Pansy, une femme d’une cinquantaine d’années, provoque systématiquement des conflits avec tous ceux qu’elle rencontre. Entre invectives et mauvaise foi, Pansy est détestable. Sauf que cette attitude belliqueuse n’est qu’un mécanisme de défense. En effet, chaque matin, Pansy se réveille en hurlant. Loin de s’atténuer, l’anxiété qui la ronge grandit au fil de la journée. Comme elle est interprétée par Marianne Jean-Baptiste dans Dures vérités (Deux soeurs), de Mike Leigh, Pansy émeut souvent les gens, en plus de parfois les faire rire. En exclusivité, nous avons pu échanger avec l’actrice et le cinéaste.
Pour mémoire, Marianne Jean-Baptiste a été révélée aux cinéphiles en 1996 dans le remarquable Secrets et mensonges (Secrets et mensonges), du même film Mike Leigh, lauréat de la Palme d’Or. Il suit une optométriste noire issue de la classe moyenne, qui retrouve sa mère biologique, une ouvrière blanche.
Depuis, Leigh et Jean-Baptiste ont souhaité collaborer à nouveau.
« Marianne vit désormais à Los Angeles, où elle s’est illustrée et où elle travaille beaucoup [tenant la vedette de séries telles Without a Trace et Homeland]. Nous étions censés faire le film en 2020, mais la COVID a frappé. Il n’y avait pas de scénario en tant que tel, parce que je ne travaille pas comme ça. Quand je m’apprête à faire un film, c’est comme un peintre : je pars d’une toile vierge », explique Mike Leigh.
En fait, son processus créatif est connu pour être très collégial. Le scénariste et réalisateur a commencé par organiser des rencontres individuelles avec son casting principal, à savoir Marianne Jean-Baptiste, qui incarne Pansy, et Michele Austin, qui incarne Chantelle, la sœur infiniment plus sereine et épanouie du protagoniste.
A noter que Michele Austin jouait le rôle de la meilleure amie du personnage de Marianne Jean-Baptiste dans Secret et mensonges : la complicité, il y en avait déjà. Auparavant, Mike Leigh les avait déjà mis en scène au théâtre dans les rôles de sœurs.
Toutefois, Mike Leigh n’avait pas forcément envie que les deux actrices jouent à nouveau des sœurs. La chose s’est en quelque sorte imposée.
« Nous avons exploré cette idée ensemble, et c’est vite devenu un fil conducteur », se souvient le cinéaste.
Tous les artistes
Lorsque Mike Leigh affirme que lui et ses deux stars « ont exploré cette idée ensemble », il convient de souligner que c’est effectivement le cas. En cela, c’est toujours ainsi que Leigh travaille avant d’écrire.
« Tout d’abord, Mike nous demande de faire une liste de personnes que nous connaissons dans la vraie vie », révèle Marianne Jean-Baptiste. Il s’agit peut-être de personnes que nous ne connaissons que très vaguement. Dans ce cas, Mike et moi avons parcouru ma liste et discuté des personnes en question, et Mike a barré les noms jusqu’à ce qu’il n’en reste que quelques-uns, environ cinq personnes dans mon cas. Ensuite, Mike et moi avons fait divers exercices visant à fusionner ces cinq personnes. Cela nous a donné l’embryon du personnage de Pansy. Tout cela est entre moi et Mike. Le reste du casting fait la même chose avec lui en parallèle. »
“Je fais comme ça avec chaque actrice et acteur, individuellement”, confirme Mike Leigh. Ensuite, nous continuons à explorer, et le tout commence à évoluer d’une manière assez… ésotérique, je suppose. Puis, nous imaginons, tous ensemble cette fois, un univers à travers de nouvelles discussions et beaucoup d’improvisations où les interprètes incarnent leurs personnages respectifs. Nous construisons tout un monde de relations, de dynamiques familiales, d’expériences… »
Marianne Jean-Baptiste dit trouver cette manière de faire extrêmement riche et satisfaisante : « La récompense pour nous, comédiennes et comédiens, de travailler ainsi, c’est de participer à part entière à la création. Nous créons avec Mike les grands-parents, les arrière-grands-parents, les tantes, les oncles, l’école qu’ils ont fréquentée, les amis qu’ils avaient, les voisins, les anniversaires, les vacances… Nous nous laissons participer à l’élaboration de ce livre très détaillé. une histoire commune, mais qui se dessine de manière très naturelle. »
-Comme le souligne Marianne Jean-Baptiste, Mike Leigh a le dernier mot.
