et sans réelle considération des agriculteurs qui s’y opposaient sous l’argument fallacieux du progrès, cette opération gouvernementale menée avec le soutien de l’ancêtre de la FNSEA a permis la mécanisation de l’agriculture et l’avènement de son développement intensif mais à quel prix ?
La journaliste Inès Léraud, qui s’était déjà illustrée avec son enquête sur les algues vertes, livre une nouvelle fois un regard incontournable sur les coulisses de la transformation de l’agriculture et de ses conséquences sociales et environnementales. Son travail, illustré par Pierre Van Hove, gagne en profondeur grâce à sa collaboration avec le chercheur en sociologie Léandre Mandard. A offrir sans modération !
Battlefields, Inès Léraud and Peter Van Hove, Delcourt (La Revue Dessinée Delcourt), November 2024, 192 pages, €23.75
Denise ou la fin d’un monde
On reste à la campagne mais on suit cette fois l’histoire de Denise, une Auvergnate de 96 ans, racontée par l’écologiste, ornithologue et écrivain Philippe J.Dubois. Toute sa vie, Denise est restée dans sa région natale. Mais si elle n’a pas bougé, ni fondamentalement changé sa façon de vivre, très sobre, autour d’elle, les paysages et le mode de vie ont été bouleversés.
Entre documentaire, essai et autofiction, Philippe J.Dubois nous amène à réfléchir sur les évolutions majeures que nous avons connues au cours du siècle dernier, notamment sur le plan agricole. Dans un monde où l’on oscille entre amnésie écologique, solastalgie et éco-anxiété, Denise est une référence nécessaire pour rappeler ce qu’était la vie à la campagne, sa lenteur et sa beauté. Et nous donne envie de suivre ces traces pour aller vers plus de sobriété et de bienveillance envers une nature que nous avons saccagée.
Denise or the end of a world, Philippe J.Dubois, Delachaux and Niestlé, September 2024, 128 pages, 12.90 euros.
Trash Vortex ou l’histoire désillusionnée de notre époque
Dans son château, « La » Valier, héritière d’un grand empire industriel au crépuscule de sa vie, soliloque (souvent en présence de ses acolytes) sur la fin du monde. Entre ses prémonitions apocalyptiques, elle met en branle une fondation chargée de nettoyer les océans. Une belle initiative qui cache en réalité des intentions bien moins louables.
Dans ce roman aux phrases fluides, les ultra-riches semblent flotter dans un monde devenu tourbillon. Mais ne nous y trompons pas, s’ils semblent perdre pied face à la perte de sens d’un système devenu fou, ils espèrent aussi que leur puissance accumulée par leur capital financier les sauvera de l’effondrement. Mais est-ce si sûr ? Sous couvert d’une fiction aux allures de film catastrophe, Mathieu Larnaudie nous a concocté une histoire dense et profonde, ciselée d’humour cinglant et parsemée de références au monde réel… un monde qui semble de plus en plus ressembler à une mauvaise série B.
Trash Vortex, Mathieu Larnaudie, Actes Sud, September 2024, 436 pages, 23 euros
17 ans après avoir publié Comment les riches détruisent la planète, le journaliste et directeur de - persiste et signe : si la catastrophe écologique s’amplifie alors que les inégalités se creusent, c’est en grande partie à cause des ultra-riches. En France, ils représentent quelque 6 500 personnes (0,01 % de la population), dans le monde, quelque 80 000 personnes. Mais ils sont aussi bien plus émetteurs de gaz à effet de serre et pollueurs que la grande majorité de la population. Surtout, ils sont devenus un modèle de consommation, dans la logique de « rivalité ostentatoire » mise en avant au XIXe siècle par l’économiste américain Thorstein Veblen. En voulant « faire comme » les ultra-riches, nous surconsommons et gaspillons… au détriment de la planète et du monde vivant.
Une leçon documentée et pédagogique qui permet de relier deux sujets trop souvent dissociés : la crise écologique et la crise sociale. Et pour ceux qui craignent une crise de dépression en lisant, Hervé Kempf rappelle que ça peut bien finir… pour peu qu’on le veuille !
