Le principe de l’État de droit postule que personne n’est au-dessus des lois. Les électeurs américains ont rejeté ce principe le 5 novembre. En connaissance de cause, la majorité des électeurs américains a choisi d’élire Donald Trump. Ils ont élu un président qui a mené des attaques gratuites contre les juges et le système judiciaire, qui a violé des lois qui ne lui conviennent pas, encouragé des gestes insurrectionnels contre les institutions de l’État et accru la xénophobie et le mépris des membres des minorités.
Il est vrai que la notion d’État de droit est abstraite. Cela ne semble pas pertinent à ceux qui s’inquiètent, à juste titre, du prix de l’essence ou d’autres produits de première nécessité. Il s’agit pourtant d’une condition essentielle au fonctionnement d’une société ouverte et innovante.
Jacques Chevallier, professeur émérite à l’Université Paris-Panthéon-Assas, explique que « l’État de droit implique que ceux qui gouvernent n’aient pas une autorité indivise, mais exercent une fonction encadrée et régie par la loi ». Ce concept, qui trouve ses racines dans plusieurs siècles d’histoire, a été formalisé à partir de la fin du XIXème siècle.e siècle.
Dans une étude qu’il a réalisée pour le Parlement européen, le professeur Han-Ru Zhou, de la Faculté de droit de l’Université de Montréal, explique que le principe a été reconnu par les tribunaux de plusieurs États démocratiques. L’État de droit se caractérise par un ordre juridique composé de lois hiérarchiques (constitution, lois, règlements) dont le respect est garanti par le contrôle de juges indépendants. De la seconde moitié du 20e sièclee siècle, cette notion est comprise comme incluant le respect d’un ensemble de droits fondamentaux tels que les libertés d’expression, de religion, le droit à l’égalité et le droit d’être jugé impartialement.
En imposant le respect de la constitution, des lois et des juges, le principe de l’État de droit protège la souveraineté populaire. Le peuple exerce sa souveraineté conformément à la constitution et aux lois. Loin d’être en contradiction avec la souveraineté du peuple, le respect des lois est la condition de son efficacité. Lorsque le respect des lois n’est pas assuré, toutes sortes de tricheries deviennent possibles.
Le prix à payer
Le rejet de l’État de droit a des conséquences. Lorsqu’un dirigeant ignore les exigences fondamentales de l’État de droit, il se trouve très mal placé pour ensuite prétendre imposer le respect des lois aux autres. Celui qui contrevient aux lois n’a aucune légitimité pour exiger le respect des lois (celles qui lui conviennent) et, par exemple, pour « se débarrasser » des immigrés « illégaux ». En ignorant sciemment cela, les électeurs américains contribuent à saper les fondements mêmes de l’État de droit et de la démocratie.
Le respect du processus judiciaire est une condition essentielle pour participer à l’activité démocratique. Cela ne veut pas dire que les juges devraient être à l’abri des critiques. Il est essentiel de garantir le droit de critiquer les décisions des juges. Mais le dénigrement des juges sans preuves est incompatible avec une société démocratique. Dans une société régie par des lois, il faut accepter que les désaccords soient résolus par des personnes qui décideront, le plus objectivement possible, du bien-fondé des revendications des protagonistes. C’est la moins mauvaise alternative à la violence.
Les médias, parfois qualifiés de quatrième pouvoir, constituent également un élément majeur de l’État de droit. Protégés par la liberté de la presse, ils assurent la production et la diffusion d’informations validées et présentées sous une pluralité de perspectives. Lorsque les médias sont affaiblis au profit des entreprises, comme les réseaux sociaux qui s’efforcent de capter et de promouvoir l’attention des citoyens sans être tenus à des obligations de responsabilité, l’État de droit est affaibli.
Il est évidemment essentiel de renforcer les garanties de responsabilité des juges et des médias. Les processus exigeant une responsabilisation doivent être transparents. Mais pour bénéficier des avantages d’un environnement social dans lequel des personnes indépendantes arbitrent les différends, il ne faut pas tolérer les gestes agressifs, les menaces et les allégations infondées contre les juges, les journalistes et autres organismes chargés de faire la lumière sur les enjeux collectifs et de résoudre les désaccords.
Le respect de l’État de droit nous oblige à supposer que personne n’est au-dessus des lois. Confier de hautes responsabilités à celui qui cultive le discrédit des lois, du système judiciaire et des médias indépendants, c’est accepter que la loi ne doit pas être la même pour tout le monde. C’est accepter l’arbitraire. Benjamin Franklin aurait dit que les États-Unis « sont une république, à condition de savoir comment la conserver ». En approuvant comme ils l’ont fait les attaques répétées contre ce principe inhérent à la démocratie, les électeurs américains ont peut-être initié la fin de leur république. Mais pour ceux qui aiment se faire promettre que le prix de l’essence et des chips vont baisser, cela n’a pas d’importance.