Travail secret | Broder le deuil – .

Noémie Pomerleau-Cloutier a été engloutie par le projet.

L’auteur connaît bien le chagrin. Son premier recueil de poésie, Remuez le varech, nous plonge dans la tourmente provoquée par la mort de son père. Comme le savent tous ceux qui ont perdu un être cher, le chagrin est une présence qui ne nous quitte jamais complètement. Cet étrange compagnon revient de temps en temps – quand il ne nous hante pas à plein temps – et pourtant on parle très peu de cette relation complexe.

« Il y a tellement de souffrance dans le monde, mais si peu d’espace pour [l’exprimer]. » Déplorant l’isolement provoqué par la sentence, Noémie Pomerleau-Cloutier a choisi de créer un interstice avec Travail secret.

type="image/webp"> type="image/jpeg">>>

IMAGE PRISE DU COMPTE INSTAGRAM OUVRAGESECRET

Une des premières broderies réalisées.

Le défi est audacieux : l’artiste s’inspire d’une quarantaine de témoignages de femmes endeuillées et de personnes non binaires pour écrire autant de poèmes. Ensuite, elle choisit un vers de chacun des poèmes pour en faire le cœur d’une broderie.

Pourquoi 40 témoignages ? Car de nombreuses cultures consacrent traditionnellement ce nombre de jours au deuil.

Pourquoi les femmes et les personnes non binaires ? Noémie Pomerleau-Cloutier estime que « ce sont les gens qui s’occupent, en général ». Bien sûr, les hommes savent être là pour les autres, mais les femmes ont été socialisées pour opter pour des métiers liés aux soins ou pour s’occuper davantage des enfants et des parents vieillissants. Noémie a également été professeur de francisation et formatrice en alphabétisation populaire avant de se lancer dans l’écriture… Et il était difficile de dissocier l’artiste du locuteur lorsque venait le temps de se plonger dans les récits reçus.

La mort d’une sœur, d’un animal de compagnie, d’un enfant, d’un idéal, d’un couple, de l’innocence, de la personne que nous aurions voulu être… Les pertes subies s’inscrivent dans un large spectre de souffrance auquel Noémie n’est certes pas imperméable.

type="image/webp"> type="image/jpeg">>>

PHOTO KARENE ISABELLE PHOTOGRAPHIE, FOURNIE PAR NOÉMIE POMERLEAU-CLOUTIER

Noémie Pomerleau-Cloutier

Et qu’est-ce que la broderie a à voir là-dedans ? Noémie Pomerleau-Cloutier a commencé à s’y intéresser en 2018, alors qu’elle vivait un burn-out professionnel. Elle recherchait une activité qui l’aiderait à recentrer son attention et à réduire son niveau d’anxiété. Ralentir. Celle qui a vu sa grand-mère confectionner des catalonias et sa mère sacrément de nombreux vêtements a opté pour la broderie. Elle a rapidement découvert qu’en gardant ses mains occupées, elle pouvait se vider la tête. Plus encore : que les textiles permettaient l’expression de nombreuses émotions.

Pour cela, Noémie a été captivée par une scène du film Portrait de la jeune fille en feu. On y voit une servante broder tout en discutant d’un sujet extrêmement sensible avec d’autres femmes. « J’ai réalisé que c’était à cela que servaient les espaces pour les aiguilles ! »

Lorsqu’elle retrouve son cercle d’agriculteurs, Noémie Pomerleau-Cloutier travaille dans le textile, mais ce faisant, elle écoute les histoires de sœurs âgées de 30 à 80 ans. Ce sont des espaces de confidences. La broderie était donc un support parfait pour accompagner les poèmes deTravail secretD’autant que comme l’écriture et le deuil, cela prend du temps.

Beaucoup de temps.

En fait, chaque œuvre deTravail secret nécessite entre trois jours et trois semaines de travail. L’artiste de 46 ans travaille actuellement sur la dixième broderie de la série et intègre dans chacune d’elles les souvenirs des participantes. Parfois, les gens lui envoient des morceaux de tissus ayant appartenu à leur proche ou même des photos d’eux. Sinon, Noémie part à la recherche de matériaux recyclés qui feront écho aux témoignages reçus. Par exemple, une femme lui a raconté qu’elle pleurait beaucoup dans une robe de chambre en velours violet. L’auteur a cherché jusqu’à ce qu’elle trouve des bas en polaire usagés de la texture et de la couleur parfaites pour incorporer des fragments dans sa broderie.

C’est beaucoup de délicatesse.

«J’essaie d’aborder les gens avec le plus de bienveillance possible», répond Noémie Pomerleau-Cloutier. Le monde est déjà assez laid, nous n’avons pas besoin d’en rajouter. Parfois, en littérature, cela peut apparaître comme de la sentimentalité ou de la complaisance. « Ce livre sera certainement plein de bons sentiments ! » » Oui, c’est plein de bons sentiments, mais c’est aussi l’affaire la plus violente que j’ai jamais vécue. »

Se plonger dans la perte des autres, c’est nécessairement rouvrir ses propres blessures. Si Noémie se faisait avaler par elle Travail secretMais elle avance avec une nouvelle certitude : « Nous sommes liés. Tout le monde. Par nos maux, nos mécanismes de défense et notre résilience. »

Tant que vous marchez dans la même douleur, autant prendre le temps de vous observer blessure par blessure.

Voir la broderie deTravail secret

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV Pr Jean-Arthur Micoulaud-Franchi, spécialiste du sommeil et chercheur en médecine thermale
NEXT Le crack et la cocaïne explosent en Suisse et cela s’explique – .