« La situation est tragique, vraiment tragique… » Le Dr Maroun Alam est très inquiet. Lui et un autre médecin sont les seuls à avoir maintenu ouvert leur clinique dans le village de Rmeich, une ville chrétienne située à deux pas de la ligne de démarcation entre le sud du Liban et le nord d’Israël.
C’est l’une des rares localités chrétiennes libanaises situées non loin de la frontière, région à majorité chiite.
Début du widget. Ignorer le widget ?Fin du widget. Revenir au début du widget ?
Pris entre les bombardements israéliens et les tirs de missiles du Hezbollah, la plupart de ces villages ont été vidés de leurs habitants suite à un ordre d’évacuation émis par l’armée israélienne quelques jours plus tôt. Mais Rmeich semble être une exception.
Sur les quelque 10 000 habitants que compte normalement le village, environ 6 000 ont décidé de rester. Les autres ont pris la route qui mène au nord pour se réfugier chez des proches ou dans un couvent, dans des zones plus sûres.
On ne ferme pas les yeux la nuit à cause du bruit des coups de feu et des bombardements
raconte à Radio-Canada le Dr Alam, joint par téléphone. Les grèves sont incessantes tout autour de nous. Je les entends en ce moment.
Je n’exagère pas si je vous dis que nous manquons de tout, absolument de tout. […] Nous avons dû évacuer des femmes enceintes, notamment celles qui doivent accoucher par césarienne, car nous n’avons pas ici le matériel nécessaire. Tous les hôpitaux de la région ont fermé leurs portes.
Vue générale du village libanais de Rmeich
Photo : Getty Images / Chris McGrath
Depuis l’intensification des frappes israéliennes sur le Liban, en représailles aux attaques de missiles du Hezbollah, le ministère libanais de la Santé a évacué les hôpitaux de la zone frontalière avec Israël et a récemment demandé aux établissements de Beyrouth de suspendre les opérations chirurgicales non urgentes pour accueillir les blessés de guerre.
Il y a encore quelques jours, les habitants de Rmeich pouvaient compter sur les services médicaux offerts gratuitement par la clinique itinérante de l’Ordre de Malte, un ordre religieux catholique basé à Rome et actif dans quelque 120 pays, dont le Liban. Cette clinique a cependant dû fermer ses portes au début des opérations terrestres de l’armée israélienne dans le sud du pays, dans la nuit de lundi à mardi.
Le bilan avoisine les 2 000 morts
Le ministre libanais de la Santé a annoncé jeudi que 1 974 personnes avaient été tuées dans le pays, dont 127 enfants, depuis le début des attaques israéliennes au cours de l’année écoulée. Le nombre de blessés s’élève à 9.384. Le gouvernement estime le nombre de personnes déplacées à environ 1,2 million.
La peur de l’exode
Les gens se sentent abandonnés, tout le monde est très pessimiste
déplore le Dr. Naturel.
Même si j’ai les moyens de partir, je ne pourrai jamais quitter le village et abandonner les habitants à leur sort, sans accès à un médecin. Je vous l’ai dit : la situation est tragique.
Ouvrir en mode plein écran
Dr Maroun Alam dans sa clinique. Il est l’un des deux médecins restés dans le village frontalier de Rmeich, malgré la guerre qui fait rage au Sud-Liban.
Photo : Photo fournie par le Dr Maroun Alam
Mais ces derniers jours, la population de Rmeich a augmenté. Mardi, le village a accueilli quelque 800 déplacés fuyant le village chrétien voisin d’Aïn Ebel, l’une des 25 localités libanaises ciblées cette semaine par un ordre d’évacuation de l’armée israélienne.
Mercredi, la moitié de ces déplacés se sont dirigés vers Beyrouth, accompagnés d’un convoi de véhicules de l’armée libanaise, tandis qu’environ 400 personnes ont décidé de rester sur place, à Rmeich, dans l’espoir que la guerre prenne bientôt fin. pour pouvoir rentrer chez moi.
Demain, ce sera peut-être notre tour. Les gens sont inquiets et vivent constamment dans la peur
a déclaré à Radio-Canada le curé du village de Rmeich, Nagib Amil. Ils ne veulent pas abandonner le village.
Nous sommes pris entre deux feux : d’un côté il y a les missiles israéliens et de l’autre les roquettes [du Hezbollah] qui passent au-dessus de nos têtes.
Nous voulons rester neutres
Ouvrir en mode plein écran
Une épaisse fumée noire se dégage après un bombardement israélien visant le village libanais d’Aïta al-Chaab, visible depuis le village de Rmeich. (Photo d’archive datée du 21 novembre 2023)
Photo : Associated Press / Hussein Malla
Ce n’est pas la première fois que les habitants de Rmeich résistent à la tentation de l’exode face à la guerre. Ce fut notamment le cas en juillet 2006, lors de la dernière guerre israélienne au Liban, qui fit 1 200 morts et 4 000 blessés en 33 jours côté libanais.
Nous sommes un peuple pacifiste, il n’y a pas de combattants armés parmi nous, assure le père Amil. Nous voulons rester neutres, nous ne voulons pas nous laisser entraîner dans ce conflit.
Les habitants du village tiennent également régulièrement tête au Hezbollah.
En mars dernier, une bagarre avait éclaté entre des habitants de Rmeich et des hommes armés, soupçonnés d’être membres du Hezbollah, qui tentaient d’installer une rampe de lancement de missiles à proximité du village, non loin des habitations. Le mouvement chiite a toutefois démenti ces informations, affirmant qu’il ne tirait pas de missiles depuis des zones résidentielles.
