Les coureurs, un groupe particulièrement à risque de troubles de l’alimentation

Les coureurs, un groupe particulièrement à risque de troubles de l’alimentation
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Un matin de 2015, au terme d’une saison de course à pied terne, Maxime Lopes, athlète sub-élite, se jette sur la nourriture de son hôtel, affamé. Une envie synonyme de déclencheur : « J’ai compris à ce moment-là que j’avais une alimentation perturbée », raconte cet adepte du marathon. Je me suis privé de glucides, d’huiles, de céréales. Je faisais du jeûne intermittent. J’étais hygiéniste, obsédée par mon poids et je ne mangeais pas assez. »

Jusqu’à 25 % des sportifs, même amateurs, ont un rapport anormal à leur assiette, informe Anne-Laure Laratte, diététicienne et spécialiste des troubles du comportement alimentaire. La course à pied « est l’une des pratiques les plus risquées avec l’idée que plus on est léger, plus le sport est « simple », plus il est possible de réaliser des performances ».

En effet, vous aurez plus de chances de franchir la barre des 40 minutes aux 10 km – le graal de nombreux coureurs amateurs – si vous pesez 60 kg plutôt que 120, se défend Sophie* (prénom modifié). C’est dans l’espoir de ce genre de performance que la trentenaire « s’y est lancée » à son tour, comme elle périphrase. Le profil de la plupart des coureuses d’élite – au corps quasiment dépourvu de toute graisse – la plongeait encore plus loin dans cet abîme de privation.

Les moyens justifient-ils la faim ?

« Dans l’absolu, oui, moins on pèse, plus on est rapide. La question est : « Combien de poids faut-il perdre pour être plus rapide ? » Et surtout : « Est-ce que ça vaut le coup ? », souligne-t-elle. Détruire sa santé pendant quelques secondes sur un timer dont personne ne se soucie… Quand on s’en rend compte, il est souvent trop tard. »

Au-delà de ses propres exploits, Maxime Lopes est aussi coach privé pour d’autres coureurs. Lorsqu’un nouveau sportif arrive, il doit réaliser un test d’une heure, notamment sur son alimentation, afin de détecter d’éventuels problèmes. «Pour moi, l’un des plus grands drapeau rouge, c’est paradoxalement quelqu’un qui dit : « Il faut se faire plaisir de temps en temps », décrit le coach. « De temps en temps » signifie qu’il y a trop de contrôle sur la majorité de ses repas. »

Tout comme les autres, ce Français expatrié au Québec, « où la santé mentale est beaucoup moins taboue », ne nie pas un lien entre poids et temps. Mais il y a une nuance : « Je ne pense pas que ce levier doive être activé volontairement. Avec les bonnes connaissances, nous trouverons intuitivement une bonne alimentation, qui nous amènera à notre poids de performance.

Les dangers du contrôle permanent

Thomas Pouteau, coureur amateur et auteur du livre je reviens d’anorexie (Editions Frison-Roche, 2019), ont connu le chemin classique vers les troubles du comportement alimentaire. Après une déception sportive doublée d’un deuil familial, il décide de surperformer « pour se venger » des événements « et le prouver à tout le monde ». Pour ce faire, il entreprend de perdre « un ou deux kilos, pour être plus rapide. Je faisais beaucoup plus d’exercice, je faisais attention à mon alimentation et j’étais obsédé par le contrôle de mon poids et de mon corps. Le début de « trois années d’enfer ».

Le contrôle est l’autre élément des plus grands risques liés à la course à pied. Pour progresser le plus efficacement possible dans ce sport très ingrat, il faut courir à des allures bien précises et mathématiques. Par exemple, faire du jogging à 65 % de votre fréquence cardiaque, courir à 90 % de votre vitesse anaérobie maximale, ou des temps kilométriques qui peuvent être déterminés à la seconde près. “Tout ce contrôle, notamment technologique avec les montres connectées, finit par être néfaste”, estime Thomas Pouteau. Nous sommes trop autoritaires envers nous-mêmes, nous devenons obsédés par les données – fréquence cardiaque, vitesse, poids – éliminant toute notion de plaisir. »

De l’excellence sociale au martyre

Fabien Ohl, sociologue du sport à l’Université de Lausanne et co-auteur de l’article Troubles alimentaires et pratique de sports de fitness dans la revue STAPS (2015), analyse : « La course à pied est un sport pratiqué majoritairement par des catégories socioprofessionnelles supérieures, où une forme d’excellence et de maîtrise du corps est socialement valorisée, alors que chez les catégories populaires, c’est plutôt le muscle et la force qui sont mis en avant. , avec donc moins de risque d’anorexie. »

Maxime Lopes cite une autre « vertu » dangereuse : « La philosophie « No pain, no gain » reste omniprésente dans notre sport. Notre culture judéo-chrétienne conduit de nombreux coureurs au syndrome du martyr : « Je montre que je souffre, que je sacrifie mon corps et ma santé pour mes objectifs, pour que ceux qui m’entourent soient admirés ». »

«J’en paie encore le prix aujourd’hui»

Fabien Ohl poursuit : « Contrairement à l’anorexie classique, qui repose sur des critères esthétiques, donc considéré comme superficiel socialement, le sportif se prive de performance, objectif qu’il juge noble. Il fera donc moins attention à ses ennuis. » Thomas Pouteau témoigne d’une très longue considération, de sa part, mais aussi de la part de médecins ou de certains proches.

Le jeune homme souffre de blessures depuis deux ans. « Avec le temps, le corps dit stop, c’est intenable. J’en paie encore le prix aujourd’hui. » Désormais, il court « toujours accompagné, pour retrouver une notion de lâcher prise, loin du temps. Je mets à distance tous les organes d’autorité et de contrôle dans la pratique sportive.

Avec quatre kilos de plus qu’en 2015, Maxime Lopes a retrouvé une alimentation normale et enchaîne les performances records. Sophie ne s’en est jamais vraiment sortie : « J’ai pris conscience de mes problèmes, et aujourd’hui, je peux à nouveau manger des gâteaux ou des aliments ultra-sucrés. Mais en me forçant, en culpabilisant après, en me disant que c’est de la bêtise et que ça va nuire à mes performances. Je sais que c’est stupide, mais je n’arrive pas à m’en sortir. »

Une prise de conscience du phénomène, vraiment ?

Si les mythes du « un kilo de moins, une minute gagnée sur 10 km » ou « on ne peut pas performer au-dessus de 65 kg » restent encore trop présents, de plus en plus de contenus en ligne alertent désormais sur les risques d’un déficit calorique (manger moins de 65 kg). ce que vous dépensez) qui est trop important ou trop prolongé. « On parle de plus en plus de limiter les restrictions, les régimes, de ne plus maltraiter son corps et de prendre soin de sa santé mentale », se réjouit Anne-Laure Laratte.

Notre dossier sur le marathon

Vraiment une victoire ? Fabien Ohl nuance : « Oui, il y a de plus en plus de contenus sur les dangers de se priver de nourriture, mais c’est encore trop souvent vu à travers le prisme de la performance. Nous allons dire qu’il faut manger, non pas pour avoir l’esprit serein et éviter les problèmes, mais pour bien performer, avoir suffisamment d’énergie et éviter les blessures. » Le chemin sera encore long.

 
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