Esteban Abadie, le parcours d’une personne résiliente

Esteban Abadie, le parcours d’une personne résiliente
Esteban Abadie, le parcours d’une personne résiliente

Croiser Esteban Abadie et son bandeau noir sur le terrain, c’est risquer de perdre une côte sur un plaquage ou de se faire dégager par les 100 kg lancés à toute vitesse du rapide troisième ligne international (26 ans, 1 sélection). Des attitudes et une agressivité qui contrastent diamétralement avec l’Esteban Abadie que l’on croise dans la vie civile, avec ses yeux bleus et son sourire qui irradient dans toutes les pièces où il entre.

Champion de France de bodyboard en 2011

Il faut dire qu’aussi loin que lui permet sa mémoire, « Este » ne se souvient pas d’avoir passé une seule journée sans rire.

« Mes premiers souvenirs, je les situerais vers 4-5 ans. Soit à Paris, dans le 14e arrondissement où j’ai grandi. Ou à Pila, où nous avions une maison familiale et où je passais toutes mes vacances. J’étais constamment avec Adrien, mon frère jumeau, et nous riions toujours. Une enfance heureuse, pour Le Manseau – “Je suis né au Mans, où vivent mes grands-parents maternels, mais je n’y ai jamais vécu” -, passé entre la Côte Ouest où il est impossible de le faire descendre de son bodyboard (il fut notamment champion de France juniors en 2011) et la capitale.

« La vie est simple, je vais à l’école, je suis avec mon frère, nous avons nos amis, je regarde les matchs du PSG, je joue au football, au judo, au tennis. Nager aussi. Une discipline qu’il pratique 5 à 6 fois par semaine, jusqu’à intégrer un cours de sport-études au collège. “Mais c’est ingrat, tu fais des longueurs, tu es tout seul, tu t’entraînes avant d’aller en cours, c’est affreux.” Et alors qu’il ne voit plus son chapeau et son maillot de bain peints, Esteban Abadie finit par s’essayer à une nouvelle discipline.

Le basket-ball, que Carole, sa mère, pratiquait à haut niveau, puisqu’elle était sélectionnée dans les équipes de France de jeunes, et était même professionnelle au Racing Club de France, avant d’arrêter à la naissance de ses fils en 1997. ? « Avec mes 88 mètres, je ne suis déjà pas le plus grand sur un terrain de rugby, mais alors sur un terrain de basket, je serais certainement le plus petit. Non, j’ai commencé le rugby.

« Les mètres carrés se comptent à Paris ! »

Une décision qui fait sens pour celui qui n’est autre que le fils de Geofrey Abadie, ailier champion de France avec le Stade français (1998) et le Racing (1990).

« Mes premiers souvenirs de rugby ne sont évidemment pas les miens, rit le troisième rang. Et même s’il n’y avait pas de photo ni de maillot de mon père, parce que les mètres carrés se comptent à Paris, je me souviens être allé le voir au stade. Pas au Stade Français, puisqu’il s’est arrêté en 2000, mais dans des petits clubs locaux dans les années qui ont suivi. Je me souviens aussi des plages du Bassin d’Arcachon ou des heures passées à écouter mon père rejouer le match avec ses amis. Ce sont des souvenirs que je chéris.

Le petit Esteban avait alors 11 ans, et il ne le sait pas encore, mais le ballon ovale ne le quittera plus. « Une fois que j’ai goûté au rugby, j’étais prêt à m’orienter vers d’autres sports. »

Ses parents récemment divorcés, Esteban Abadie saute dans la voiture de sa mère pour traverser Paris. Direction Colombes, et l’école de rugby Racing 92. « C’était loin, mais mon père pensait que c’était le meilleur club pour un jeune adolescent. Pendant des années, beau temps, mauvais temps, ma mère faisait une heure et demie de trajet plusieurs fois par semaine pour me permettre de « me rendre à l’entraînement et aux matchs ».