Ouvrir en mode plein écran
Le père Nagib Amil, à droite, célébrant la messe du dimanche des Rameaux dans une église de Rmeich, le 24 mars 2024. (Photo d’archives)
Photo : Associated Press / Mohammed Zaatari
Un attachement à la terre et aux racines
Lorsqu’on lui demande pourquoi les habitants préfèrent rester chez eux, près de la zone de guerre, plutôt que de chercher refuge dans une région plus sûre, le père Amil assure que les habitants du village sont très attachés à leur terre
. Même ceux qui vivent et travaillent à Beyrouth venaient au village tous les week-ends avant le début du conflit car il fait bon vivre ici.
Et puis, où irons-nous si nous devons partir ? Sommes-nous censés nous réfugier sous les escaliers dans un coin quelque part à Beyrouth ? […] Nous sommes chez nous ici.
Le curé indique cependant que la plupart de ceux qui ont choisi de quitter le village pour s’installer chez des proches loin de la frontière ont besoin traitements médicaux, y compris les personnes atteintes de cancer ou de maladies chroniques
.
Ouvrir en mode plein écran
Les habitants du village voisin d’Aïn Ebel ont dû être transférés à Rmeich en raison d’un ordre d’évacuation de l’armée israélienne, le 1er octobre 2024. (Photo d’archives)
Photo : Reuters
Pas d’électricité, pas d’eau potable, pas d’Internet
Ceux qui restent sont privés de plusieurs services de base, notamment l’électricité et l’accès à l’eau potable.
Et là, depuis plusieurs jours, on est privé d’Internet
a déclaré Gabriel Hajj, un enseignant de Rmeich qui organise l’aide dans le village depuis le début des hostilités à la frontière entre le Hezbollah et Israël, il y a environ un an.
Le Hezbollah a ouvert un front contre l’armée israélienne le 8 octobre 2023, au lendemain de l’attaque sans précédent du Hamas contre l’État hébreu, avec pour objectif affiché de soutenir
la bande de Gaza.
Il n’y a même plus de lait pour les nourrissons à Rmeich
déplore en outre M. Hajj, qui appelle à une intervention de l’armée libanaise pour protéger les citoyens
.
Ouvrir en mode plein écran
Un habitant de Rmeich distribuant du pain dans les épiceries du village
Photo : Reuters / ZOHRA BENSEMRA
Les troupes libanaises sont jusqu’ici restées à l’écart du conflit qui oppose principalement les combattants du Hezbollah aux soldats israéliens, mais jeudi, l’armée libanaise a répondu pour la première fois à une attaque israélienne contre l’un de ses centres à Bint Jbeil, un village situé à environ 8 kilomètres. de Rmeich.
Sous-équipée, l’armée libanaise est déployée dans quelques postes frontières du sud, mais ce sont les quelque 10 000 casques bleus de la mission de maintien de la paix duLUILa FINUL, qui patrouille la frontière avec Israël.
Nous voulons une plus grande présence de l’armée dans notre village pour nous sentir en sécurité, car nous sommes en danger
dit M. Hajj.
Nous sommes encerclés comme sur une île. Nous avons peur de mourir, mais nous ne pouvons pas quitter nos maisons, d’autant plus que la route vers Beyrouth est dangereuse à cause des bombardements israéliens.
Ouvrir en mode plein écran
Des véhicules de la FINUL patrouillent dans le sud du Liban, près de Rmeish, le 12 octobre 2023. (Photo d’archives)
Photo : Getty Images / AFP/CHRISTINA ASSI
Champs brûlés
Même les terres agricoles n’ont pas été épargnées par les grèves, déplore le père Amil.
Nous ne pouvons pas récolter nos olives pour la deuxième saison consécutive à cause de la violence car nos champs sont juste à côté de la frontière.
avec Israël, explique-t-il.
Une grande partie de nos champs ont été incendiés
ajoute-t-il, en raison notamment de l’utilisation de munitions au phosphore blanc par les forces israéliennes, mais aussi de bombes incendiaires.
Ils brûlent des arbres pour empêcher les combattants de se cacher
dit-il encore.
Selon Surveillance des droits de l’hommeL’armée israélienne a utilisé des munitions au phosphore blanc, une arme interdite par le droit international, dans plus de 17 municipalités du Sud-Liban depuis octobre 2023.
Ouvrir en mode plein écran
Des champs en feu après une frappe israélienne non loin de Rmeich, le 4 juin 2024 (Photo d’archive)
Photo : Getty Images / AFP/KAWNAT HAJU
Le phosphore blanc est une substance chimique dispersée par les obus d’artillerie, les bombes ou les roquettes et qui s’enflamme lorsqu’elle est exposée à l’oxygène, précise leONG pour la défense des droits de l’homme dans un rapport. Ses effets incendiaires peuvent provoquer la mort ou des blessures graves entraînant des souffrances à vie.
En attendant, le Dr Alam n’est pas prêt à fermer les portes de sa clinique et affirme soigner les habitants de Rmeich presque gratuit
.
Après un an de guerre, plus personne n’a un sou au village, dit-il au téléphone. Nous faisons de notre mieux pour soigner le plus de personnes possible avec les moyens du bord, encore limités.
Alors tout ce que nous pouvons faire, c’est prier Dieu pour que la guerre se termine le plus vite possible, et en attendant nous vivons au jour le jour. Nous n’avons pas le choix.