les gagnants des livres en première ligne

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les gagnants des livres en première ligne

Le nouveau ministre de l’Éducation nationale Anne Genetêt a officiellement affirmé le 12 novembre sa volonté de poursuivre le « choc des savoirs », annoncé par son prédécesseur, Gabriel Attalen décembre 2023.

Initialement attendue à la rentrée 2024, cette série de réformes devrait relancer l’édition scolaire et, par ricochet, l’activité des librairies à succès. Ces marques sont chargées de distribuer les manuels scolaires imprimés, leurs versions numériques et autres ressources pédagogiques aux établissements d’enseignement. Ils dépendent souvent des marchés publics, mais pas seulement, puisque des contrats sans appel d’offres sont conclus.

Le dénominateur commun entre ces librairies est que leur marché est fortement dépendant des réformes de l’éducation nationale. « Nous sommes dans une année creuse, tout le monde attend des réformes et des orientations, car nous manquons de visibilité » prend en charge Thierry Damagnezà la tête de la librairie Cufay. Son entreprise dessert près de 2 500 communautés ou associations de parents d’élèves, dont 1 500 collèges. Lors de la dernière réforme des collèges en 2016, le chiffre d’affaires de l’entreprise était d’environ 28 à 29 millions d’euros, soit deux à trois fois le chiffre actuel. « Toutes les matières et tous les niveaux ont été impactés cette année-là. La plupart des livres en circulation datent encore de cette réforme, qui remonte à la présidence de François Hollande. Personne ne veut racheter des collections de livres avec l’arrivée d’une réforme à venir », souligne le spécialiste.

Un atelier de formation Tabuléo.- Photo DR

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Le même constat est fait au sein de la librairie scolaire LDE, qui se distingue de ses confrères adjudicataires puisqu’elle ne répond pas aux appels d’offres. Son directeur, Frédéric Fritschobserve une baisse des achats de manuels papier dans les lycées depuis 2021 : « Si les éditeurs ne sont pas amenés à produire de nouveaux manuels faute de réforme, il faudra se poser la question de l’usure des manuels. » Dans l’industrie, la durée d’utilisation typique d’un manuel se situe entre cinq et six ans. “Au collège, les manuels n’ont pas été renouvelés depuis presque dix ans, le marché du réapprovisionnement ne suffit pas”, insiste le fondateur de LDE.

Yves Morel, gérant de la librairie eMLS. – Photo © JEAN-BERNARD STIL

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Sur ce marché spécifique, les années de réforme se font sentir dans tout le monde de l’édition. Lors de la dernière réforme des lycées, mise en œuvre à la rentrée 2019, les écoles sont passées de la cinquième à la deuxième place en valeur sur le marché (soit une croissance de 35,9% par rapport à 2018). Cette année a également marqué un « tournant » numérique, selon Frédéric Fritsch.

Maîtrise du numérique

Depuis plusieurs années, la dématérialisation des manuels et des ressources permet à ces librairies de moins dépendre des réformes, et surtout de diversifier leurs sources de revenus. Le cycle numérique est plus court : la licence numérique est renouvelée chaque année, avec un prix compris entre trois et sept euros. « Le digital est un segment stabilisateur, les achats sont moins importants, mais ils ont lieu chaque année. Ce modèle économique nous permet de retrouver de la robustesse », explique Frédéric Fritsch.

Là encore, l’impulsion politique se fait sentir, comme l’indique le directeur de la librairie eMLS, Yves Morel : « Quand l’espace public est moteur, il fait avancer les choses. » L’ancien fondateur de l’opérateur mobile Bazile a rejoint ce marché en 2020. À la recherche d’un « projet entrepreneurial dans un secteur noble », il reprend eMLS et mène une série d’actions commerciales comme la refonte de l’identité visuelle et la mise en place d’une newsletter. La transition vers le numérique est “un mouvement de fond qui connaît des phases d’accélération et parfois de pause, mais qui va continuer à se développer et à trouver un équilibre”, soutient le gérant.

Frédéric Fritsch, directeur de la librairie scolaire LDE.- Photo DR

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Pour lui, cette continuité s’explique, entre autres, par la réduction des difficultés techniques. Il cite l’exemple du Resource Access Manager (GAR) qui facilite l’accès aux enseignants depuis 2017. Mise à disposition par le ministère de l’Éducation nationale, cette interface fédère près de 9 000 lycées à la rentrée 2023, soit 97% des établissements publics, et plus de 23 000 écoles, soit 51% des écoles publiques. « Ce service a contribué au déploiement de l’éducation numérique en », ajoute Yves Morel.

