(Québec) Le premier ministre François Legault s’envole mercredi pour Terre-Neuve afin de conclure une entente avec son homologue Andrew Furey pour renouveler le contrat de la centrale hydroélectrique de Churchill Falls.
Une annonce est prévue jeudi. M. Legault sera accompagné de la ministre de l’Économie et de l’Énergie, Christine Fréchette. Le président d’Hydro-Québec, Michael Sabia, devrait être à Montréal pour présenter les détails de cette entente, qui n’a pas encore été officiellement confirmée. Il s’agit d’un résultat majeur pour la mise en œuvre du plan de développement de l’entreprise d’État et de la stratégie énergétique du gouvernement Legault.
Le Québec vise à doubler la capacité de production d’Hydro-Québec afin de décarboner l’économie et de répondre à la demande.
Le contrat de Churchill Falls est extrêmement rentable pour Hydro-Québec, qui obtient beaucoup d’énergie à un prix dérisoire. Le Québec a encore grandement besoin de cette énergie. François Legault souhaite développer un nouveau projet de barrage hydroélectrique au Labrador – le projet Gull Island, un projet de 2 250 MW. Le sujet faisait partie des négociations.
À son arrivée à la réunion hebdomadaire de son conseil des ministres mercredi matin, M. Legault a simplement confirmé son départ pour Terre-Neuve. “C’est tout ce que j’ai à dire pour l’instant”, a-t-il déclaré.
Comme dit à La presse Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, dans un rapport mercredi, «cette entente est très importante à plusieurs niveaux».
Avec plus de 5 000 MW de capacité, la centrale de Churchill Falls « répond à elle seule à environ 15 % des besoins du Québec », ajoute-t-il.
Un accord déséquilibré actuellement
Aujourd’hui, Hydro-Québec achète 85 % de l’électricité produite par le barrage de Churchill Falls à un prix très avantageux : 0,2 cent le kilowattheure. C’est 10 fois moins que le coût de production d’électricité à partir de ses propres barrages.
Ce tarif a été fixé en 1969 par une première entente signée entre le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador, quelques années avant l’achèvement du barrage. En contrepartie, Hydro-Québec s’est engagée à financer les dépassements de coûts du projet. Mais aucune des deux provinces ne prévoyait que les prix de l’énergie exploseraient quelques années plus tard – tout comme l’inflation.
Depuis plusieurs années, Terre-Neuve-et-Labrador dénonce donc un accord déséquilibré et exige qu’il soit révisé avant son échéance, fixée à 2041.
Selon les données d’une étude d’un comité terre-neuvien, en 2019, l’entente a rapporté près de 28 milliards de dollars de profits au Québec, comparativement à seulement 2 milliards de dollars à Terre-Neuve-et-Labrador.
La Cour suprême a pourtant tranché en 2018 : malgré sa marge plus que confortable – Hydro-Québec revend aujourd’hui son électricité environ 40 fois plus cher que le prix auquel elle l’achète –, la société d’État n’a aucune obligation de se conformer à cette demande.
Hydro-Québec ne peut se passer des chutes Churchill
Mais la grogne se fait de plus en plus sentir du côté de Terre-Neuve-et-Labrador. Le premier ministre de la province, Andrew Furey, a encore une fois pressé François Legault de trouver une entente plus généreuse en juillet dernier, affirmant qu’il se sentait en position de force dans les négociations. Un an plus tôt, il avait d’ailleurs réitéré sa volonté de renouvellement de contrat « gagnant-gagnant ».
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Car que se passerait-il si, se sentant trompée, la province refusait tout simplement de renouveler l’entente après 2041 ?
La perte de cet approvisionnement « de 30 TWh créerait un trou béant dans le mix énergétique québécois », souligne Pierre-Olivier Pineau. Et la centrale de Churchill Falls demeure l’un des piliers en termes de prévisibilité et de planification de la production pour Hydro-Québec, dans sa quête de décarbonation qu’elle vise pour 2050. « Il faut pouvoir savoir comment on va s’approvisionner au fil du -. », ajoute M. Pineau.
Dans un tel contexte, où Terre-Neuve-et-Labrador a besoin de fonds et le Québec a besoin d’énergie, il n’est donc pas impossible que l’entente de renouvellement sur le point d’être conclue puisse inclure une clause concernant les prix actuels, pour rétablir un certain équilibre.
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En février 2023, François Legault avait également évoqué la possibilité de verser de nouvelles sommes à Terre-Neuve-et-Labrador avant 2041, si le gouvernement terre-neuvien lui proposait, en échange, « un prix très avantageux » pour l’achat d’électricité en fin de contrat.
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Un autre projet de barrage en préparation
Si l’entente est finalement conclue, il sera intéressant de voir s’il y a ou non une volonté de relancer le projet de Gull Island, rappelle M. Pineau : « C’est le seul projet hydroélectrique d’envergure qui pourrait être développé de manière rentable aux États-Unis. Nord-est. »
Le projet hydroélectrique prévu sur la rivière Churchill, au Labrador – à 250 km en aval des chutes Churchill – n’a jamais vu le jour. Les négociations entre Terre-Neuve et le Québec ont échoué il y a plusieurs années. C’est environ 2250 MW de puissance qui pourraient ainsi être ajoutés aux réseaux. Les prévisions d’une augmentation de la production provenant des nouvelles centrales électriques au Québec pourraient alors être revues.
Une autre inconnue plane également : celle de l’implication des Innus dans la signature d’une éventuelle nouvelle entente. Ils ont demandé à plusieurs reprises à être associés aux discussions, sans réel succès jusqu’à présent selon eux – malgré quelques consultations périodiques. Une communauté innue poursuit également Hydro-Québec depuis janvier 2023 pour 2,2 milliards, affirmant que la centrale électrique de Churchill Falls a détruit une partie importante de son territoire traditionnel. De même, en 2020, la Nation Innu, qui représente les Innus du Labrador, a poursuivi Hydro-Québec et Churchill Falls Corporation pour obtenir 4 milliards de dollars en compensation des dommages écologiques et culturels causés par la construction du barrage.
With Fanny Lévesque, Chloé Bourqin and Ulysse Bergeron, La presse