Avec plusieurs dizaines de cas détectés chez l’homme en Amérique du Nord, le virus de la grippe aviaire H5N1 représente-t-il la prochaine grande menace pandémique ?
Le fait que ce virus, qui ne touchait à l’origine que les oiseaux, se soit propagé à d’autres espèces, notamment aux mammifères, nous inquiète. Mais, pour l’instant, il n’y a eu que des transmissions d’animaux – bovins ou volailles – à l’homme, et non entre humains, ce qui est rassurant. Un autre élément rassurant est que la plupart des cas sont bénins. Sur 66 personnes infectées, il n’y a eu que deux formes graves, au Canada et en Louisiane. Certes, ce dernier patient est décédé. Il faut toutefois préciser qu’il avait plus de 65 ans et souffrait de comorbidités.
Nous avons également constaté ces dernières années des contaminations humaines en Asie, avec des taux de mortalité élevés. Faut-il s’inquiéter ?
En effet, une résurgence des cas humains d’infections a été signalée au Cambodge. Entre février 2023 et janvier 2025, 20 personnes y ont été testées positives, suite à une exposition confirmée ou suspectée à des oiseaux sauvages ou à des volailles domestiques. Un homme de 28 ans est décédé le 10 janvier après avoir ingéré des volailles infectées. A noter que le virus qui circule au Cambodge n’est pas le même qu’aux Etats-Unis. Il faut aussi être prudent quand on parle de taux de létalité élevés car on n’identifie généralement pas tous les cas et on détecte surtout ceux qui sont graves. Les autorités cambodgiennes et notamment l’Institut Pasteur du Cambodge suivent la situation de très près.
Il suffirait d’une ou deux mutations du virus H5N1, répandu aux États-Unis, pour qu’il soit adapté à l’homme et puisse se transmettre entre humains. Quelle est la probabilité que cela se produise ?
Je ne peux pas vous dire quelle est la probabilité. En revanche, ce que nous avons observé, c’est que les formes graves chez l’homme faisaient suite à une contamination par des volailles, et non par des bovins. De plus, plus de mutations ont été trouvées chez ces personnes que chez les virus circulant chez les volailles. On pense qu’ils sont originaires de l’homme. Une chose est sûre : si de nouvelles mutations apparaissent qui facilitent la transmission entre humains, ce sera un changement considérable. Il faut suivre de très près ces évolutions génétiques et en France nous disposons pour cela de moyens de recherche, de l’Anses, à Ploufragan (22), par exemple, ou de l’Inrae.
Nous pourrons faire mieux que pour le covid-19, même si nous ne serons pas parfaits.
Il y a exactement cinq ans, le manque de préparation du monde face à la pandémie de Covid-19 a entraîné des millions de morts et coûté des milliards d’euros. Sommes-nous mieux armés aujourd’hui pour affronter la prochaine crise sanitaire ?
Même si nous ne savons pas d’où viendra la prochaine pandémie, nous sommes mieux préparés qu’à l’époque du covid-19. Nous avons appris à améliorer nos moyens de surveillance, que ce soit sur les humains, dans l’environnement ou sur les animaux. Des projets ont été lancés pour identifier les mutations permettant aux virus de passer d’une espèce à l’autre. Il y a aussi tout un pan d’innovation, avec des travaux pour développer des vaccins et des traitements contre des pathogènes, répertoriés par l’OMS, dont le potentiel de mortalité serait important en cas d’épidémie. Avec tout cela, nous pourrons faire mieux, même si nous ne serons pas parfaits, c’est sûr. Nous devons encore apprendre.
La lutte contre la désinformation scientifique, notamment sur les vaccins, est-elle considérée comme une priorité face à la menace d’une nouvelle pandémie ?
Le Covid-19 nous a aussi appris à réfléchir aux hésitations vaccinales et des projets ont été lancés sur ce sujet. Par ailleurs, nous sommes en train de créer un groupe pour travailler sur la manière de contrer la désinformation dans un contexte d’épidémie, ce que nous appelons « l’infodémie ».
Un premier cas, en France, du nouveau variant du Mpox (anciennement Monkeypox) a été détecté en Bretagne ce mois-ci. Y a-t-il un risque élevé que cette variante se propage ?
