Excellente interview avec Arjun Appadurai

Excellente interview avec Arjun Appadurai
Excellente interview avec Arjun Appadurai

La victoire de Donald Trump le 5 novembre, comme son triomphe de 2016, est souvent décrite comme le résultat de la révolte des Américains ordinaires contre les élites.

Ce genre d’analyse étonne l’anthropologue Arjun Appadurai, qui la conteste.

Ce qui s’est passé, dit-il, c’est qu’une nouvelle élite a chassé du pouvoir celle qu’elle méprise et qui occupe la Maison Blanche depuis près de quatre ans.

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PHOTO FOURNIE BY ARJUN APPADURAI

Arjun Appadurai

“Ce qui est surprenant, c’est qu’on accepte si facilement ou si largement l’idée qu’il s’agit avant tout d’une révolte contre les élites”, a-t-il déclaré dans un entretien.

Présenter le trumpisme comme un mouvement anti-élite est « un élément de la propagande Trump », ajoute celui qui est professeur émérite de médias, de culture et de communication à l’Université de New York.

« Cela vient d’une longue tradition de propagande de droite, qui veut dire : nous parlons pour vous, le peuple, et contre les élites qui vous trahissent, vous trompent, vous font défaut et vous déçoivent. »

J’ai demandé un entretien avec Arjun Appadurai car il s’intéresse depuis plusieurs années aux problèmes des démocraties libérales et à la montée de la colère dans le monde. Et parce que, surtout, il a publié il y a quatre ans un texte dans lequel il affirmait : « nous sommes entrés dans une nouvelle ère, celle de la révolte des élites ».

Sa thèse peut paraître étrange à première vue, mais elle est vérifiée depuis plusieurs années. Et pas seulement aux États-Unis.

De nouvelles élites « soutiennent, entourent, encouragent et flattent les nouvelles autocraties » dans de nombreux pays, a-t-il noté. On pense à Donald Trump aux États-Unis, mais aussi à Narendra Modi en Inde, à Recep Tayyip Erdoğan en Turquie, à Viktor Orbán en Hongrie, etc.

Le phénomène est unique dans la mesure où les membres de ces nouvelles élites revanchistes cachent leur « propre élitisme derrière un discours anti-élite ».

Arjun Appadurai souligne dans une interview que les membres de l’administration Trump cités jusqu’à présent corroborent sa thèse.

Il les décrit comme « un rassemblement choquant d’idéologues », mais surtout comme un groupe dont aucun membre « n’est issu de la base ou des gens ordinaires ».

“Peut-être que dans leur enfance ils ont été proches de la classe ouvrière, mais certainement pas durant leur carrière”, a-t-il déclaré, faisant également référence au vice-président élu, sénateur républicain de l’Ohio JD Vance.

« Le message le plus important est le suivant : nous vous aiderons à lutter contre les élites qui vous ont trahi. Ce qu’ils ne disent pas, c’est : nous sommes désormais les élites qui vont vous trahir aussi, mais nous le ferons à notre manière », ajoute l’anthropologue.

À ses yeux, on vient d’assister aux États-Unis à un exemple de cette révolte des élites en cours sur la planète.

« Une élite est en colère contre la domination à long terme d’une autre élite, l’élite libérale-démocrate », résume-t-il.

Celui dirigé par Donald Trump est composé de nombreux hommes politiques, mais aussi d’entrepreneurs (Elon Musk étant le porte-drapeau le plus flamboyant), de personnalités médiatiques, de membres d’instituts de recherche influents (comme la Heritage Foundation, qui a concocté le controversé Projet 2025) et les chrétiens évangéliques.

Mais pour que l’élite trumpiste l’emporte, il fallait encore que son discours trouve un écho auprès de larges pans de la population américaine. Après tout, le candidat républicain a recueilli plus de 75 millions de voix, soit encore plus qu’en 2020.

L’une des raisons, selon Arjun Appadurai, est que de nombreux Américains partagent les critiques de l’élite trumpiste à l’égard de celle représentée par le duo démocrate Kamala Harris et Tim Walz.

Non pas que ces deux candidats démocrates soient mauvais, a-t-il ajouté. Il pense même que le gouverneur du Minnesota était un choix judicieux en tant que colistier de Kamala Harris.

Mais les dizaines de millions d’Américains qui ont voté pour Donald Trump ont l’impression que les candidats démocrates « appartiennent à un parti, à une idéologie, à un mouvement qui les méprise », dit-il.

Ce sentiment serait partagé, selon l’expert, tant par l’élite victorieuse que par une grande partie de la population.

En bref, tant par « Elon Musk » et d’autres membres de l’élite trumpiste que par « les travailleurs pauvres quelque part en Pennsylvanie, qui sont au chômage ou craignent de perdre leur emploi, qui sont confrontés à des aliments dont les prix sont 28 % plus élevés qu’avant » et qui , pour certains, font partie des communautés touchées par la crise des opioïdes.

Ce sentiment présent chez de nombreux électeurs est stimulé par les politiciens trumpistes, qui jouent efficacement sur le terrain de « l’affect », des émotions, souligne-t-il. Un terrain que « la gauche libérale a abandonné à 100 % ».

«Je suis absolument convaincu que sur les quelque 75 millions de personnes qui ont voté pour Trump, peut-être au maximum 5 millions sont de vrais extrémistes, des théoriciens du complot, des cryptofascistes, des racistes, etc. rejet. Un rejet sur le plan politique, un rejet sur le plan économique. »

Cependant, ce n’est pas comme si les démocrates avaient complètement tourné le dos à une partie de la population américaine. On a même vu Joe Biden, ces dernières années, investir des sommes importantes dans la réindustrialisation de plusieurs États qui votent traditionnellement pour le Parti républicain. En vain.

Le problème est que beaucoup considéreront qu’il s’agit de « miettes qui sortent de la table de quelqu’un qui vous méprise », pense l’expert.

Son diagnostic est qu’il existe désormais, aux États-Unis, « un déficit de dignité ».

Et si les démocrates n’ont visiblement pas encore compris quels moyens prendre pour réduire ce déficit, Donald Trump a su en profiter.

Deux fois plutôt qu’une.

Qui est Arjun Appadurai ?

  • Né en Inde en 1949.
  • Il a obtenu sa licence en histoire à l’université Brandeis (dans le Massachusetts), puis sa maîtrise et son doctorat en pensée sociale à l’université de Chicago dans les années 1970.
  • Il a commencé sa carrière d’enseignant en anthropologie à l’Université de Pennsylvanie en 1976.
  • Il a depuis publié de nombreux essais, dont Géographie de la colère et de la violence à l’heure de la mondialisation.

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