De son côté, Frédéric Fritsch estime que le déploiement du numérique a été principalement soutenu par « la construction d’un écosystème technique, pédagogique et commercial respectueux de chacune de ces composantes ». Parmi eux, les GAR, mais surtout les établissements d’enseignement, les éditeurs du secteur, les ENT, l’Éducation nationale ou encore les fournisseurs d’équipements, comme les ordinateurs personnels des étudiants.

Dans les entrepôts de Cufay – Photo CUFAY.

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Un métier en évolution

Le déploiement du numérique nécessite des compétences spécifiques. Les librairies qui vendent des licences numériques proposent des démonstrations de produits et montrent aux enseignants toutes les possibilités d’utilisation d’un produit. Un modèle de support similaire est proposé par Tabuléo. Originaire des Hauts-de-France, cette « librairie numérique scolaire » lancée en 2015 dans le but de simplifier l’usage du numérique dans les établissements. L’équipe Tabuléo assure la formation, souvent en présentiel, des enseignants lors de la reprise du projet par l’établissement et réalise des séances de remise à niveau si nécessaire.

Pour les fondateurs Antoine Dassonville et Gaël Leveneur, “Sans un soutien adéquat à l’utilisation des licences numériques, l’utilisation s’affaiblit.” Les deux hommes proposent également l’interface Tabuléo Connect, permettant aux établissements d’accéder et de gérer l’ensemble de leurs ressources. Elle est principalement destinée au secteur privé, mais les collectivités peuvent demander une interface similaire.

En témoigne le récent appel d’offres de la région Grand Est pour près de 358 lycées publics et privés sous contrat (en 2025 et 2026), soit un nombre estimé à 1 100 000 manuels par année scolaire. L’avis indique : « Le contrat comprend la mise à disposition d’un site de commande pour les lycées, donnant accès à l’ensemble du catalogue de ressources numériques et de manuels scolaires avec un moteur de recherche avancé ; la mise à disposition de licences pour les ressources et manuels numériques et le suivi de leur livraison sur les GAR de chaque lycée ; la mise à disposition de statistiques ainsi que la mise en place d’une hotline interconnectée aux plateformes d’aide scolaire et au portail des lycées. »

A chaque fois, Tabuléo postule aux marchés publics. Ces derniers « ne reprenons souvent qu’une partie de notre activité de librairie à succès, alors que nous allons plus loin dans l’accompagnement », déclarent les deux anciens libraires généralistes, convaincus des bienfaits de ce format : allègement du poids du cartable, accès à des enrichissements multimédias, comme des vidéos et des cartes interactives, des autocorrections ou encore des remontées de notes par les professeurs… Soutenus par le vague numérique, l’entreprise est passée d’un chiffre d’affaires compris entre 2 et 3 millions d’euros en 2019, année de réforme, à “bientôt 8 millions d’euros” en 2024, indiquent ses dirigeants.

Un modèle mixte

Au sein de la librairie eMLS, le numérique éducatif est devenu « prédominante, tandis que la partie papier des manuels scolaires est plus marginale ». Chique papier? « Le papier a sa place selon le public », soutient Yves Morel. Le manager met en avant le critère de ” maturité “. Selon lui, un élève de la classe 6e au collège doit apprendre la culture des livres papier. Mais un élève de terminale doit accéder à des contenus plus riches, grâce aux options offertes par le numérique, et se préparer au monde professionnel de demain. Il ajoute : « L’adoption du numérique dépend beaucoup des conditions et de l’environnement de mise en œuvre, il doit y avoir des garde-fous. »

Dans son réseau, la librairie Cufay constate une stagnation de la demande en matière de numérique au collège. « Il n’y a pas de mouvement d’euphorie autour du numérique, mais plutôt un léger recul » insiste Thierry Damagnez. Il compare la situation à la Suède, qui est revenue sur sa décision d’adopter un modèle scolaire « entièrement numérique ». Après avoir réalisé des évaluations dans le secteur, elle a constaté une baisse du niveau général des étudiants. Le pays décide de changer de politique à la rentrée 2023 pour adopter un modèle mixte, entre manuels imprimés et numériques. Dans une démarche similaire, Frédéric Fritsch souhaite que la France procède à des évaluations « avant de passer à une nouvelle révolution ». Une évaluation pédagogique mais aussi fonctionnelle. Sommes-nous en train de faciliter la tâche des enseignants ? Les communautés obtiennent-elles un bon retour sur investissement ? Les élèves réussissent-ils mieux ?

 
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