Alia, 10 ans, s’est réfugiée dans la discothèque la plus célèbre de Beyrouth

Alia est une petite célébrité ces jours-ci au Skybar, l’une des discothèques les plus branchées de Beyrouth.

A 10 ans, cette petite brune aux yeux noirs pétillants déambule dans les couloirs de la discothèque comme si elle était la maîtresse des lieux. Elle salue les employés par leur prénom. Ils la saluent avec le sien.

Pourtant, Alia n’est qu’un enfant parmi tant d’autres qui ont trouvé refuge, avec leurs parents, dans cet imposant édifice cylindrique, réputé pour ses nuits de feu.

En effet, le Skybar, situé en bord de mer, face au centre-ville, s’est transformé du jour au lendemain en refuge improvisé pour quelque 450 personnes déplacées par la guerre menée par Israël, dont 120 enfants.

Des enfants jouent dans la cour devant le Skybar, au centre-ville de Beyrouth.

Photo : Radio-Canada / Rania Massoud

Pendant que les amis d’Alia jouent au ballon ou au chat et à la souris dans la cour asphaltée, la petite fille veut me faire visiter les lieux. Fils Barre du ciel.

Le petit guide me prend la main et m’entraîne dans l’antre de la discothèque. Viens avec moime dit-elle, presque comme un ordre.

Nous franchissons les quelques marches avant d’entrer dans une immense salle entièrement peinte en noir et éclairée par un éclairage blanc très froid.

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Vue générale de l’intérieur du Skybar.

Photo : Radio-Canada / Rania Massoud

C’est la piste de danse.

Alia ne le sait pas, mais il y a quelques semaines à peine, le sol en béton que nous venons de traverser tremblait encore sous les pieds d’un millier de fêtards hypnotisés par les spectacles de lumière et de laser.

Aujourd’hui, ce même sol est tapissé de matelas de fortune.

C’est ici que la plupart des gens dorment la nuitM’explique Alia en désignant des alcôves de fortune formées de canapés et de tables hautes autrefois utilisées par les oiseaux de nuit pour poser leurs boissons.

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Cette discothèque accueillait plus de 1000 personnes chaque week-end avant le début de la guerre.

Photo : Facebook/Skybar

Le bar, tout au fond de la salle, ne sert plus de cocktails. Sortie bouteilles de champagne. C’est l’heure des bouteilles.

Alia et moi dévalons les escaliers jusqu’à une mezzanine surplombant toute la scène. C’est la section VIP. C’est ici que je dors avec ma sœur Khawla [8 ans] et mon frère Abbas [5 ans]s’exclame fièrement la petite fille, née d’une mère éthiopienne et d’un père libanais.

Ses parents dorment dans un abri improvisé recouvert d’une bâche en plastique sur le parking arrière du Skybar, près de la porte des coulisses.

Tous deux sont malades et ont besoin de repos, loin du brouhaha des enfants grouillants. Sa mère, Rita, une petite femme au corps fragile, souffre d’un cancer généralisé. Son père, Fadel, souffre d’un cancer de l’estomac.

>>Une femme en tchador et une autre portant un voile devant l’entrée du Skybar.>>

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La plupart des personnes déplacées ayant trouvé refuge dans la célèbre discothèque de Beyrouth sont des femmes et des enfants.

Photo : Radio-Canada / Rania Massoud

C’est un miracle que nous soyons toujours en vieme confie Rita, visiblement souffrante, assise sur une chaise à côté de sa fille.

Cette famille de cinq personnes est arrivée en catastrophe à Skybar dans la soirée du 22 octobre, lorsque leur immeuble, dans la banlieue sud de Beyrouth, a été touché par trois missiles israéliens. Le premier projectile a fracassé le mur derrière Aliadit sa mère, et les deux autres ont atterri chez leurs voisins du dessus, provoquant l’effondrement du plafond.

Rita se met à pleurer quand elle se souvient de cette soirée maudit.

