La vie new-yorkaise | Echos de l’inspecteur Gamache à New York

Une fois par mois, notre journaliste Richard Hétu nous emmène dans l’actualité de New York, où il vit depuis près de 30 ans.

(New York) Quel est le point commun entre le dramaturge William Shakespeare, l’ancien lutteur Raymond Rougeau et l’inspecteur en chef Armand Gamache, héros des romans policiers de Louise Penny ?

Assis dans un café italien situé à deux pas d’Union Square Park à Manhattan, Jean Brassard répond à cette question en retraçant le fil d’une vie new-yorkaise qui lui a permis de toucher à presque tous les arts vivants.

À son arrivée à New York dans les années 1980, le gamin de Charlesbourg, en banlieue québécoise, peaufine et affine son anglais en étudiant le répertoire shakespearien auprès du regretté John Basil, alors directeur de l’American Globe Theatre.

Dans les années 1990, il acquiert de l’endurance – et pratique l’improvisation – en co-animant avec le neveu de Johnny Rougeau les interminables galas de la World Wrestling Entertainment, présentés sur la chaîne française du géant de la lutte professionnelle.

PHOTO FOURNIE PAR RICHARD HÉTU, COLLABORATION SPÉCIALE

Jean Brassard et Raymond Rougeau

Aujourd’hui, sa parfaite maîtrise de la langue de Shakespeare et son inspiration lui servent à merveille dans l’un des rôles les plus récents qu’il décroche : narrateur des versions audio des best-sellers de Louise Penny destinées au public anglophone.

« Dans ce cas, je suis l’homme de la situation ! », lance Jean Brassard, d’un air malicieux, entre deux bouchées d’un panini au thon.

Il a été choisi parmi plusieurs acteurs québécois pour raconter le 19e enquête de l’inspecteur Gamache, Le loup gris (Le loup gris), sorti fin octobre, ainsi que ses suites. Il remplace l’acteur britannique Robert Bathurst, narrateur des 13 enquêtes précédentes, dont Louise Penny a choisi de se séparer après avoir exprimé le désir de confier la narration de la version originale de ses romans à un acteur québécois.

Une créativité débordante

« Les histoires de Louise sont tellement ancrées dans la culture québécoise, dans la langue québécoise, même si elle écrit en anglais », raconte Jean Brassard. « Elle pimente constamment son récit avec des mots ou des lignes en français. À l’oreille, cela doit sonner vrai. Ils m’ont fait écouter des livres de narrateurs précédents. En effet, il y avait des endroits où cela semblait faux. »

La narration de livres n’est qu’un aspect de la vie professionnelle de Jean Brassard, dont la première base aux États-Unis fut le Boston Ballet, à 21 ans. À New York, il joue au théâtre, fait du cabaret, chante Montand, Aznavour et même Vigneault.

Il a également enregistré ses propres chansons, écrit des pièces de théâtre et joué plusieurs seconds rôles à la télévision et au cinéma. Récemment, il faisait partie du casting du film Oh, le Canada de Paul Schrader et la mini-série L’artistequi sera présenté en première au printemps 2025 sur la nouvelle plateforme de streaming The Network1.

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Jean Brassard chantant Montand

« J’auditionne constamment. Parfois je travaille, comme les autres acteurs ! », s’amuse Jean Brassard, résumant sa démarche.

« Malgré tout cela, j’essaie toujours de mener mes propres projets. Je viens de terminer la première ébauche d’une pièce de théâtre. J’ai un autre projet en cours dont je ne peux encore rien dire. Parfois, on se dit : « Mais tu ne pourrais pas te concentrer sur une seule chose ? Mais ce n’est pas moi. Ma seule chose est la créativité. Dans mon cas, ça sort de toutes parts et de toutes parts ! »

Un choix « inspiré »

Mais la narration des romans de Louise Penny présente à ses yeux un défi particulièrement passionnant. Selon ses calculs, lorsqu’il entra dans le monde de l’auteur anglo-québécois, il avait déjà 80 livres à son actif comme narrateur. Il s’agit notamment de la traduction anglaise des mémoires d’Emmanuel Macron, Révolutionet celle du roman qui a valu à Nicolas Mathieu le prix Goncourt 2018, Et leurs enfants après eux.

« Le fan club de Louise est immense, explique Jean Brassard.

Ils sont comme des fans de catch ! Ils connaissent le monde de Three Pines par cœur [village fictif des romans de Louise Penny] et les enquêtes de l’inspecteur Gamache.

