Le retour d’El Niño entraîne l’insécurité alimentaire et l’instabilité macroéconomique en Afrique australe

Le retour d’El Niño entraîne l’insécurité alimentaire et l’instabilité macroéconomique en Afrique australe
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Conflits, forte dépendance aux ressources naturelles, inégalités économiques et sociales croissantes, croissance démographique galopante et taux de pauvreté élevés… Tels sont les maux auxquels sont actuellement confrontées les économies les plus vulnérables d’Afrique australe.

À ces nombreux défis s’ajoutent les conséquences désastreuses d’El Niño. En entraînant des épisodes de sécheresse, ce phénomène climatique met en danger une sécurité alimentaire déjà fragile et fragilise les économies déjà très vulnérables d’Afrique australe en alimentant l’inflation alimentaire. Les entreprises sont également confrontées à un choc d’offre négatif qui les pousse à mettre en œuvre des mesures d’adaptation coûteuses et réduit la croissance potentielle de l’économie.

Ces pays ont déjà reçu une aide internationale pour faire face aux conséquences d’El Niño, mais l’impact imprévisible du phénomène rend incertain le montant de l’aide nécessaire.

De mauvaises récoltes attendues

El Niño est l’une des deux phases du phénomène climatique ENSO (El Niño-Southern Oscillation). Elle se caractérise par un réchauffement de l’océan Pacifique tropical oriental, tandis que La Niña, la deuxième composante d’ENSO, entraîne un refroidissement de ces océans. El Niño se produit en moyenne tous les deux à sept ans et dure entre 3 et 12 mois. À partir de l’été 2023, El Niño durera très probablement au moins jusqu’en avril 2024 avant que La Niña ne prenne le relais.

Engendrant des précipitations inférieures à la moyenne en Afrique australe, El Niño se manifeste par des périodes de sécheresse. Ainsi, l’épisode de 1991-1992 a déclenché la sécheresse de 1991-1992 en Afrique australe. Plus récemment, l’épisode de 2015-2016 a été à l’origine d’une crise alimentaire mondiale touchant 40 millions de personnes en Afrique australe.

Alors que les trois quarts de la population des économies les plus vulnérables d’Afrique australe sont déjà en situation d’insécurité alimentaire (modérée et sévère entre 2020 et 2022), El Niño pourrait aggraver la situation à court terme. Les épisodes de sécheresse associés à El Niño vont en effet probablement réduire les rendements agricoles, notamment ceux du maïs, dont le cycle végétatif s’étend de novembre à mars, cycle qui dépend à 90 % des précipitations. Or, le maïs représente près de 70 % de la production céréalière de la région.

Il est déjà prévu qu’en 2024 les récoltes de produits de base en Afrique australe seront inférieures aux moyennes initialement prévues, notamment pour le maïs. Ceci est d’autant plus dommageable que les prix du maïs ont déjà atteint des niveaux historiques au Malawi et en Zambie où, courant 2023, ils auront respectivement plus que doublé et triplé (graphique 1). C’est pourquoi, pour faire face à l’urgence alimentaire, le gouvernement zambien a déjà annoncé le 20 février 2024 la suspension de ses exportations de maïs.

Les épisodes passés d’El Niño sont riches en enseignements. Au Malawi, deux événements sur trois ont coïncidé avec une réduction des récoltes de maïs de 22,5 % en moyenne, alors que cette céréale fournit les deux tiers de l’apport calorique national. Les mauvaises récoltes attendues pour 2024 vont donc alimenter la hausse du prix du maïs, renforçant les tensions inflationnistes déjà observées en Afrique australe.

Ménages et entreprises touchés

La prépondérance des céréales, notamment du maïs, dans le panier de consommation des ménages, couplée à une forte hausse de son prix, se traduit déjà par une accélération des tensions inflationnistes dans certaines économies de la région. Ainsi, le Malawi a vu son inflation alimentaire fortement accélérer, passant de 30,5% en janvier 2023 à 43,6% en décembre 2023 (en glissement annuel). Ces tensions inflationnistes pourraient persister car, en plus d’impacter le prix du maïs, El Niño affecte également les prix des autres matières premières alimentaires, expliquant près de 20 % de leurs variations.

Le risque d’une inflation alimentaire toujours élevée dans ces économies vulnérables pénalise donc le pouvoir d’achat des ménages. Et ce d’autant plus que dans les pays à faible revenu, majoritaires en Afrique australe, l’alimentation constitue la moitié des dépenses de consommation des ménages.

En plus de se matérialiser par une baisse du pouvoir d’achat des ménages, El Niño affectera également les entreprises, la production d’électricité reposant en grande partie sur les barrages hydroélectriques. En 2021, l’hydroélectricité est en effet la première Source de production d’électricité pour les pays d’Afrique australe les plus vulnérables (graphique 2), à l’exception de Madagascar où le pétrole occupe la première place. Cependant, avec l’assèchement des rivières provoqué par El Niño, il existe un risque de coupures d’électricité.

C’est ce qui se passe actuellement en Zambie où la grave sécheresse liée à El Niño entraîne des coupures d’électricité pouvant atteindre 8 heures par jour. Ces coupures d’électricité ont de multiples impacts sur l’activité des entreprises. Elles se traduisent par une baisse des temps effectifs d’activité qui pousse les entreprises à investir dans des stratégies d’adaptation en ayant par exemple recours à des générateurs électriques dont l’utilisation entraîne un coût 3 fois supérieur à celui du réseau public électrique en Afrique.

L’incertitude et les coûts supplémentaires générés par les pannes de courant ont également des impacts à plus long terme car ils découragent les investissements des entreprises dans le capital physique, ce qui affecte la croissance potentielle. Ce ralentissement est d’autant plus problématique que les pays disposent de peu de marge de manœuvre budgétaire pour faire face aux multiples conséquences d’El Niño. Dans ce contexte, l’aide internationale est cruciale.

La Nina arrive

Une première aide d’un montant de 12,8 millions de dollars a été débloquée en septembre 2023 par le Programme alimentaire mondial des Nations Unies pour lutter contre la sécheresse provoquée par El Niño au Lesotho, à Madagascar, au Mozambique et au Zimbabwe, permettant de venir en aide à 550 000 personnes. A cette aide d’urgence s’ajoute le plan de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) « Anticiper El Niño : plan d’atténuation, de préparation et de réponse pour l’Afrique australe, 2023-2025 ».

Ce plan, lancé en novembre 2023, vise à réduire l’impact du phénomène El Niño sur les agriculteurs et la sécurité alimentaire des populations les plus vulnérables, nécessitant 128 millions de dollars. Pour ce faire, la FAO suggère, entre autres, de renforcer les systèmes d’alerte existants basés sur la surveillance des conditions météorologiques, de promouvoir des cultures résistantes à la sécheresse et des techniques d’irrigation économes en eau.

Alors que les économies les plus vulnérables d’Afrique australe sont confrontées aux conséquences d’El Niño, elles pourraient bénéficier très prochainement d’un certain répit avec l’apparition de La Niña. Cette deuxième phase de l’ENSO devrait apporter des précipitations supérieures à la moyenne, améliorant la régénération des pâturages et la production agricole, mais entraînant également un risque d’inondations accru.

 
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