Adieu à Roxie, bar lesbien, dans une Chine qui se ferme

LETTRE DE SHANGHAI

L’entrée du Roxie, un bar lesbien de Shanghai, après sa fermeture en juin 2024. HAROLD THIBAULT / « LE MONDE »

Il y a eu des éclats de rire pour couvrir la douleur, pas mal de verres et des câlins. Les habitués se sont raconté à quel point ce lieu comptait pour eux. Lors de deux soirées de célébration mémorables, le samedi 15 juin et le dimanche 16 juin, les Roxie ont fait leurs adieux. L’endroit n’était pas immense, un peu plus de 100 m2, mais en neuf ans, c’était devenu une institution pour les lesbiennes de Shanghai. L’acoustique laissait la possibilité de se parler malgré la bonne musique, les lumières tamisées ajoutaient à l’ambiance, le long bar face au mur de briques grises permettait de s’appuyer sur les coudes.

Dans le quartier branché de Jing’an, dans la rue Kangding qui abrite d’autres lieux de fête, tout le monde ici devait savoir qu’il était accepté. « Tout le monde était le bienvenu, le lieu n’était certainement pas destiné à être un bar réservé aux lesbiennes. Les cocktails étaient bons et pas chers, et tout le monde était traité avec respect »résume un habitué.

La nouvelle est tombée subitement, à travers une annonce sur le compte Roxie du réseau social WeChat. Cette fois, pas de soirées latinos classiques, de soirées célibataires, de soirées projection de films mais un « au revoir soirée » et un autre “dernière soirée dansante”. Le communiqué reprend une formule déjà lue lors de la fermeture d’autres bars LGBT : « À nos chers clients. Pour des raisons indépendantes de notre volonté, trop de raisons, ce soir sera notre dernière nuit. »

Inutile, ni possible, d’en dire plus, tout le monde en Chine comprend ce que signifie un tel message. Des rumeurs courent aussi parmi les anciens fidèles : insonorisation soudain jugée plus aux normes par les pompiers, pressions probables de la police, propriétaire des murs jugeant soudain préférable de mettre fin au bail. La direction du bar n’a pas répondu aux demandes de Monde. Qui pourrait lui en vouloir ?

« Cultiver la masculinité »

En ce dimanche soir de la fin d’une époque, chacun s’est rappelé ses souvenirs, entre deux cocktails et deux pas de danse. « J’avais l’impression que je pouvais y être moi-même », « Je m’y sentais chez moi, c’était notre bar. » « Ils ont peur de tout, ici on parle juste de gens qui s’amusent »» a déploré un habitué.

La Chine n’est pas un pays très religieux, le communisme a largement gommé ce trait, et sa population est plutôt tolérante et ouverte en général, même si elle l’est beaucoup moins dans le contexte familial. Une étude publiée en 2022 dans le Journal des problèmes familiaux menée auprès de 11 000 lesbiennes et gays chinois a conclu que 54 % d’entre eux avaient subi soit des violences, soit des traitements négatifs de la part de leur famille en raison de leur orientation sexuelle.

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