Dans le Michigan, l’amnésie collective des électeurs de Donald Trump

Dans le Michigan, l’amnésie collective des électeurs de Donald Trump
Dans le Michigan, l’amnésie collective des électeurs de Donald Trump
Les images qui illustrent cet article sont du Californien Alex Webb, 72 ans. Cette année, à l’occasion de la fête nationale du 4 juillet 2024, jour de l’Indépendance des États-Unis, le photographe de Magnum s’est rendu à Détroit, la plus grande ville du Michigan, à majorité afro-américaine, et dans les villes alentours, comme Hamtramck. Sa série reflète la diversité ethnique et religieuse des habitants d’un Etat qui a choisi le camp républicain lors du scrutin du 5 novembre. PHOTOS ALEX WEBB / MAGNUM

Cet été, nous sommes allés nous promener avec Patricia. Elle avait besoin de prendre l’air. Elle a 94 ans et vit dans la même petite maison depuis plus de soixante ans, à l’ouest de Détroit, dans le Michigan. Elle a perdu la mémoire immédiate, celle des derniers jours, des dernières heures, mais pas de sa vie. Ce jour-là, le plus simple était de se rendre dans les ruelles de Fairlane, ancienne propriété de l’industriel américain Henry Ford. Ce vaste manoir au bord de la rivière Rouge, entouré d’un parc, est ouvert depuis longtemps au public. Le Versailles local.

La fatigue arrivant vite, il a fallu trouver un banc. La plus proche se trouvait dans la roseraie, facile à distinguer puisqu’un bronze grandeur nature représentant Henry Ford et son épouse Clara contemplant leurs roses, occupe le côté droit. Patricia se raidit. A 1 mètre du banc, elle regarda froidement le couple statuaire et dit : « Ils nous détestaient. » Nous ? « Les habitants de Détroit. Ceux qui travaillaient dans leurs usines. » Elle n’a pas bougé. Elle devait s’asseoir mais elle ne voulait pas être près d’eux, tout comme ils ne voudraient jamais être près d’elle.

Aujourd’hui, Patricia ignore que le milliardaire Donald Trump a été de nouveau élu président des États-Unis. Elle l’a déjà oublié. Mais soudain, sa mémoire semble la plus forte de toutes. Plus solides que ceux des innombrables travailleurs du Michigan, des États voisins de l’Ohio ou de la Pennsylvanie qui croyaient que Trump s’intéressait à leur sort, plus solides que ceux des électeurs du Missouri qui, en votant pour le candidat républicain, exigeaient, par une référendum local, augmentation du salaire minimum qui n’était prévue que dans le programme démocrate. Plus solide également que celui de Kamala Harris, qui parlait de Trump comme d’une anomalie. “Ce n’est pas nous” a lancé la candidate démocrate lors de son dernier meeting. Et pourtant, oui.

Un pays obsédé par la conquête

Trump n’est pas une aberration dans le paysage américain. Il en est même le pur produit. Il n’a rien inventé, contrairement à Henry Ford ou Steve Jobs, qui a construit son héritage dans les tours dorées de l’immobilier et de la télévision dans les années 1980, mais c’est suffisant pour incarner le succès. Et elle est le moteur de ce pays obsédé par la conquête. Elle, le rêve des chercheurs d’or et de toutes les populations venues ici en quête de prospérité. Elle, à qui l’on doit des personnes très riches faisant inscrire leurs noms en majuscules dans toutes les salles des musées, ainsi que sur les frontons des hôpitaux. Elle qui finance et contient la démocratie avec des millions de dollars. Elle coule encore et encore sur les immenses panneaux publicitaires qui bordent les autoroutes, sur lesquels des avocats dotés de super pouvoirs promettent de vaincre l’adversaire, quel qu’il soit.

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