Alors que la COP29 a débuté à Bakou il y a deux jours, le rapport Budget carbone mondial révèle que les émissions d’équivalent CO2 ont augmenté de 2% à l’échelle mondiale entre 2023 et 2024. Elles reviennent au rythme moyen observé au cours de la décennie 2004-2013 et s’éloignent de la réduction annuelle de -3,9% qui serait nécessaire d’ici 2050 pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. temps. C’est la principale leçon de ce rapport réalisé par une équipe internationale de plus de 120 scientifiques, qui fournit depuis près de 20 ans une mise à jour annuelle des émissions mondiales, évaluée par des pairs.
Sa conclusion pour 2024 : la concentration de CO2 dans l’atmosphère s’élève à 422,5 ppm (parties par million), soit 52 % de plus qu’à l’ère préindustrielle. Si la tendance 2024 se poursuit, il reste six ans avant de dépasser le budget carbone mondial pour limiter le réchauffement à +1,5°C, et 27 ans pour 2°C.
Cette augmentation s’explique par deux facteurs essentiels : une augmentation des émissions liées aux énergies fossiles malgré une forte croissance des énergies propres, et les puits naturels de carbone (océans et forêts) eux-mêmes victimes du changement climatique et affectés par des incendies extraordinaires, qui ne sont plus en mesure de de jouer leur rôle aussi efficacement.
Le probable pic chinois des énergies fossiles
Les émissions des énergies fossiles continuent d’augmenter, légèrement pour le pétrole et le charbon (sauf en Inde), plus fortement pour le gaz naturel, dont les émissions ne font que diminuer au sein de l’Union européenne.
Celles du ciment, matériau issu de la combustion d’un composé calcaire lui-même transformé en clinker, qui représente 4 % des émissions mondiales, sont également prises en compte. Leur baisse spectaculaire (-8 %) en Chine », sans doute sous l’effet conjugué d’une crise du bâtiment liée au ralentissement économique et d’une réglementation mise en place par l’Etat », pour Pierre Friedlingstein, du Systems Institute d’Exeter, qui a dirigé l’étude, induit une baisse de -2,8% à l’échelle mondiale.
De manière générale, les émissions chinoises n’augmentent que très légèrement (+0,2%), et « on peut espérer que la Chine ait atteint son pic de consommation d’énergies fossiles », veut-il croire. Avec un tiers (32 %) des émissions mondiales, les changements de direction de la Chine, quelle qu’en soit la direction, ont un impact considérable sur les développements mondiaux, comme l’illustrent les exemples du ciment et du charbon.
Réélection de Trump : un impact difficile à anticiper
Les émissions américaines (13 % du total mondial) ont diminué de -0,6 %, une baisse imputable en partie à la substitution du charbon par le gaz. Difficile d’anticiper avec précision les conséquences de l’élection de Donald Trump. Même si le ton général n’est plus optimiste depuis une semaine, on peut supposer qu’il ne détricotera pas complètement l’IRA (Inflation Reduction Act), cette politique favorable aux technologies vertes qui a déjà créé 330 000 emplois et attiré plus de 370 milliards d’investissements. aux États-Unis. Mais nul doute qu’elle relancera l’exploitation des énergies fossiles freinée par l’administration Biden, notamment dans l’Arctique en Alaska et dans le golfe du Mexique.
Quant aux conséquences pour le reste du monde, si chacun reconnaît que l’ombre de sa réélection plane sur la COP29 à Bakou, « nous ne voyons pas ce que les Chinois gagneraient à ralentir, alors que leurs technologies vertes sont sur le point de régner de manière hégémonique sur les marchés du monde entier. », estime Pierre Friedlingstein. ” Même pour l’Europe, je veux croire qu’il est trop tard pour faire marche arrière. »
Comment limiter les transitions carbone comme en Inde
En revanche, l’exemple de l’Inde (8% des émissions mondiales), qui voit ses émissions augmenter de + 4,6% en raison de son mix énergétique très carboné, illustre parfaitement la nécessité de mobiliser des fonds auprès des économies développées. pour financer la transition et l’adaptation des pays en développement. Objectif : leur garantir une trajectoire moins carbonée que la nôtre, sinon cela réduirait nos propres efforts à néant. Et c’est là que l’influence américaine risque de peser lourd à Bakou, où l’objectif principal de la COP29 qui s’y tient jusqu’au 22 novembre, est de trouver un nouvel objectif financier pour remplacer celui qui engageait les pays « du Nord » à payer. 100 milliards de dollars par an aux pays du « Sud » entre 2020 et 2025. Un montant qui, selon les experts, devrait être multiplié par dix.
L’Union européenne, qui a enregistré une baisse spectaculaire de ses émissions de 8% en 2023 (5,8% pour la France), s’en sort moins bien cette année (-3,8%), mais reste parmi les plus performantes.
Après un ralentissement directement lié au COVID, les émissions de l’aviation et du transport maritime, comptabilisées à part car non incluses dans les émissions nationales des États, augmentent de nouveau de +13,5% et +7 respectivement, soit 8%, tout en restant 3,5% en dessous de leur niveau. niveau pré-Covid. ” Hormis quelques initiatives nationales sur les vols intérieurs, déjà difficiles à mettre en œuvre, on ne voit aucune volonté de réduire le trafic. », regrette Pierre Friedlingstein.
Préserver les puits de carbone naturels à tout prix
Les émissions liées aux changements d’affectation des sols (forêts, agriculture…) ont diminué d’environ -20 % sur les dix dernières années grâce au ralentissement de la déforestation. Bon an mal an, la reforestation absorbe environ 50 % des émissions liées à ces pratiques. Toutefois, la capacité d’absorption des forêts a diminué de -27 % au cours de la dernière décennie. Quant à leur moindre performance en 2024, elle s’explique principalement par le phénomène El Niño (actif en 2023 et début 2024), qui accroît la sécheresse et la chaleur, notamment en Amérique du Sud et en Asie du Sud-Est, et par plusieurs mégaincendies, notamment au Brésil et au Canada. ” qui ne sont pas tous imputables au changement climatique », selon le professeur Pierre Friedlingstein.
« Sur soixante ans d’observation, la fraction des émissions absorbée respectivement par l’atmosphère (50%), la biosphère (30%) et les océans (25%) reste constante, rassure le professeur. C’est pourquoi il est impératif de préserver ces puits naturels. » D’autant que pour l’instant, les capacités d’absorption des puits de carbone technologiques (dont le captage/stockage de carbone) n’absorbent qu’un millionième des émissions liées aux énergies fossiles !
Autre lueur d’espoir : le découplage entre croissance économique et émissions qui semble se dessiner puisque 22 pays, représentant près d’un quart des émissions mondiales, ont connu une baisse de leurs émissions et une augmentation concomitante de leur PIB en 2024.