Le rappeur franco-rwandais de 42 ans s’impose avec un roman engagé sur le Rwanda où il vit avec sa femme et leurs filles.
Gaël Faye ou Kamel Daoud ? La semaine dernière encore, les pronostics allaient bon train dans tout Paris. Il y avait des spéculations selon lesquelles il y aurait un duel entre les deux auteurs. Si l’un avait le Goncourt, l’autre devait avoir le Renaudot. C’est désormais chose faite. A 12h45, le 122e Le prix Goncourt a été attribué dès le premier tour à Kamel Daoud pour Houris chez Gallimard et le prix Renaudot, par la voix de Jean-Marie Gustave Le Clézio, son président pour cette édition 2024, a été décerné à Gaël Faye pour Jacaranda published by Grasset. The Renaudot Essai prize was awarded to Sébastien Lapaque and the Renaudot Poche prize to Serge Rezvani, for Les Années-lumière, (Fugues collection by Philippe Rey).
Jusqu’au bout, on a cru que Faye remporterait le prix Goncourt. Il semblait aussi avoir le profil idéal : auteur populaire, poète et slameur, best-seller depuis son premier roman adapté au cinéma, au théâtre et en bande dessinée. Cependant, malgré les rumeurs, même Grasset n’y croyait pas. Quand on lui a posé la question « Faye peut-elle gagner le Goncourt ? la maison d’édition a répondu défaitiste : « Tout le monde dit Daoud ». Elle se souvient qu’en 2016, Gaël Faye figurait déjà dans la liste finale Goncourt pour son premier roman. « Petit pays » et finalement reparti bredouille (avec le prix Goncourt des lycéens quand même !) face, déjà, à un auteur Gallimard. Et puis, Jacaranda n’a pas eu besoin du Goncourt pour trouver sa place en librairie : depuis sa sortie en août, le roman s’est vendu à 173 000 exemplaires, avec certaines semaines une pointe à 20 000 exemplaires. Quoi qu’il en soit, le prix Renaudot est un grand prix, qui récompense un ouvrage très jeune mais aussi une maison d’édition. Avec JacarandaGrasset remporte son 3ème prix Renaudot. Le dernier en date était Simon Liberati en 2022.
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Une consécration pour Grasset donc, mais aussi pour son auteur de 42 ans, qui n’écrit donc que son deuxième roman. La précision est importante quand on sait que les jurés y sont très sensibles. En 2017, Olivier Guez remporte le prix Renaudot avec La disparition de Josef Mengele (Grasset) et en 2018, Valérie Manteau l’a remporté avec Le sillon (le trépied). Cependant, de son propre aveu, Gaël Faye ne se considère pas comme un écrivain. Et ce, malgré l’incroyable succès de son premier roman Petit paystraduit en 45 langues, vendu à plus d’un million d’exemplaires, adapté au cinéma, en pièce de théâtre et en bande dessinée.
C’est ce qui fait le charme de l’auteur. 1m93 d’humilité et de poésie. Né en 1982 au Burundi, d’une mère rwandaise et d’un père français, Gaël Faye arrive en France à l’âge de 13 ans en région parisienne. Bon élève, fan de hip-hop et de rap, il s’est d’abord exilé à Londres pour le travail avant de revenir à ses premières amours : la Musique. Lorsqu’il n’est pas en librairie, Faye est rappeuse, compositrice, interprète. Réussi également (il a notamment remporté la révélation scène de l’année aux Victoires de la Musique 2018). Loin de la course à la publication allemande, Faye a pris son temps (huit ans) pour écrire Jacaranda. Un roman inspiré de sa propre vie et de ses liens avec le Rwanda, dans lequel il analyse la reconstruction de ce pays, traumatisé par le génocide des Tutsi en 1994. Coïncidence du calendrier ? L’année 2024 marque le trentième anniversaire des commémorations de ce massacre.
Son histoire : avril 1994. Milan a 12 ans et vit à Versailles entre un père français et une mère rwandaise qui ne lui ont jamais parlé de son pays ni de sa famille. Mais un jour, le Rwanda entre dans leur vie. Un garçon de 12 ans se tient au milieu du salon, les côtes découvertes, un épais bandage sur le crâne rasé. Claude a été blessé pendant la guerre. Milan en fait son frère mais l’enfant a déjà été renvoyé chez lui. Les années passent, les souvenirs aussi.
Nous sommes en juillet 1998. La mère de Milan propose de l’accompagner au Rwanda. Là, l’adolescent découvre qu’il a une grand-mère et un jeune oncle qui ont survécu au génocide. Il rencontre un autre survivant, ami d’enfance de sa mère, qui a perdu ses quatre enfants dans les massacres, vient d’accoucher et retrouve le petit Claude. Au début du livre, Milan regarde Kigali avec des yeux européens. « Des rangées d’eaux sales et d’égouts coulaient entre les maisons aux toits de tôle, des sacs en plastique traînaient dans les gouttières. » Claude enrage. « Vous venez ici en touriste et vous repartez en pensant avoir passé de bonnes vacances. Mais nous ne venons pas en vacances dans un pays de souffrance. Ce pays est empoisonné. Nous vivons avec des tueurs autour de nous et cela nous rend fous. » Milan désapprend ce qu’il pense savoir. Et les années passent. Milan reviendra au Rwanda. Lorsqu’il sera étudiant en droit, rédiger un mémoire sur les tribunaux populaires chargés de juger les génocidaires. Puis, comme l’auteur, il s’y installera définitivement.
“Ce n’est pas un livre autobiographique”, explique Gaël Faye à L’Humanité. Je suis très loin de Milan, le héros. Il y a bien sûr quelques éléments de ma propre vie. C’est une œuvre tissée à partir de faits réels et probables. » Milan regarde, écoute, prend des notes, il décrit la difficile reconstruction d’un pays qui vit trois mois par an en deuil lorsqu’il commémore les massacres de 1994. Dans son numéro du 29 août, Le Figaro écrivait : « A travers une narration bien scénarisée, Gaël Faye tente de dresser un tableau juste et nuancé de la société rwandaise et de son passé, plongeant aux origines de la violence – une longue histoire évoquée à travers les souvenirs de la vieille Rosalie, née en 1895, qui a connu le cour des rois du Rwanda, un personnage dont la vie mériterait à elle seule un roman. »