Dès que la nouvelle a été connue, des virologues et épidémiologistes du monde entier ont commencé à examiner son cas. Un adolescent canadien est soigné à l’unité de soins intensifs de l’hôpital de Vancouver depuis le 8 novembre pour une infection par le virus de la grippe aviaire. H5N1. Le jeune homme est dans un état grave.
Il ne travaillait pas dans une ferme, ne s’approchait pas des animaux. On ne sait donc pas comment l’adolescent a été infecté, ce qui inquiète les experts. Surtout, comme l’explique un article publié dans Naturele virus extrait de son corps s’est avéré porteur de mutations qui augmentent sa capacité à infecter les voies respiratoires humaines.
De plus, le fait qu’il souffre d’une détresse respiratoire particulièrement sévère malgré son jeune âge et son bon état de santé initial fait craindre deux choses : que la transmission interhumaine soit désormais facilitée et que l’éventuelle pandémie qui en résulterait virulence dramatique.
Les tests effectués sur l’entourage de l’adolescent ont révélé qu’il n’avait eu le - ni l’occasion de contaminer qui que ce soit. Néanmoins, « C’est exactement ce que nous ne voulions pas voir » a commenté, dans la presse américaine, le microbiologiste SE Hensley, co-auteur d’une étude de référence sur le sujet, dirigée par Jesse Bloom, virologue à Seattle.
Dans une interview pour le magazine santé Statistiquece dernier a expliqué que les récepteurs prédominants dans les voies respiratoires supérieures humaines impliqués dans la propagation de la grippe humaine sont appelés alpha 2-6. Or, les deux mutations survenues dans la version du virus détectée dans les cellules de l’adolescent canadien sont justement connues pour aider les virus de la grippe à s’y fixer (sachant que la grippe aviaire se transmet occasionnellement de l’animal à l’homme mais, jusque-là, jamais avant entre humains).
Le cas inquiétant des travailleurs sans papiers
Interrogé par -Thijs Kuiken, chercheur en pathologie comparée au Centre Erasmus de Rotterdam, assure toutefois ne pas être particulièrement préoccupé par l’évolution du virus observée chez le jeune homme hospitalisé à Vancouver.
« Trouver de telles mutations chez cette personne confirme ce que nous savons déjà : cela peut arriver. Ce ne sont pas tant les cas connus, comme le sien, qui m’inquiètent, car ces cas sont traités de manière appropriée : bons soins cliniques, biosécurité adéquate pour réduire le risque de propagation du virus à d’autres personnes. Mais des cas inconnus ! »
Alors que la grippe aviaire touche actuellement plus de 650 élevages bovins dans 15 États américains, des lots de lait cru contaminés sont rappelés et retirés de la vente, 55 cas humains ont été confirmés… et Vancouver n’est située qu’à 150 km de la frontière américaine, Thijs Kuiken se dit particulièrement préoccupé par les nombreuses personnes qui travaillent sur place, souvent sans papiers ou sous contrat saisonnier.
« Ce qui m’inquiète, ce sont les cas inconnus »
« Des rapports basés sur des entretiens avec des vétérinaires spécialisés dans le traitement des vaches laitières infectées aux États-Unis indiquent qu’ils ont observé des cas humains présentant des symptômes spécifiques dans toutes les fermes abritant des vaches malades. » Cependant, craint-il, ces travailleurs infectés sont visiblement dissuadés de se signaler eux-mêmes. Ils ne reçoivent pas de traitement, et la plupart ne sont pas échantillonnés et peuvent contaminer leur famille ou leur communauté. C’est une situation dans laquelle les adaptations virales peuvent passer complètement inaperçues.
Pression du lobby
Pour Thijs Kuiken, le vrai danger vient de là. Sans compter que l’État fédéral américain ne semble efficace ni en termes de prévention pour barrer la route à l’émergence d’une pandémie, ni en termes de préparation à la crise, si elle survient.
C’est ce que corrobore une vaste enquête réalisée pour le magazine. Salon de la vanité par un groupe de journalistes indépendants aux côtés de dizaines de responsables, inspecteurs, vétérinaires, etc. engagés dans la réponse à l’épidémie de grippe aviaire qui sévit actuellement dans les écuries et fermes bovines américaines.
Il semble que le ministère de l’Agriculture, sous la pression des lobbies, ait voulu à tout prix protéger la commercialisation et l’exportation, quitte à minimiser le danger. De nombreuses agences vétérinaires qui ont tiré la sonnette d’alarme ont été fermées ou réduites au silence par l’administration et les entreprises, avec des menaces de licenciement et d’intimidation.
Au final, les considérations de santé publique se sont retrouvées largement éclipsées par les intérêts financiers du secteur.
A cela s’ajoute que le FDA (Food and Drug Administration) qui réglemente le lait,USDA (équivalent du Ministère de l’Agriculture) qui s’occupe des vaches et des fermes et CDC (équivalent du Ministère de la Santé) qui suit en principe les cas humains, se sont révélés incapables de se coordonner.
La situation pourrait encore se dégrader avec l’élection de Donald Trump. Il a choisi de demander conseil à Sid Miller, commissaire à l’agriculture du Texas. Ce qui prévenait implicitement, il y a peu, les inspecteurs vétérinaires… que s’approcher des élevages pour effectuer des tests de détection sans y avoir été invités risquait d’être reçus à coups de feu.
légende