l’essentiel
Un an après l’assassinat de Dominique Bernard et quatre ans après celui de Samuel Paty, l’école est confrontée à une montée inquiétante de la radicalisation chez les jeunes, avec des signalements en constante augmentation. Gilbert Abergel, président du Comité Laïcité République, analyse la menace qui pèse sur nos établissements scolaires. Entretien.
La Dépêche du Midi : Pourquoi l’école républicaine en particulier représente-t-elle une menace aux yeux des islamistes radicaux ?
Gilbert Abergel : L’école est explicitement désignée comme l’ennemi à détruire par Daesh. Après des années de déni, on constate aujourd’hui que certains jeunes préfèrent suivre les injonctions de leur imam plutôt que les conseils de leurs professeurs. Durant les années de crise en Algérie, certains militants poursuivis par le gouvernement algérien ont trouvé refuge en France, notamment en banlieue, où ils ont pu structurer leur réseau.
Depuis les années 1990, de nombreux jeunes ont été exposés à ce discours et en sont venus à s’opposer activement à l’école, cherchant parfois même à la déstabiliser. De récentes enquêtes auprès des enseignants révèlent une inquiétude croissante : un enseignant sur deux hésite à aborder certaines matières d’histoire ou de philosophie et évite les déplacements au musée pour ne pas exposer ses élèves à des œuvres qui pourraient susciter des critiques.
La France est-elle la seule à rencontrer cette menace à l’école ?
La France est une cible privilégiée en raison de son attachement à la laïcité, qui est avant tout un principe juridique. Des lois, comme celle de 2004 et celle de 2021, interdisent le prosélytisme de toutes les religions dans les établissements scolaires. Lorsque la loi de 1905 fut votée, elle visait en premier lieu l’Église catholique ; aujourd’hui, elle s’applique à toutes les religions sans distinction.
Quelles formes de contestation les enseignants doivent-ils gérer au quotidien dans leurs classes ?
Ils commencent par des formes discrètes, comme se boucher les oreilles ou détourner le regard lorsque des sujets comme Darwin sont abordés. Elles évoluent parfois vers des défis directs adressés au professeur, puis, dans les cas extrêmes, vers des menaces, conduisant à des drames. Cette escalade crée un climat où certains élèves franchissent les frontières, transformant l’école, censée être un lieu d’apprentissage, en un lieu de transgression.
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Auparavant, exprimer son désaccord avec « Je ne suis pas Charlie » était rare et stigmatisé ; aujourd’hui, c’est une hypothèse plus ouvertement admise. Quant aux enseignants, ils sont de plus en plus souvent confrontés à des menaces directes de la part de leurs élèves, allant jusqu’à entendre des expressions telles que « je vais vous faire un Samuel Paty ».
Cependant, ces cas restent difficiles à quantifier, en partie à cause de la règle du « pas de vague » qui a longtemps dominé. Après l’assassinat de Samuel Paty, plusieurs centaines de protestations ou de silences ont été enregistrés, même s’il est probable que ce chiffre soit sous-estimé, car les procédures de signalement ne sont pas uniformes.
Quelles mesures pourraient être mises en place pour protéger les enseignants face à cette opposition grandissante ?
Notre société doit s’attaquer au problème et cela commence par la formation des enseignants. Il est crucial de revenir à la formation dans des établissements spécialisés, comme les anciennes écoles normales ou les ESP, pour doter les enseignants des outils nécessaires pour faire face à ces défis.
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La solidarité de la société française envers ses enseignants est également essentielle. Aujourd’hui, l’école est considérée comme une institution fournissant des services plutôt que comme une mission d’intérêt commun, ce qui ouvre la voie à des contestations pédagogiques de la part des étudiants. La loi doit être respectée et il est fondamental de signaler tous les incidents, de porter plainte et de rompre avec la politique du non-flux qui cache les problèmes au lieu de les traiter.