Comment les riches ravagent la planète, Hervé Kempf et Juan Mendez, Seuil (BD), septembre 2024, 128 pages, 20 euros.
Les dessous de la « parenthèse enchantée de l’abondance »
À quoi jouons-nous avec nos ressources, dont nous savons qu’elles sont loin d’être infinies ? Pour Philippe Bihouix, ingénieur spécialisé dans les ressources minérales et promoteur du low-tech : « chaque fois que nous produisons un smartphone, nous le faisons au prix d’une réduction du matériel pour les dentistes en l’an 2200 ». Il s’en explique dans une manifestation acharnée sous prétexte d’une conversation avec l’auteur de bande dessinée Vincent Perriot, baigné dans la culture de la science-fiction et le culte du progrès technique. Nous confrontons les rêves et les mythes véhiculés par notre société consumériste ou les dogmes libéraux et croissants à la réalité brute des faits, aux nombreuses références et retours dans le -.
En suivant la trame du dialogue entre le (faux) naïf et le (vrai) visionnaire expert, Ressources reprend la recette éprouvée de la bande dessinée Un monde sans fin de Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain. Aussi dense dans ses apports, Ressources est un excellent complément. On est d’autant plus d’accord que la bande dessinée ne se limite pas à des observations mais propose des solutions possibles, techniques au low tech mais aussi comportementales. Et si pour l’année 2025, nous décidions d’être une civilisation plus « sage », c’est-à-dire plus économe avec nos précieuses ressources ?
Les ressources, un défi pour l’humanité, Philippe Bihouix et Vincent Periot, Casterman, octobre 2024, 176 pages, 28 euros.
Quand le travail mange le cerveau
Ici, tous les sens de Joseph, intérimaire, sont abandonnés et disparaissent. Flânant entre une usine de poisson et un abattoir breton, Joseph ressent quotidiennement l’odeur des carcasses éventrées se mêlant à la sueur des ouvriers. Le froid pénètre dans la chair. La chaleur y est étouffante. Le travail y est mécanique, continu, aliénant. Les douleurs musculaires se réveillent un jour, puis les pensées noires arrivent, et finalement elles ne les quittent plus. La réalité est déformée, le sang, les tripes et les restes des animaux qu’il découpe accompagnent Joseph chez lui, jusque dans ses rêves. Et il ne peut pas y échapper. Joseph fait partie de ces personnes précaires qui se trouvent au bas de l’échelle sociale. Un « pro » que personne ne considère vraiment, mais qui fait pourtant tourner la grosse machine. Ce marché mondial qui nourrit les plus riches, alors que lui reste seul avec ses problèmes.
En ligne est à l’origine une autofiction publiée en 2019 par Joseph Ponthus (1978 – 2021), pseudonyme, écrivain français décédé en 2021 à l’âge de 42 ans des suites d’un cancer. Après plusieurs années de travail en région parisienne, Joseph s’installe à Lorient où il intègre une agence d’intérim qui l’emmène dans une conserverie de poisson et un abattoir. Alors que Joseph Ponthus racontait en mots cette expérience aliénante, Julien Martinière, dessinateur et scénariste, entreprend aujourd’hui de la mettre en images dans une bande dessinée éponyme publiée chez Sarbacane. Si la dimension politique semble moins représentée que dans le livre, Julien Martinière réussit à dessiner le cœur des usines agroalimentaires, presque irréelles, oppressantes, inconfortables, qui écrasent autant les corps que les esprits.
Au fil du -, d’après le roman de Joseph Ponthus, Sarbacane, octobre 2024, 208 pages, 25 euros.