>>La jeune Alia baisse les yeux tandis que sa mère semble regarder au loin.>>

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Alia debout à côté de sa mère, Rita.

Photo : Radio-Canada / Rania Massoud

Je pensais que mes enfants étaient tous morts, dit-elle entre deux sanglots. Après les grèves, je ne voyais plus rien, il n’y avait plus d’électricité. Il faisait très sombre, il y avait de la poussière et de la fumée partout.

Alia l’écoute en se rongeant les ongles.

Finalement, quand j’ai retrouvé Alia, elle était sous les décombres, allongée sur son frère et sa sœur. Mon mari criait : il pensait que nous étions tous ensevelis sous les décombres.

Une citation de Rita, maman de la jeune Alia

Fadila, la tante paternelle d’Alia, s’approche en exhibant son téléphone. Elle me montre une photo de leur immeuble, réduit à néant. Écoute, dit-elle. Tout le quartier a complètement disparu.

>>Une image d'un quartier détruit s'affiche sur l'écran d'un téléphone.>>

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La tante d’Alia montre une photo de ce qui reste du quartier où vivait sa nièce.

Photo : Radio-Canada / Rania Massoud

Alia le coupe. Elle souhaite décrire la scène telle qu’elle l’a vécue elle-même : Lorsque le bâtiment s’est effondré, j’ai vu la rue en feu : des flammes sortaient de l’asphalte.

Puis j’ai entendu une autre explosiondit-elle encore, sans laisser transparaître la moindre émotion. Il s’agissait d’une bouteille de gaz qui a explosé à cause de l’incendie. Des éclats de verre ont commencé à tomber sur nous.

Boom!

L’histoire d’Alia est soudainement interrompue par un bruit fort qui nous fait tous sursauter.

Un pneu de moto vient d’éclater devant nous.

Alia panique. Elle hurle de peur avant de fondre en larmes, enfouissant son visage dans la tunique de sa tante pour étouffer ses gémissements. Maman, maman ! crie-t-elle. Ils frappent tout près, il y a de la fumée, regarde, regarde !

>>Un bâtiment en forme de cylindre noir est illuminé.>>

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Le Skybar vu de l’extérieur.

Photo : Radio-Canada / Rania Massoud

Fadila, sa tante, tente de la réconforter en lui caressant les cheveux. Pourtant, à peine calmée, Alia est de nouveau paniquée lorsqu’elle aperçoit un avion de ligne passer dans le ciel. Elle pense qu’il s’agit d’un avion militaire.

Par la grâce de Dieu, Alia n’a pas été blessée la nuit où sa maison a été bombardée, mais la petite est traumatisée et fait pipi sur elle-même lorsqu’elle a peur. Elle a besoin d’un soutien psychologique.

Une citation de Fadila, la tante d’Alia

moi aussi je suis traumatiséeajouta Rita en essuyant ses larmes avec un morceau de tissu.

Parfois, je me réveille au milieu de la nuit et je me mets à chercher mes enfants, confie-t-elle. Je fais des cauchemars, j’imagine que mes mains sont couvertes de sang. Je ne peux plus fermer les yeux.

Alia dépose un tendre baiser sur son front.

Honnêtement, je ne sais pas comment nous avons survécuLâcha encore Rita, enveloppée dans un pull à capuche rose vif sur lequel étaient écrits trois petits mots en espagnol. Des propos qui sonnent comme un prémonition pour Alia et sa famille.

Vivre la vie. Longue vie à la vie.

Depuis la mi-septembre, Israël mène une guerre ouverte au Liban contre le Hezbollah, qui a ouvert un front avec l’État hébreu en soutien au Hamas au lendemain de son attaque du 7 octobre 2023, lancée depuis la bande de Gaza.

Au total, 1,2 million de Libanais ont été contraints de quitter leur foyer depuis le début de la guerre. Parmi eux se trouvent 350 000 enfants.

Plus de 3 200 personnes ont également été tuées au Liban.

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