L’empoisonnement mortel de 23 enfants depuis le début de l’année autour de Johannesburg a alimenté une nouvelle vague anti-migrants en Afrique du Sud. Dans le viseur : des étrangers qui tiennent des spaza shops, ces épiceries plus ou moins informelles, qu’une organisation a commencé à chasser de Soweto.
A Naledi, épicentre du scandale sanitaire dans l’immense township, des bandes policières encore visibles indiquent le magasin incriminé, désormais fermé, dans une rue où résonne le chahut de deux cours d’école voisines.
Six étudiants sont morts le mois dernier après avoir mangé des chips. L’autopsie a révélé qu’un pesticide les avait tués sans lien encore formellement établi avec l’épicerie, attaquée et pillée par les riverains le jour du drame.
Selon le vendeur d’en face, même le propriétaire des murs a quitté les lieux par crainte de représailles.
Depuis, sous la pression de dirigeants politiques appelant à augmenter les contrôles ou à interdire aux étrangers de diriger ces entreprises, les autorités ont multiplié les perquisitions.
Mouvements anti-migrants
Comme la semaine dernière à Olievenhoutbosch, près de Pretoria : « Nous avons réussi à fermer six magasins », raconte la conseillère municipale Sarah Mabotsa. « Ils vendaient de la nourriture périmée, des produits de beauté, de la viande, tout cela au même endroit », décrit-elle.
Et quand les autorités ne trouvent rien à redire, une organisation impose sa loi. A Naledi, six magasins viennent de changer de mains, grâce à l’Opération Dudula – « repousser » en zoulou.
Ce mouvement anti-migrants occupe les écrans depuis plus de deux ans pour ses rafles contre les immigrés, soupçonnés de vol ou de trafic de drogue, et prospère dans un pays où les flambées xénophobes sont fréquentes. Comme en 2008 où 62 personnes avaient perdu la vie.
“Nous avons chassé les étrangers”, se réjouit Maphoka Mohalanwani, 54 ans, la nouvelle gérante d’un magasin spaza auparavant tenu par des Ethiopiens à Naledi.
Selon elle, il ne fait aucun doute que les empoisonnements sont « liés aux étrangers ». « Quand les enfants mangent des chips achetées chez les vendeurs ambulants, ils ne meurent pas », assure cette ancienne caissière de supermarché.
Elle est devenue sa propre patronne grâce à l’une des quinze bourses attribuées aux candidats sud-africains pour remplacer des managers étrangers, parfois parfaitement autorisés.
Théories du complot
« Certains magasins ont été fermés par les autorités parce qu’ils ne respectaient pas les lois de ce pays. Certains ont pu rouvrir mais ceux-là, nous y sommes retournés pour faire en sorte qu’ils ferment à nouveau”, a déclaré à l’AFP le président de l’Opération Dudula Zandile Dabula.
La saga spaza monopolise depuis des semaines les bannières des chaînes de télévision sud-africaines. Comme tous les sujets qui font la une de l’actualité, il n’échappe pas aux théories du complot.
Ils divisent la rue en deux, entre ceux convaincus que ces étrangers – pour la plupart éthiopiens, somaliens ou pakistanais – empoisonnent délibérément les Sud-Africains et ceux qui y voient un prétexte pour reprendre ces commerces.
“Nous ne savons pas ce qui cause ces histoires, c’est peut-être vrai, peut-être pas”, demande Zachariah Salah, un employé somalien dans une épicerie de White City, un autre quartier de Soweto.
Une certitude pour lui, le mouvement de remplacement lancé par l’opération Dudula « est tragique pour nous », comprennent les étrangers.
Éliminer la concurrence
« Beaucoup de ces initiatives visent à éliminer la concurrence. Si on s’en prend à un étranger, personne ne proteste”, observe Loren Landeau, chercheuse en migration à l’université du Witwatersrand, évoquant un “calcul purement cynique” et des “histoires qui circulent depuis des années”.
« Bien entendu, la plupart de ces magasins achètent des produits de la moins bonne qualité possible. Mais les magasins sud-africains vendent exactement la même chose. »
Mais à White City, la réouverture, après plusieurs semaines, du spaza ravit les clients, qui peuvent trouver presque tout dans quelques allées seulement. Des sodas aux céréales, des surgelés aux produits ménagers.
“Quand c’était fermé, je devais marcher jusqu’aux centres commerciaux”, raconte Nomsa Skosan, 63 ans, soulagée d’éviter de marcher plusieurs kilomètres.
« Si les produits qu’ils vendent étaient aussi mauvais qu’on le prétend », demande-t-elle, « pourquoi ceux qui les attaquent les pillent-ils ? »
(AFP)