Marcel Pagnol, “c’est Molière avec sa troupe !” » – .

Tdix ans après « Pagnol Inconnu », vous récidivez avec « Pagnol : Gone with Glory » (1). Avez-vous enrichi votre documentation ?

J’ai accumulé des lettres, des témoignages. Je suis journaliste, pas universitaire, j’aime raconter de belles histoires, qu’elles lisent comme un roman. Jacqueline Pagnol, sa dernière épouse, son petit-fils Nicolas Pagnol, a également retrouvé des échanges mails avec Raimu, Cocteau…

Vous êtes né à Aubagne, signe du destin ?

J’ai galopé en couches dans des lieux chers à Pagnol, je suis née à 10 mètres de sa maison natale. Mon oncle habitait près de la ferme du puisatier, j’allais jouer près de la ferme d’Angèle, mon école était celle de Marcel Pagnol, elle s’appelait encore Lakanal. Quand on naît à Aubagne, on naît avec Pagnol. Cependant, Aubagne n’a pas toujours aimé Pagnol, il avait une image bourgeoise, qui n’allait pas bien dans ce village de tradition communiste.


Jean-Jacques Jelot-Blanc a écrit de nombreuses biographies de personnalités marquantes du monde de la musique et du cinéma.

©Arnaud Février/Flammarion

« Marcel Pagnol, c’est Molière avec sa troupe ! »

Pourtant Pagnol représentait des gens simples, des villageois, des paysans…

Pagnol était, comme le disait son ami Cocteau, un merveilleux menteur, il l’embellit ! Il a raconté par exemple que sur le tournage de “Merlusse”, ils étaient agacés par le chant des cigales. En décembre ? Mais grâce à lui, le monde entier a découvert la belote, le pastis et la pétanque. Je suis toujours surpris de rencontrer des Texans ou des Sri Lankais qui connaissent Pagnol.

Hélène Lazareff l’a harcelé pendant des semaines pour lui livrer les premières feuilles de ses “Souvenirs d’enfance” pour “Elle”.

Qui deviendront les légendaires « La Gloire de mon Père », « Le Château de ma Mère » et « Le Temps des Secrets ». Il pourrait tergiverser !

« Grâce à lui, le monde entier a découvert la belote, le pastis et la pétanque »


Jean-Jacques Jelot-Blanc est né à Aubagne, au cœur de l’univers Pagnol.

Privé

L’arrivée du cinéma parlant n’a pas réjoui tout le monde. « René Clair aimait le silence, j’aimais les dialogues, je suis sûr qu’il a filmé “Silence Is Gold” juste pour m’énerver ! » dit Pagnol

Il a joué sur les dialogues, la phraséologie, et s’est appuyé pour cela sur son équipe, sa « famille ». Il s’est entouré d’une vingtaine d’acteurs fétiches, tous géants de l’expression, Raimu, Fernandel, Vilbert… Pagnol est Molière avec sa troupe. Le seul qui n’a pas l’accent provençal est Tino Rossi dans « La Belle Meunière », et il s’écarte quelques peu de Louis Jouvet, qu’il admirait, ou de Michel Simon.

A cette époque, le son n’existait pas, on colle des autocollants sur le film. Pagnol n’assistait pas au tournage, il s’enfermait dans le camion son et écoutait, répétant les scènes aussi souvent que nécessaire. Il s’est battu pour que l’auteur soit mis en valeur. Au générique, on pouvait lire « Un film de Pagnol », et, seulement après, le nom du réalisateur. Cela a fait grincer des dents Korda et Allégret ! La même chose s’est produite avec Audiard… Il a ouvert la voie.


Fernandel et Raimu dans « La Fille du puisatier ».