La mer, racontée par les êtres qui l’habitent
A quoi ressemble notre océan ? Sous le vent de la mer nous emmène dans un voyage fascinant à travers la vie des créatures marines, présenté en trois parties. Rachel Carson, biologiste marine, raconte dans un texte poétique les histoires entrelacées de trois personnages principaux issus des étendues marines de notre planète. À travers ces récits, Carson nous amène à mieux comprendre ces espèces, leurs voyages migratoires et leurs luttes pour survivre. Elle capte et dessine dans son travail cette immensité méconnue et mal comprise que sont les océans et les mers du globe. Sous le vent de la mer est le premier ouvrage écrit par la biologiste marine Rachel Carson (1907-1964), et sera suivi par Cette mer qui nous entoure et Où finit la mer. Écrivaine américaine, reconnue comme l’une des figures fondatrices du mouvement écologiste moderne, Rachel Carson a travaillé pour l’US Fish and Wildlife Service, une agence américaine, où elle a développé son amour pour l’écriture scientifique. En 1962, Carson publie Printemps silencieux (Ed. Wildproject)un livre important d’histoire environnementale qui met en lumière les dangers des pesticides de synthèse, dont le DDT. Elle expose leurs effets destructeurs sur les écosystèmes et leur impact sur la santé humaine. Ce livre, basé sur des recherches rigoureuses, a déclenché un débat mondial sur l’utilisation des produits chimiques en agriculture. Considéré comme un tournant dans la prise de conscience environnementale, Printemps silencieux a conduit à d’importantes réformes, notamment l’interdiction du DDT dans plusieurs pays, et a largement contribué à la création de l’Environmental Protection Agency (EPA) des États-Unis.
Sous le vent de la mer, Rachel Carson, (Préface de Margaret Atwood, Postface d’Anne Simon), traduction Pierre de Lanux, Wild, octobre 2024, 250 pages, 20 euros.
L’écologie expliquée en bande dessinée
Vous avez quelques vagues souvenirs de vos cours SVT et vous souhaitez rafraîchir vos compétences pour mieux comprendre le défi écologique que nous devons relever ? Alice Outwater, ingénieure en environnement, vous explique tout de manière pédagogique grâce aux dessins de Larry Gonick, scientifique et auteur de bande dessinée, spécialiste de vulgarisation scientifique.
Avec un humour bienvenu, les auteurs expliquent les cycles de l’eau, du carbone, du phosphore, les chaînes alimentaires et les interactions entre biotopes. Mais aussi comment notre espèce humaine a bouleversé tout cet équilibre en quelques siècles avec son développement non durable. Un livre à lire (et relire) de 7 à 77 ans.
L’écologie en bande dessinée, Larry Gonick et Alice Outwater, Larousse, septembre 2024, 217 pages, 19,95 euros.
Après nous, le déluge
Auteur d’un livre choc sur le changement climatique, Tony Pietrus reçoit des menaces de mort. Provocation, canular, avertissement ? Le scientifique, qui avait prédit le chaos à venir, se heurte au déni. Il assiste (et nous avec lui), impuissant, à la destruction de la planète de 2013 à 2040. Des super typhons aux mégaincendies, du complot anti-écologique au capitalisme de surveillance, les catastrophes et les violences poussent l’humanité au bord du gouffre.
Entre Don’t Look Up, Le Ministère du Futur et Exodus, Le Déluge est le roman à lire pour comprendre l’avenir du monde car il mélange les genres et les références. Et malheureusement, il fait très sombre. Particulièrement dense (plus de 1000 pages), Le - y voit un « roman choral monumental et exceptionnel sur un monde qui se noie ».
Le Déluge, Stephen Markley, traduction Charles Recoursé, Albin Michel, août 2024, 24,90 euros
Une enquête à l’échelle des enfants sur les limites planétaires
Dans combien de forêts coupées les animaux sont-ils en danger ? Combien de produits chimiques la planète peut-elle tolérer ? Une équipe internationale de chercheurs a répondu à toutes ces questions ! Mais pour découvrir les réponses et savoir comment protéger la planète et les êtres vivants qui la peuplent, vous devrez mener l’enquête, accompagné de Camille et Loulou.
Un livre d’investigation pour découvrir l’écologie écrit par la journaliste scientifique Audrey Boehly qui nous avait déjà émerveillé avec son podcast Dernières Limites et le bel univers graphique de Lou Rihn. Nous l’adorons !
Une planète habitable pour tous ? : Mène l’enquête sur les frontières planétaires, Audrey Boehly et Lou Rihn, septembre 2024, Quelque chose Pour comprendre18,50 €
Illustration : Toile