« Dans un livre, je ne cherche rien, je trouve » – .

« Dans un livre, je ne cherche rien, je trouve » – .
« Dans un livre, je ne cherche rien, je trouve » – .

ELLE. – Quelle est votre expérience en tant que président du jury du Prix Inter du Livre ? La lecture de ces dix romans constitue-t-elle un devoir ? Des devoirs de vacances ?

Isabelle Huppert. Un devoir, car il y a une limite de temps, mais c’est surtout un grand plaisir qui a commencé dès la découverte des lettres des candidats. C’était passionnant de se plonger dans ces lectures préliminaires. Nous comprenons quelle est la ferveur de la lecture.

ELLE. – Si tu devais te définir comme lecteur, tu dirais…

IH Je ne suis pas un lecteur intensif. Je ne lis pas autant que je le souhaiterais, mais je ne peux pas imaginer la vie sans lecture continue. Nous sommes de plus en plus sollicités, par Internet, par les journaux, tout est fait pour vous distraire de la littérature, mais j’essaie de résister. Parce que c’est avant tout un plaisir.

ELLE. – Quelles œuvres ont marqué votre jeunesse ?

IH Et puis bien sûr, il y avait Enid Blyton avec son « Club des 5 » et d’autres mystères. A la fin de l’adolescence, j’ai été transporté par la lecture de Simone de Beauvoir, précédée plus précisément de celle de « Thibault », de Roger Martin du Gard : notamment le personnage de Rachel, dont les cheveux roux m’ont marqué, probablement parce que moi aussi je suis rousse ! Alors donc les « Mémoires d’une jeune fille bien rangée ». Je me souviens très bien de ce que j’ai ressenti en lisant le bonheur qu’elle trouvait dans la solitude, la joie des randonnées au-dessus de Marseille.

A la fin de l’adolescence, j’ai été transportée par la lecture de Simone de Beauvoir

ELLE. – Pour quoi ?

IH Probablement parce que j’avais peur d’être seule. Savoir que l’on pouvait découvrir le monde, seul, et s’en réjouir, était pour moi une porte d’entrée vers la vie.

ELLE. – Quels auteurs vous ont éclairé sur vous-même ?

IH Nathalie Sarrauté. Quand je l’ai lu pour la première fois, j’ai pensé qu’elle abordait la littérature de la même manière que j’abordais le métier d’actrice. Elle transmet la vie sans avoir besoin de créer la fiction d’un personnage, pour qu’on ait l’impression d’accéder à l’essence même d’une personne. C’est ce qui m’a fait dire assez vite que je ne jouais pas des personnages, mais des gens. Je me souviens avoir lu « Enfance » pendant que je tournais en Australie. A partir de cette distance, le livre prenait une place plus précise.

Elle a abordé la littérature de la même manière que moi en tant qu’actrice.

ELLE. – Pouvez-vous lire quand vous faites un film ?

IH Oui bien sûr. Par contre, le théâtre peut m’en empêcher. Quand j’incarnais Bérénice, l’idée que mon cerveau soit traversé par autre chose que le souvenir du texte était impossible.

ELLE. – Comment choisissez-vous vos œuvres ?

IH – J’aime flâner dans les librairies, regarder les titres, les couvertures. Je suis attiré par les livres récents tout en étant tenté par les belles œuvres qu’il me reste à lire, par exemple trouver le temps pour « À la recherche du temps perdu » ! Parfois sur les conseils d’amis, c’est ainsi que j’ai découvert « Le loup et le partisan », de Beppe Fenoglio, un livre extraordinaire sur la Résistance, puis, grâce aux articles, de Jeanette Winterson et Deborah Levy.

ELLE. – Vous incarnez l’une des sœurs Brontë, quel autre auteur aimeriez-vous jouer ?

IH – J’ai aussi joué Ingeborg Bachmann, fascinant. Dans son roman « Malina », elle fait une projection très imaginaire de sa relation avec Paul Celan et Max Frisch et c’est ainsi que je les ai découverts. Jouer un autre auteur… Madame de Staël, peut-être ?

Ça fait aussi un peu peur, tous ces livres devant soi… Aura-t-on un jour le temps de tous les lire ?

ELLE. Ou Joan Didion ?

IH Je vais vous faire un aveu : tout le monde a lu « L’année de la pensée magique », mais moi pas encore ! C’est formidable de savoir qu’il existe des livres qui suscitent un tel engouement et qui restent à découvrir, c’est comme des promesses. Ça fait aussi un peu peur, tous ces livres devant soi… Aura-t-on un jour le temps de tous les lire ? J’aime beaucoup le film de François Truffaut, d’après le livre de Ray Bradbury, « Fahrenheit 451 », qui imagine un monde où tous les livres ont disparu et où chacun en apprend un par cœur pour perpétuer sa mémoire.

ELLE. – Avez-vous rencontré des écrivains ?

IH Oui, Nathalie Sarraute, nous étions proches. J’ai adoré la voir, lui parler. Chaque rencontre avec elle était un moment privilégié. J’ai évidemment connu Marguerite Duras, elle était proche du cinéma. Elle aimait écouter, parler, tout était pour elle matière romantique.

ELLE. – Que cherches-tu dans un livre ?

IH Je ne cherche rien, je trouve ! Ce n’est pas tant ce qu’on raconte, mais la façon dont on le raconte – la définition même de la littérature – qui me touche. Et voilà, je cherche du style.

ELLE. – Votre fille, Lolita, vient d’écrire un conte, « J’ai regardé la nuit tomber » (éd. Stock), un magnifique tombeau pour son tout petit garçon qui n’a vécu que quelques jours. Quels sentiments avez-vous ressentis en le lisant ?

IH J’ai été très touchée par ce qu’elle a dit sur son chagrin, mais aussi par son écriture. Je savais que cette histoire serait émouvante, de par la nature même de son sujet, mais j’étais également émue et admirée que Lolita ait à la fois la force et le talent de la mettre en mots comme celui-ci. Il ne s’agit pas seulement d’une histoire factuelle, mais d’un objet littéraire.

Le cinéma, comme une autobiographie secrète, dont chaque film serait un chapitre.

ELLE. -As-tu déjà pensé à écrire, toi aussi ?

IH Non pas du tout. Parce qu’au fond, le plaisir de la nuance, du décortiquement, du clair-obscur qu’offre la littérature, je le retrouve en jouant. J’arrive à me lancer dans des aventures qui me donnent cette possibilité. Ce n’est peut-être pas tout à fait la même chose qu’écrire, mais ce que j’ai besoin de dire, de me dire, au fond, je le fais de manière assez satisfaisante en jouant. Le cinéma, comme une autobiographie secrète, dont chaque film serait un chapitre.

ELLE. – Relisez-vous parfois certaines œuvres ?

IH Ça me fait toujours rire, les gens qui disent : « Je suis en train de relire Proust » ! J’aimerais avoir ce plaisir, mais malheureusement je n’ai pas assez lu, je ne suis pas encore prêt à le relire.

ELLE. Vous organisez un dîner idéal, quels écrivains invitez-vous ?

IH Simone de Beauvoir, Gustave Flaubert, Philip Roth – je ne sais pas s’il était très drôle, mais quand même –, Saul Bellow, puis Goethe, et Edith Wharton, et Alice Munro, qui vient de disparaître… J’aime beaucoup son actualité . J’aime aussi beaucoup celui de John Cheever, notamment « The Swimmer », à partir duquel nous avons réalisé ce brillant film avec Burt Lancaster. La littérature est un continent infini où il fait bon se perdre et parfois se retrouver.

 
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