Ce premier cas de « clade 1b », en France, n’est pas le premier en Europe. Il faut faire preuve de modération sur son impact potentiel : le cas identifié en Suède, en août 2024, n’a pas généré d’épidémie. Comme il y en a un, incontrôlé, en Afrique centrale, il est évident que nous aurons des cas ici. Pour les éviter, il est très important que les pays du Nord aident les pays aux ressources limitées dans la gestion de ces épidémies.
-Une nouvelle épidémie de Mpox qui se propage au reste du monde, comme celle de 2022, n’est donc pas possible ?
Nous n’attendrons pas qu’il y ait une épidémie en Europe pour agir. D’une part, la transmission se fait par contact, notamment sexuellement, ce qui rend la lutte plus facile que contre un virus respiratoire. Nous disposons également d’un vaccin, et une proportion importante de personnes à risque ont déjà reçu une injection. Et, lorsqu’un cas survient, on peut leur recommander de ne pas avoir de contacts rapprochés, on peut vacciner leurs proches, etc.
Le changement climatique facilite l’expansion du moustique tigre en France métropolitaine. Sommes-nous à la merci des épidémies de maladies qu’elle véhicule, comme la dengue, le chikungunya et le Zika ?
Il ne faut jamais tomber dans la résignation. Certes, avec le réchauffement climatique et la mondialisation, le risque augmente en France métropolitaine, on commence même à voir des cas de dengue. Mais nous pouvons toujours retarder son arrivée et combattre. Nous avons une stratégie de vaccination qui se développe et il reste nécessaire de détecter très rapidement les malades, d’établir un périmètre, et de procéder à une démoustication.
Quelles autres maladies avez-vous dans vos yeux ?
Nous suivons de près la fièvre Oropouche dont le nombre de cas a considérablement augmenté ces trois dernières années en Amazonie. On a même eu des cas en Guyane. Le virus se transmet par piqûre de moucheron et produit la plupart du temps des formes peu symptomatiques. Mais il subsiste un risque d’encéphalite (inflammation du cerveau) et de transmission de la mère à l’enfant pendant la grossesse, même s’il n’existe actuellement aucun vaccin ni traitement. Nous restons également vigilants face à la hausse des cas de chikungunya à La Réunion. Le laboratoire Valneva a développé un vaccin (un avis de la Haute Autorité de Santé est attendu pour son utilisation). Enfin, nous gardons toujours un œil sur les potentielles épidémies de fièvres hémorragiques en Afrique subsaharienne, provoquées par les virus Ebola et Marburg.
En nous concentrant sur de nouvelles maladies en plein essor, en oublions-nous d’autres comme le sida ? Quels sont les derniers progrès enregistrés ?
Concernant le VIH, il y a deux sujets majeurs. Sur la transmission, tout d’abord, l’appropriation de nouveaux moyens de dépistage est nécessaire par les populations vulnérables. La PrEP (traitements préventifs), injectable tous les six mois, constitue également une avancée majeure, pas encore mise en pratique, mais des projets de recherche ont montré leur efficacité. Avec ces outils, nous pourrions presque arrêter la transmission du VIH. Ensuite, nous devons continuer à travailler sur le vaccin et sur la guérison de la maladie.
Le concept « One Health » est l’une des clés de voûte des travaux de recherche coordonnés par l’ANRS MIE. Comment la santé humaine, la santé animale et l’environnement peuvent-ils être à ce point interdépendants et générer des crises sanitaires ?
Il existe un exemple historique assez parlant avec le virus Nipah, en Malaisie. Dans ce pays, l’élevage porcin s’est considérablement développé, atteignant les habitats des chauves-souris, porteuses de ce virus. C’est ainsi que les porcs ont été infectés. Puis, sur les grands marchés, les porcs en ont infecté d’autres jusqu’à atteindre les humains. H5N1 et Oropouche sont également d’autres exemples pour lesquels des moyens de recherche sont déployés pour séquencer des virus chez les animaux et les humains et explorer leur environnement afin d’y voir ce qui s’y passe.
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