Une méthode éprouvée
Cependant, pour le directeur de Sens dessus dessous, Véra Drake (Le secret de Vera Drake), Joyeux-Go-Lucky, Une autre année ou même M. Turnercette méthode, qui est la sienne depuis les années 1960, a du sens.
« Tout cela est la phase préparatoire qui, dans le cas de Dures vérités, a duré 14 semaines, soit moins que mes six mois habituels, mais le budget était moindre, constate le cinéaste. Quand vient l’heure du tournage, je commence à écrire une sorte de structure provisoire, mais scène par scène, séquence par séquence, lieu par lieu : avec les interprètes, nous élaborons les scènes en l’absence de l’équipe du film. Quand l’équipe arrive, je leur montre ce que nous avons. Nous décidons de la meilleure façon de filmer et nous tournons en conséquence. Ce que l’on voit à l’écran n’est jamais improvisé. »
Invité à développer, Mike Leigh explique : « Je ne peux construire une scène ou une séquence qu’en étant sur place avec les interprètes. En étant physiquement là, car le lieu détermine en partie l’action. Cela garantit que, contrairement à de nombreux films, nous ne faisons pas 30, 40 ou 50 prises, qui sont nécessaires parce que les gens n’arrêtent pas de rire, ne se souviennent pas quoi dire ou manquent de confiance en eux dans une situation donnée. Toute cette préparation préalable dont je parle me permet de diriger confortablement des acteurs à l’aise dans des scènes complètement organiques, organisées, distillées, correctement dirigées et correctement interprétées. »
Dimension tragi-comique
En plus de travailler avec Mike Leigh, puis avec ses partenaires de jeu, Marianne Jean-Baptiste a évidemment fait ses propres recherches, afin d’ajouter une authenticité supplémentaire à son personnage.
« J’ai découvert divers troubles mentaux. Par exemple, Pansy souffre d’un trouble obsessionnel compulsif, c’est évident, mais Mike et moi avons décidé que cela n’avait jamais été diagnostiqué. Son cerveau a trouvé des moyens de compenser ou de surcompenser… Lesquels ? Et elle a peur des germes, alors j’ai expérimenté différents produits ménagers. Une autre peur de Pansy est de s’aventurer dehors. Mais quand elle n’a pas le choix de faire son coming-out, à quoi ça ressemble ? »
A cet égard, ses nombreuses phobies, ses nombreux dégoûts et sources imaginaires de récriminations placent Pansy dans des situations impossibles. Impossible, mais dont le contenu confère au film une dimension tragi-comique. De plus, Pansy fait preuve d’une imagination débordante lorsqu’il s’agit d’insultes, et parfois on se met à rire presque malgré soi.
On pense par exemple à la séquence chez le dentiste : Pansy est logiquement terrifiée à cause de ce qu’implique une telle visite, et cette terreur génère une énième attaque verbale.
«J’ai beaucoup de compassion pour Pansy. Je l’aime, vous savez, et pour le jouer, je pense que c’était nécessaire. Toute cette douleur qu’elle intériorise, en tant qu’actrice, je la gère. C’est de loin le personnage le plus beau et le plus complexe que j’ai jamais joué», confie Marianne Jean-Baptiste.
Au sujet de ce qui constitue des retrouvailles tant attendues, Mike Leigh conclut, non sans justesse : « On aurait pu faire ce film il y a 20, 30 ans, car c’est un film qui traite, fondamentalement, de la condition humaine. »
Le film Dures vérités sera exposée le 24 janvier.