FMP

Il y avait quelque chose de joyeux dans le tournage, dans les improvisations, qui affolait par exemple une toute jeune scénariste qui s’appelait Françoise Gourdji (plus tard Giroud)…

Quand on n’est pas provençal, quand on n’a pas cette aisance, c’est compliqué ! Régine Hernou [« Monsieur Pagnol et son clan », ABM Courtomer 2005, NDLR], qui était scénariste sur « Manon », raconte que plus tard, c’était un peu moins brouillon. Pagnol a beaucoup « osé ». Il a demandé à son compositeur Scotto de jouer le rôle principal dans « Jofroi », il prend Raimu comme acteur vedette même s’il n’a jamais eu de grands rôles. Il adore la gouaille de Maupi, qu’il trouve adaptée à ses dialogues, et lui confie le rôle du conducteur du ferry dans la trilogie marseillaise, écrite pour un gamin de 16 ans. Maupi en a 50 ! Pagnol n’a jamais élevé le ton, sauf contre Fernandel qui était agacé par ces « bêtises », ils n’ont pas travaillé du tout de la même façon, ils se sont fâchés et ont immédiatement arrangé les choses.

Marcel Pagnol arrivant à l'Académie française pour participer à une réception, en costume d'académicien


Marcel Pagnol arrivant à l’Académie française pour participer à une réception, en costume d’académicien

Pagnol fait sourire, pourtant ses histoires sont des drames.

Cet écrivain tragique a fait rire le monde entier. Dans « Le Schpountz », tout le monde rit aux larmes en écoutant Fernandel déclamer la fameuse phrase « Tout condamné à mort aura la tête coupée », c’est le Code Pénal après tout !

Robert Vattier, Maupi et Raimu dans « César ».


Robert Vattier, Maupi et Raimu dans « César ».

FMP

« Il a aussi compris que les gens aiment retrouver la version livre du film qui leur plaît »

Est-il un écrivain qui écrit des scénarios et des dialogues ou un cinéaste qui écrit des romans ?

C’est avant tout un écrivain qui a pris conscience du pouvoir du papier quand le film est éphémère. Il voulait mettre ses mots en images et en sons. Il a également compris que les gens aiment retrouver la version livre du film qui leur plaît. Dès les années 1930, il adapte certains de ses scénarios en romans. Il est l’un des premiers auteurs vivants étudiés dans les écoles depuis les années 1950. Il a également écrit des articles pour les journaux « Nice Matin », « Le Cri d’Aubagne »… Son « Adieu à Raimu », sur la mort de son ami, dans « France Soir » est émouvant. Pagnol quittait rarement sa plume.

Ginette Leclerc et Raimu dans « La Femme du Boulanger ».


Ginette Leclerc et Raimu dans « La Femme du Boulanger ».

FMP

L’aventure de Nicolas Pagnol au Château de la Buzine à Marseille (celle du « Château de ma mère ») est terminée. La Ville y a désormais d’autres projets.

Nicolas Pagnol s’efforce de garder vivant le souvenir de son grand-père. Je le connais bien, je connais l’énergie qu’il déploie. Ces frictions sont des histoires politiques. Il y a pas mal de tourisme autour de Pagnol, notamment des circuits dans ces collines qui appartiennent encore à la famille. Il n’existe cependant aucun musée qui lui soit consacré à Marseille. Quand j’en ai parlé à Gaston Defferre dans le passé, il m’a répondu qu’il serait plus facile de créer un musée Zidane qu’un musée Pagnol.

(1) Éd. Privé, 413 p., 21,90 €.

A lire, à voir

Livres. La version de poche de « Marcel Pagnol, un autre regard », de Karin Hann, enseignante à l’université de Marseille, vient de sortir chez Litos (8 €). Le 18 avril, les Éditions Michel Lafon publiaient « Gaby ou la Belle et l’argent », une nouvelle comédie illustrée par Luc Brahy. En BD : après « Marius » et « Fanny » (mars 2024), paraît le 2 mai « César » sous la plume de Serge Scotto et Éric Stoffel, avec des illustrations de Sébastien Morice (éd. Bamboo, 19,90 € le tome).
Montrer. Rétrospective Pagnol au festival La Rochelle Cinéma (27 juin au 7 juillet). « Le Schpountz », adaptation de Delphine Depardieu et Arthur Cachia, en clôture du Festival de théâtre et de musique de Jarnac (16) (23 juillet au 10 août).

 
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