Pourquoi l’économie européenne stagne-t-elle ? Les dirigeants des Vingt-Sept se penchent, inquiets, à son chevet

Pourquoi l’économie européenne stagne-t-elle ? Les dirigeants des Vingt-Sept se penchent, inquiets, à son chevet
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Ils entendront notamment Enrico Letta détailler les conclusions et recommandations du rapport sur l’avenir du marché intérieur commandé par les États membres et la Commission. La semaine dernière, l’ancien président du Conseil italien a tiré la sonnette d’alarme sur la déconnexion de plus en plus marquée de l’économie européenne par rapport à ses concurrents, dont les États-Unis. En 2022, le PIB par habitant des États-Unis était de 76 000 dollars, contre 57 000 dollars dans l’UE. En 2023, le PIB américain a augmenté de 2,5 % ; celui de l’UE de 0,5%.

Le coût de l’énergie, trois à quatre fois plus élevé dans l’UE, est l’une des explications de ce décrochage, mais pas la seule. “D’une certaine manière, le drame de l’Europe est que nous essayons d’être compétitifs tout en voulant conserver notre système de protection sociale, notre marché du travail, etc. Il est donc difficile de rivaliser avec des économies plus dynamiques car elles mettent moins l’accent sur ces aspects sociaux. , les questions d’environnement et de marché du travail… »» déclare Eulalia Rubio, chercheuse en affaires économiques européennes à l’Institut Jacques Delors.

“La déconnexion de l’économie européenne des Etats-Unis est en marche”, prévient Enrico Letta dans son rapport sur le marché intérieur.

1 Pas assez d’investissements privés…

Alors que les Etats-Unis apparaissent comme un eldorado pour les investisseurs, l’économie européenne perd de son attractivité. De nombreuses entreprises européennes prometteuses passent sous pavillon américain ou traversent l’Atlantique, faute d’avoir réussi à lever les fonds nécessaires sur le Vieux Continent. L’un des avantages compétitifs des États-Unis est d’avoir «un marché financier très intégré qui repose sur le capital-risque et pas seulement sur les banques »comme c’est le cas en Europe, “qui ont peur du risque et n’investissent pas suffisamment dans l’innovation », souligne Eulalia Rubio. “En Europe, il est beaucoup plus difficile de trouver des financements et cela coûte beaucoup plus cher en cas d’échec. Nous sommes beaucoup moins ouverts au risque”ajoute Mme Rubio.

Résultat des courses : «Les investissements financiers des acteurs extérieurs à la zone euro ont été fortement réduits tandis que les États-Unis attirent de plus en plus de capitaux du monde entier., ajoute Éric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG School of Management. Dont 300 milliards d’euros d’épargne « européenne » qui traversent l’Atlantique chaque année. “Nous finançons les États-Unis à trois reprises : nous leur achetons des armes, du gaz et nous investissons dans leurs entreprises. »soupire un autre diplomate.

Les Vingt-Sept ont pris conscience de cette réalité et semblent déterminés à achever l’union des marchés de capitaux européens. Objectif : mobiliser une partie des 30 000 milliards d’euros d’épargne européenne. Ouvert depuis dix ans, le projet butait sur des questions telles que les différences dans le droit des faillites ou la question du contrôle. Besoins d’investissement colossaux oblige, l’appétit politique de réussir s’est aiguisé. “C’est une question de survie »assure un autre diplomate.

“La déconnexion de l’économie européenne des Etats-Unis est en marche”, prévient Enrico Letta dans son rapport sur le marché intérieur.

2… ni assez d’investissements publics

Il y a beaucoup moins d’élan pour créer de nouveaux instruments d’investissement public européens, ce dont les États membres « frugaux » – l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas, l’Autriche, les pays nordiques – ne veulent pas. Les concurrents de l’UE financent de toutes leurs forces des secteurs stratégiques. Doté de 370 milliards de dollars, l’Inflation Reduction Act (ACT), à travers lequel les États-Unis financent la transition verte, est un exemple… et un pôle d’attraction pour les investissements européens. “L’investissement public dans la zone euro a souffert quantitativement des restrictions budgétaires. Même si les Etats-Unis ont eu presque systématiquement un déficit public supérieur à celui de la zone euro, la relance budgétaire y est bien plus forte, quel que soit le président. L’attrait du dollar leur permet d’échapper à une crise des dettes souveraines. »souligne M. Dor.

L’Union européenne vient d’adopter la nouvelle version du Pacte de stabilité, qui fixe les règles budgétaires que doivent respecter les États membres de la zone euro. A gauche, nous nous inquiétons que ces règles limitent la capacité de ces pays à investir dans la transition verte, la transition numérique, la défense… »À mon avis, nous devons retravailler le pacte de stabilité. Nous devons, avec des critères clairs et convaincants, pouvoir libérer des contraintes les investissements porteurs de croissance.», estime Éric Dor. Eulalia Rubio espère, pour sa part, que la Commission fera preuve de flexibilité dans son application.

Georg Riekeles, directeur associé et responsable du programme d’économie politique au groupe de réflexion European Policy Center, observe que «les économies chinoise et américaine sont beaucoup plus « dirigistes », avec des objectifs de puissance. Il y a une volonté collective derrière leurs succès ». La création d’un outil européen d’investissement public est, selon lui, «inévitable quand on voit les besoins de financement liés à nos objectifs les plus essentiels. Le manque d’investissement dans la transition verte est de 400 milliards d’euros par an ». Un avis partagé par Eulalia Rubio : même si les réticences de certains capitaux restent fortes »La question n’est pas de savoir si nous allons le faire, mais comment nous allons le faire correctement. Nous allons aller vers des choses plus créatives, plus originales.

