Accord Québec-Terre-Neuve sur l’électricité

Je dois peser mes mots, connaissant l’hypersensibilité des Terre-Neuviens sur la question. Mais tout bien considéré, l’accord Québec-Terre-Neuve présente une ressemblance frappante avec le contrat controversé de 1969, du moins pour les nouveaux projets électriques sur le fleuve Churchill.

Il y a certes des nuances à faire, mais une analyse détaillée de l’accord de principe de 30 pages, rendu public le 12 décembre, permet de pencher vers cette conclusion.

Désormais, Hydro ne paiera pas le prix du marché pour l’électricité du nouveau contrat, ni la première année ni 50 ans plus tard. Ses versements à Terre-Neuve, entre 2028 et 2084, seront plutôt basés sur le coût de production des nouvelles centrales, quelle que soit la valeur de l’électricité sur le marché.⁠1.

En bref, Hydro paiera le prix de revient et non le prix du marché. Et le prix de revient, selon ce qui est prévu, serait le plus bas parmi les projets potentiels en Amérique du Nord.

Ces nouvelles installations produiront 3 900 mégawatts (MW) d’énergie électrique, capables d’alimenter près de 1,3 million de foyers. Hydro-Québec achètera 90 % de cette nouvelle énergie, répartie entre les projets de Gull Island (2 250 MW), de Churchill Falls 2 (1 100 MW) et la modernisation de l’ancienne centrale de Churchill Falls (500 MW).

«En fin de compte, c’est le même accord qu’en 1969», m’a dit Dave Rhéaume, vice-président principal d’Hydro-Québec qui a codirigé les négociations avec le PDG Michael Sabia.

Pour bénéficier d’un tel avantage, Hydro accepte d’assumer pratiquement tous les risques de dépassement des coûts des projets, comme en 1969. Elle finance également la quasi-totalité des projets, même le dépôt que Terre-Neuve doit payer pour être l’actionnaire majoritaire des coentreprises. avec Hydro-Québec.

La différence avec 1969, en effet, réside dans la répartition de ce prix de revient dans le temps. À l’époque, il était convenu qu’Hydro-Québec paierait un montant annuel fixe, essentiellement, ce qui signifie que les paiements étaient en fait beaucoup plus élevés dans les premières années compte tenu de la perte de valeur de l’argent avec le temps.⁠2.

Selon le nouvel accord, le prix de revient payé annuellement par Hydro commencera à un niveau beaucoup plus bas et augmentera de 2 % par an jusqu’en 2084.

Ce mécanisme garantit que l’écart entre le prix payé par Hydro et celui du marché sera moindre, au bout de 50 ans, que ce n’est le cas avec le contrat actuel de Churchill Falls (0,2 cents le kilowattheure contre 13 cents pour approvisionnements récents d’Hydro-Québec).

Mais Dave Rhéaume est catégorique : en dollars d’aujourd’hui⁠3l’ensemble des paiements à prix coûtant effectués par Hydro-Québec sur 50 ans, même indexés à 2 %, donneront le même montant global que si Hydro avait choisi de faire des paiements fixes constants comme en 1969.

PHOTO GREG LOCKE, ARCHIVES REUTERS

Intérieur de la centrale électrique de Churchill Falls, 2007

Autre certitude : l’indexation de 2% ne sera pas augmentée si l’inflation bondit.

« Ils voulaient une courbe qui montait à 2 % par an. On va donc commencer plus bas, mais au final, c’est le même prix de revient pour tous les paiements du projet», m’a dit M. Rhéaume.

Ce prix de revient sera en moyenne de 11 cents le kilowattheure en dollars d’aujourd’hui pour toute la durée des nouveaux contrats énergétiques, estime Hydro-Québec, qui a pris des marges de prudence pour arriver à un tel chiffre. .

Hydro-Québec concessions

Hydro a pu obtenir ces conditions en cédant divers avantages à Terre-Neuve (en plus d’absorber les dépassements de coûts).

Premièrement, Hydro-Québec paie 3,5 milliards sur 11 ans (en valeur actualisée en 2024) pour l’option de développement des projets, montant qui est intégré au prix de revient.

Newfoundland Hydro utilisera ces 3,5 milliards de dollars pour avancer sa part du gisement dans la coentreprise avec Hydro-Québec pour les projets de Gull Island (60 %-40 %) et l’agrandissement de Churchill Falls. (65,8%-34,2%).

Deuxièmement, Hydro-Québec a accepté de rouvrir l’ancien contrat qui a pris fin en 2041, même si les tribunaux ont confirmé sa légalité. L’entreprise publique a ainsi accepté d’augmenter progressivement le prix du kilowattheure de 0,2 centime actuellement à une moyenne d’environ 9 centimes entre 2041 et 2075 (actualisé en dollars d’aujourd’hui).

Mais attention, Hydro juge qu’elle récupérera à terme cette concession tarifaire accordée à Terre-Neuve les premières années. En fait, le prix de 9 cents après 2041 se compare avantageusement aux 13 cents par kilowattheure que coûtent actuellement les nouvelles fournitures comparables d’Hydro. Et là encore, les 9 centimes tombent à 7 centimes, en réalité, puisque Hydro est actionnaire à 34,2% de l’ancienne centrale et empochera donc les bénéfices de ses propres versements.