Jean Brassard, narrateur audio de Le loup gris

Les auditeurs anglophones des versions audio des romans de Louise Penny connaissaient également très bien Robert Bathurst, le narrateur précédent. Après lui avoir réservé un accueil froid, voire hostile, ils ont fini par s’habituer à la voix de cet acteur qu’on a notamment vu dans Abbaye de Downton.

«Il y avait encore une certaine inquiétude quant à la manière dont serait accueilli un nouveau narrateur», raconte Jean Brassard. « C’était un défi supplémentaire que je n’avais jamais eu à relever : apporter quelque chose de nouveau en tant que narrateur tout en préservant l’intégrité de cet univers et de ces personnages. »

Spécialistes des magazines Audiophilequi répertorie les versions audio de livres publiés aux Etats-Unis, ont été conquises. Ils qualifient d’« inspiré » le choix de Jean Brassard comme narrateur du 19e enquête menée par l’inspecteur Gamache. Et ils lui ont décerné un Headphone Award pour la meilleure version audio de l’année dans la catégorie roman policier ou roman à suspense.

« Les accents de Brassard, qu’ils soient canadiens-français, italiens ou français continentaux, créent des personnages indélébiles », écrit le magazine avant de conclure sa critique par ces mots : « Passionnant et divertissant.2. »

«Enfin un narrateur québécois»

Les avis étaient plus partagés parmi les auditeurs, selon Jean Brassard, qui a parcouru les réseaux sociaux pour jauger leurs réactions. Il avait été prévenu.

« Lorelei King, la réalisatrice avec qui j’ai travaillé, m’a dit : ‘Quand Robert Bathurst a commencé [après le décès du premier narrateur]Les fans de Louise l’ont assassiné. C’était l’horreur. Les fans se plaignaient : « Nous ne pouvons pas écouter ce nouveau gars. » Finalement, ils se sont habitués à Robert. »

PHOTO RICHARD HÉTU, COLLABORATION SPÉCIALE

Le narrateur audio de Le loup gris, Jean Brassard (à droite)

Dans mon cas, ce n’est pas aussi grave que cela aurait pu l’être. Nombreux sont ceux qui se réjouissent d’avoir enfin un narrateur québécois capable de prononcer correctement des mots français, des noms de personnes ou de lieux.

Jean Brassard, narrateur audio de Le loup gris

Le récit du 20e enquête de l’inspecteur Gamache, Le loup noirdevrait commencer l’été prochain. Jean Brassard reprendra alors la routine qu’il a instaurée en juillet dernier lors du 19e enquête. Le matin, il enfourchera un CitiBike, le jumeau new-yorkais du BIXI, pour parcourir la distance entre son appartement du quartier de Chelsea et les studios de la maison d’édition MacMillan, près de Wall Street, où il passera six à sept heures. heures lues à haute voix.

«Le travail que j’ai fait en tant qu’animateur de soirées de combat m’aide», dit-il. Passer trois heures dans les stades à parler sans arrêt, ça donne beaucoup d’endurance ! Souvent, les techniciens me demandent : « Tu veux faire une pause ? Je réponds : « Non, non, c’est bon, on continue. » »

Le plus grand plaisir

Il est fier de la vie artistique qu’il a bâtie à New York aux côtés de son mari, le plasticien David Krueger. Mais le New York qu’il a connu à ses débuts n’est plus qu’un lointain souvenir.

« Pauvre New York ! », s’exclame-t-il lorsqu’on lui demande de revenir sur l’évolution de sa ville d’adoption au cours des 40 dernières années. « Dans les années 80, nous étions pauvres, nous étions jeunes, nous étions artistes. Nous pourrions faire beaucoup de choses avec si peu d’argent. Nous pourrions vivre la vie de l’artiste. C’était vibrant. C’était vivant. Tout est devenu très cher. Vivre à New York est devenu astronomique. »

Mais son plus grand plaisir à New York ne lui coûte rien. Durant l’été, quand son emploi du temps le lui permet, il se rend dans son coin préféré de Central Park, près du Pont des Amoureux. Il y joue des airs empruntés au répertoire de la chanson française avec un accordéon hérité de son père.

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Jean Brassard et son accordéon à Central Park, New York

«Je joue trois ou quatre heures l’après-midi. C’est un plaisir. C’est tellement gratuit. Les gens passent. Les enfants s’arrêtent. Je crée une ambiance. C’est juste par amour d’être là. »

1. Visitez le site Internet de Jean Brassard

2. Écoutez un extrait de la narration audio de Le loup grispar Louise Penny

 
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