Pour Éric Dor, «nous avons besoin d’une véritable réponse européenne à l’IRA. C’est aussi ce que préconisera le rapport Letta, en proposant de créer un mécanisme européen d’aides d’État, afin d’éviter la fragmentation du marché intérieur – le fait que certains pays, comme l’Allemagne ou la France, disposent de moyens plus importants pour aider leurs entreprises. fausser la concurrence. On peut d’ores et déjà prédire que l’idée d’allouer un dixième du montant de l’aide nationale à une cagnotte commune ne fera pas consensus parmi les Vingt-Sept.

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3 Un retard technologique important

L’Union a pris un retard technologique considérable au cours de la dernière décennie. Les plus grandes entreprises mondiales sont les Big Tech américaines, qui dominent largement les pays de l’OCDE. En 2021, les dépenses américaines en recherche et développement (R&D) s’élevaient à 3,5 %, contre 2,2 % dans l’UE. Sans surprise, l’UE, désormais dépassée par la Chine (2,4%), est à la traîne en matière de brevets. Or, “ce qui crée la prospérité à long terme, c’est la capacité technologique, la capacité d’innovation »insiste Georg Riekeles.

« La question n’est pas seulement de savoir si nous avons des fleurons technologiques en Europe. C’est plus profond que ça. Quand on regarde le déficit de productivité, le manque d’évolution de la productivité européenne, la perte de vitesse par rapport aux Américains, c’est en grande partie lié au manque d’utilisation des technologies avancées., poursuit M. Riekeles. Et d’ajouter « on sait que la prochaine bataille sera celle de l’intelligence artificielle (IA) industrielle, mais on ne sent pas cette volonté européenne d’investir dans la productivité de demain ».

4 La question clé de la démographie

Eulalia Rubio met le doigt sur un facteur moins évoqué : «Nous sommes un continent vieillissant. Il est également inquiétant de voir la tournure que prend en Europe le débat sur la migration, ancré sur la question de la protection des frontières, alors que sur le plan économique aussi, nous avons besoin d’une main d’œuvre plus jeune.»

De leur côté, les États-Unis ont développé une politique visant à attirer les cerveaux. “Ils parcourent les talents du monde entier en matière mathématique, scientifique et technologique. »corrobore Éric Dor, qui s’alarme de «la détérioration des compétences des étudiants européens moyens dans ces domaines par rapport à ce qui se passe aux États-Unis ».

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5 Comment l’Europe compte s’en sortir

« L’Europe a aussi des atouts »souligne Eulalia Rubio. Notre marché de l’énergie est mieux intégré que celui des Etats-Unis, notre marché des services aussi, nous avons de meilleures interconnexions en termes de mobilité, nous parlons beaucoup de langues, il est plus facile d’avoir une harmonisation des reconnaissances de compétences. Il ne faut pas tout voir en noir. Mais le message du rapport Letta est que nous pesons de moins en moins et que nous n’avons d’autre choix que d’exploiter au maximum le marché unique ».

L’Union serait incitée à s’intéresser davantage aux Mid caps, entreprises de taille intermédiaire, largement oubliées des politiques européennes, rappelle M. Riekeles. Ces politiques «ont souvent été orientées vers les PME, considérées comme les plus exposées aux crises. Mais ils ne sont pas les plus touchés par les bouleversements économiques et les crises énergétiques.». Mais en réalité, “Les ETI sont les principaux vecteurs de la compétitivité de l’Europe : l’emploi, la productivité, la capacité d’investissement et d’innovation, pour faire face aux grandes transitions.»insiste le directeur associé de l’EPC.

Les dirigeants des Vingt-Sept adopteront jeudi une déclaration sur un Pacte pour la compétitivité, qui concerne le renforcement du marché intérieur, la politique industrielle, le financement, l’énergie… Il sera aussi question de la nécessité de moins et de mieux réguler (air connu). “Quand on est face à un problème, on régule, ce n’est plus tenable”soupire l’une des sources européennes.

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« Il y a un effet cumulatif, mal anticipé et mal géré. Il faut considérer la charge administrative générale liée à l’élaboration des normes. Il ne faut pas tout jeter par la fenêtre, loin de là, mais il y a des questions d’efficacité qui se posent.”dit Georg Riekeles.

En juin, l’ancien président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, présentera un rapport sur la compétitivité, commandé par la Commission. L’Italien devrait proposer à l’Union européenne d’opérer »un changement radical » d’une Europe »[prise] par surprise” par le changement du monde et la férocité de la concurrence à laquelle elle doit faire face, comme il l’a suggéré dans un discours explosif prononcé mardi à Bruxelles, lors de la Conférence de haut niveau sur le socle européen des droits sociaux.

Ces différents éléments doivent alimenter l’agenda stratégique qui fixera les priorités de l’UE pour les cinq prochaines années et qui sera entériné en juin par le Conseil européen. Ce ne sera toujours que «le début d’un long processus »précise un initié. Gardez à l’esprit que le temps joue contre l’Union.

 
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