Sélections départementales et régionales, capitaine du Racing pour les jeunes, « Este » se fait vite remarquer. Parce que bon sang, il ne ment jamais ? « Mon père était ailier, j’étais troisième ligne, mais il avait quand même de bons conseils. Et puis évidemment, quand il est venu, j’ai eu envie de donner un peu plus.

6 juin 2015 « tout s’écroule »

Grand espoir du Racing, farceur, hypersociable, étudiant sérieux, Esteban Abadie roule alors sur l’autoroute du bonheur.

Cependant, sa vie a basculé le 6 juin 2015. « Dix jours avant de passer le baccalauréat, j’ai reçu un appel téléphonique de la nouvelle compagne de mon père. Et puis, tout s’est écroulé. » Son père vient de mettre fin à ses jours. «C’est un cauchemar. Je sais que j’ai le bac à passer, que je dois avancer mais… Heureusement, mes amis sont là. Ma copine aussi, que j’ai rencontrée à cette époque. Mais surtout, alors que nous étions déjà très proches, nous nous rapprochons de ma mère et de mon frère et nous avançons ensemble. Dans la douleur, Esteban Abadie a obtenu son bac S avec mention. Et malgré cette éternelle cicatrice, il continue son chemin.

« J’ai 18 ans, le ciel vient de me tomber sur la tête, mais je ne mets rien entre parenthèses. Je suis triste, confuse, en colère, mais j’ai envie d’avancer, donc je continue les cours, le rugby. en fait, c’était ma meilleure thérapie les premiers mois car pendant 80 minutes, tu oublies tes problèmes, tu t’amuses avec tes amis, tu retrouves tes soucis dans les vestiaires, mais le temps d’un match, d’un entraînement… “

Sauf que si son envie de poursuivre son chemin est ferme, la réalité le rattrape malgré lui. « J’ai ressenti de la pitié autour de moi, surtout au club. J’ai lu dans leurs yeux des choses que je voulais éviter. Je ne voulais pas que les gens aient pitié de moi. C’était gentil, mais j’avais besoin de rebondir, de faire mon deuil. Et puis, quand tu viens pratiquer et que tu vois des photos de ton père sur les murs, ça te fait rechuter.

“Ma plus grande force”

(Photo Florian Escoffier)

Et s’il finit par faire ses premiers pas en Top 14 en 2018, Esteban Abadie sait qu’il lui faut un nouvel élan. « Quitter Paris, c’était accepter de m’éloigner de mon monde, mais il fallait le faire. Alors un an avant la fin de mon contrat, j’ai signé à Brive [2019].» Et loin d’un héritage devenu trop lourd à porter, Esteban Abadie se dévoile. Jouez pro. Devient une star du CABCL, puis signe à Toulon en 2023, avant de finalement devenir international lors du Tournoi des Six Nations 2024.

« Repartir de zéro m’a fait le plus grand bien. J’adorais courir, mais avoir des équipiers qui ne connaissaient rien de mon histoire m’a permis de me reconstruire. Et de comprendre certaines choses sur mon père. Comme le fait que je n’étais pas « seulement » un rugbyman… Ce que mon père ne supportait pas, c’était l’après-carrière. Il a vécu le début du professionnalisme, l’explosion, le Stade Français… Et quand on passe du statut de star à l’anonymat, c’est compliqué. Donc son expérience, par exemple, m’a poussé à poursuivre mes études.”détaille celui qui a validé un DUT en technique marketing ainsi qu’un master en commerce et gestion.

« Et puis sur le terrain, c’est aussi devenu ma plus grande force. Je suis tellement fier de porter son nom. En plus, je note toujours un petit mot pour mon père sur mon poignet.

Une parole qui lui donne un supplément d’âme lorsque le match s’accélère, qui le rassure lorsque l’enjeu se tend et qui, d’un seul coup d’oeil, lui permet de repenser au chemin parcouru pour permettre au jeune Esteban de porter l’Abadie. nom au sommet du rugby français.

(Photo Camille Dodet)
 
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