Sur toute la période, avant et après 2041 (2025-2075), le coût moyen de l’énergie de cette ancienne centrale pour Hydro s’élève à 4 cents le kilowattheure (en dollars d’aujourd’hui), une fois sa part soustraite. bénéfices.

Ce prix est très intéressant pour Hydro, mais il l’est aussi pour Terre-Neuve, il faut le dire.

Hydro doit également financer ses avances de fonds antérieures à Terre-Neuve en augmentant les tarifs de ses clients commerciaux et industriels de 0,4 point de pourcentage et en réduisant son bénéfice net annuel de 200 à 300 millions pendant 10 ans.⁠4.

PHOTO GREG LOCKE, ARCHIVES REUTERS

Lignes de transport d’électricité provenant de la centrale de Muskrat Falls, Labrador

Troisième concession : Hydro s’engage à accommoder Terre-Neuve quant à l’origine de l’énergie que la province souhaite conserver pour ses propres besoins. À la fin des contrats, Terre-Neuve augmentera ses achats de 525 MW à 1 990 MW.

Toutefois, la majeure partie de ce bloc supplémentaire proviendra du segment le moins risqué (et le moins coûteux) du Labrador, soit l’ancienne centrale de Churchill Falls. Hydro a donc accepté de transférer progressivement à Terre-Neuve les 1 105 MW qu’elle a achetés à cette ancienne centrale, ce qui lui laissera 3 660 MW après 2060, plutôt que les 4 765 MW actuels.

Une fois de plus, Terre-Neuve se dissocie des risques liés aux nouveaux projets et aux coûts énergétiques plus élevés qui en résulteront.

L’un des espoirs d’Hydro est que Terre-Neuve ne soit pas en mesure de prendre la totalité des 1 990 MW qu’elle réserve, une énergie qu’Hydro pourrait ensuite racheter au prix coûtant, essentiellement.

Cet espoir repose sur le fait que Terre-Neuve ne sera probablement pas en mesure d’utiliser cette énergie en dehors du Labrador, car la ligne de transmission sous-marine entre le Labrador et l’île de Terre-Neuve atteint au maximum sa capacité et n’est pas fiable.

La ligne sous-marine est actuellement utilisée pour transporter l’énergie de la centrale électrique de Muskrat Falls au Labrador, un projet mené par Terre-Neuve qui s’est transformé en fiasco.. Terre-Neuve souhaite donc utiliser ses nouvelles énergies au Labrador, notamment pour des projets miniers ou d’hydrogène vert, même si la région est très peu peuplée et l’environnement difficile.⁠5.

Les blocs inutilisés vendus à Hydro s’ajouteraient aux quelque 7 200 MW qu’Hydro achètera au Labrador.⁠6.

La grande inconnue de cette entente demeure les risques des projets, qui sont presque tous assumés par Hydro-Québec. Que se passera-t-il si les Premières Nations refusent de collaborer sur les lignes de transport du Québec, si les permis tardent, si les coûts explosent ?

Hydro s’appuie sur son expertise en matière de construction de barrages, qui a peu d’équivalents dans le monde.

Au final, Terre-Neuve empochera des milliards sans vraiment prendre de risques. Que les Terre-Neuviens ne se plaignent pas dans 25 ans si la société d’État du Québec réussit à faire ce que Terre-Neuve a échoué avec Muskrat Falls.

1. Pour Hydro-Québec, l’énergie d’un des projets sera disponible à partir de 2028 et les deux autres le seront vers 2035.

2. En fait, le prix de revient du contrat de 1969 a diminué après quelques décennies, une fois tous les coûts de l’usine amortis. Dans le nouvel accord, cette réduction a été intégrée dans la projection à long terme des paiements intégrant l’indexation annuelle de 2 %.

3. Partout où les dollars d’aujourd’hui sont mentionnés dans le texte, il faut comprendre qu’il s’agit de la valeur actuelle (au 31 décembre 2024) des paiements futurs. Ces paiements sont escomptés au taux de 5,822 %.

4. Dans le cas de l’ancienne centrale électrique, l’indexation des prix ne sera pas de 2%, comme pour l’énergie nouvelle. La formule sera basée à 90 % sur le prix de l’approvisionnement en Hydro au Québec – incluant le bloc patrimonial – et à 10 % sur le prix du marché de l’électricité dans le Nord-Est américain.

5. En théorie, Terre-Neuve pourrait revendre le surplus aux États-Unis ou en Ontario via les lignes d’Hydro-Québec, mais la Régie de l’énergie a déjà statué que les lignes d’Hydro pour atteindre le destinataire final étaient utilisées à leur capacité maximale. Quant à la clientèle québécoise, c’est Hydro-Québec Distribution qui détient le monopole. Selon l’accord, Hydro pourrait notamment racheter à prix coûtant les 360 MW issus de nouveaux projets électriques que son partenaire n’utiliserait pas. Le prix payé pourrait être inférieur si la disponibilité de l’énergie n’est pas durable (les conditions restent à négocier dans l’accord final). Hydro pourrait également racheter l’énergie inutilisée de l’ancienne centrale au même prix que le reste de l’énergie de l’ancienne centrale..

6. En effet, le total acheté par Hydro-Québec sera de 7 200 MW en 2075, mais il aura augmenté à 7 700 MW entre 2037 et 2050, avant de diminuer graduellement, selon l’entente.

 
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