Le chef des Abénakis de Wôlinak, Michel R. Bernard, a signé le contrat donnant pleins pouvoirs aux investisseurs privés pour établir un casino sur son territoire sans même le lire, a appris Radio-Canada.
Il affirme cependant que son contenu lui a été expliqué par plusieurs avocats. Le problème ? Ils ont probablement été payés par Josh Baazov, un homme d’affaires qui représente les intérêts de ces mêmes investisseurs, admet-il.
Le chef Bernard a fait cet aveu lors de son témoignage assermenté en Cour supérieure, lundi à Trois-Rivières.
Le contrat autorisant l’arrivée du casino a été signé en 2020. Il a cependant été rédigé en anglais, une langue que le chef Bernard ne comprend pas.
Avant de signer, les avocats lui ont expliqué les tenants et les aboutissants
du document, a-t-il expliqué au tribunal, soulignant que son intérêt se limitait à la pourcentage [des profits] qui est revenu au conseil
.
Trois avocats qui ont approuvé le contrat ont travaillé pour nous
Le chef Bernard l’a répété devant le tribunal.
Or, ces avocats n’ont pas travaillé pour les Abénakis de Wôlinak, selon les propres aveux du chef, qui affirme ne pas avoir payé leurs services et ne pas se souvenir de leurs noms.
Est-ce M. Baazov qui a payé les frais ?
lui a demandé un avocat. J’imagine
répondit le chef Bernard.
Josh Baazov est le représentant d’un groupe nébuleux d’investisseurs privés qui contrôlent le casino Wôlinak à travers la société Tribal Gaming, a révélé Enquête mois dernier.
M. Baazov est un homme d’affaires québécois qui a déjà été reconnu coupable de fraude et de trafic de drogue. Il est actuellement poursuivi en Israël pour son implication présumée dans un piratage téléphonique et une campagne de menaces contre d’anciens partenaires commerciaux.
J’ai une très bonne relation avec ce type. Je suis très, très à l’aise là-dedans, très, très, très à l’aise
avait expliqué le chef de Wôlinak à Enquête.
Michel R. Bernard a donné son feu vert au projet de casino sans consulter la population ni les élus du conseil de bande.
Bien que la Première Nation Abénakis de Wôlinak soit propriétaire du casino, elle n’a aucun pouvoir dans la gestion de l’établissement.
Ce casino, situé au Centre-du-Québec, est ouvert au public depuis deux ans, sans aucune autorisation du gouvernement provincial, comme le prévoit le Code criminel.
Josh Baazov, le chef de Wôlinak Michel R. Bernard et le directeur général de l’époque Dave Bernard lors de l’inauguration du casino de Wôlinak en 2022.
Photo: Courrier Sud / Stéphanie Paradis
Inaction de la police
Ces révélations du chef Bernard ont été faites lors d’un procès en diffamation intenté par le directeur de la Sûreté des Abénakis, Éric Cloutier. Comme plusieurs communautés autochtones, les Abénakis disposent de leurs propres services de police.
M. Cloutier croyait avoir fait l’objet de diffamation de la part de deux élus du conseil de Wôlinak qui mettaient en doute son indépendance et son impartialité, notamment en raison de son inaction dans le dossier du casino.
Le chef de la police plaide qu’il ne pouvait pas faire autrement. Il s’est justifié en soumettant en preuve un avis juridique du cabinet Lazarus Charbonneau qui soutient que les Abénakis de Wôlinak ont le droit ancestral d’exploiter un casino.
Selon les informations rendues publiques par le chef Bernard, la firme Lazarus Charbonneau n’était pas mandatée par le conseil abénaquis de Wôlinak. On ne sait pas qui a payé cet avis juridique, rédigé en anglais et adressé à Michel R. Bernard.
Lazarus Charbonneau est une firme activement impliquée dans l’industrie du jeu. Rien sur son site Web n’indique une expertise en droit autochtone.
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Entrée principale du casino Le Grand Royal Wôlinak.
Photo : Radio-Canada / Yanick Rose
Vente illégale de cannabis
Les vapes de cannabis, connues sous le nom de stylos à cireont été vendus illégalement au casino en 2022, révèle également cette affaire de diffamation.
Même si certains produits étaient alors légalisés au Canada, les Abénakis de Wôlinak avaient interdit la vente de cannabis sur leur territoire.
Selon un conseiller, la Sûreté des Abénakis aurait contacté Josh Baazov plutôt que de procéder à une perquisition. On n’appelle pas le coupable avant d’aller faire une perquisition
a-t-elle déclaré lors de la séance du conseil du 29 novembre 2022 dont un extrait audio a été déposé en preuve.
Naturellement, rien n’a été fait et aujourd’hui toutes les preuves ont disparu. Est-ce de l’incompétence ? Ou complaisance en faveur des promoteurs de casinos ?
» ont écrit les conseillers dans une lettre envoyée à l’avocat du chef de la police.
Trois conseillers voulaient congédier le directeur général du casino, Carl Doyon, en raison de la vente de cannabis.
Le chef Bernard s’est opposé au licenciement. Le conseil des Abénakis ne peut pas s’immiscer dans la gestion du casino, a-t-il affirmé lors de son témoignage au tribunal.
Lors d’un entretien avec EnquêteLe directeur général Doyon n’avait pu nommer une seule loi ou un seul règlement qui s’appliquerait à son établissement, affirmant plutôt suivre les directives des investisseurs et du conseil des Abénakis.
Dans un témoignage, daté de 2022, un conseiller détaille une réunion au casino pour déterminer qui était responsable de la vente illégale de cannabis. Parmi les autres présents étaient : le directeur général Carl Doyon, Josh Baazov et un Russe
qui n’est pas identifié.
Après une journée d’audience, le directeur de la police a retiré ses poursuites.
Ce litige en diffamation émerge de l’arrivée du casino dans la communauté de Wôlinak, écrit la juge Manon Lavoie dans une décision qui entérine une entente à l’amiable.
Le débat qui doit avoir lieu est la légalité du casino. […] S’il est bien exploité, qui est derrière cela ? Où vont les fonds ?
a-t-elle déclaré lors d’une audience. Elle a également déclaré que la situation devait se calmer jusqu’à ce que les tribunaux tranchent ces questions.
Je suis le petit débat dans un grand débat
a déclaré la juge Lavoie, ajoutant qu’elle avait écouté l’émission Enquête sur le casino Wôlinak.
Le jeu tribal dans le viseur du Québec
Suite au reportage de l’émission Enquêtele Registraire des entreprises du Québec a envoyé un avis de non-conformité à Tribal Gaming Holdings Canada, la société qui regroupe les investisseurs derrière le casino.
Nous avons des raisons de croire que les informations déclarées dans la rubrique « Bénéficiaires finaux » seraient erronées.
écrit Caroline Meunier, de l’équipe des inspections, dans une lettre consultée par Radio-Canada.
En septembre dernier, Tribal Gaming a déclaré ne pas savoir qui étaient les véritables propriétaires de la société.
Veuillez corriger ces informations en déclarant les informations valables pour nous. Si toutefois vous jugez que les informations déclarées sont véridiques, vous devez nous adresser tout document nécessaire pour en vérifier l’exactitude.
poursuit Mme Meunier.
L’entreprise dispose de 60 jours pour s’y conformer, sinon elle pourrait être radiée.
Tribal Gaming appartient à une société basée dans le Delaware, aux États-Unis. Sa première administratrice était une mystérieuse femme nommée Mariia Barinova. Enquête a révélé qu’elle était une citoyenne russe vivant dans la banlieue de Moscou.