le 31 mars 1992, l’usine Renault Billancourt ferme ses portes et « un monde disparaît »

Le Parisien et ses éditions, notre rendez-vous anniversaire

Le Parisien fête cette année son quatre-vingtième anniversaire. Dès 1960, notre titre jusqu’alors national connaît sa première édition départementale, dans l’Oise. Ils sont désormais neuf, dont l’actualité particulièrement riche a souvent une portée nationale. Nous avons choisi, pour chaque département, un titre percutant, dont nous vous racontons les coulisses.

Le vendredi 27 mars 1992, la dernière voiture, une Super cinq, sort des chaînes de l’usine Renault de l’île Seguin, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). La semaine suivante, le paquebot Renault, l’UB (usine de Billancourt pour les affranchis), est officiellement fermé.

Le Parisien titre “Billancourt à la casse”. « L’entrée est murée, les portes sont soudées (…) La mythique usine de la Régie Renault ressemble désormais à un camp retranché et déserté», écrit notre journaliste du service économie, Joëlle Frasnetti, dans l’édition du 31 mars. Sur les 3.900 travailleurs, 2.900 sont reclassés.

Ce jour-là, les médias étaient postés devant les grilles de l’avenue Émile-Zola, où Pierre Overney, militant d’extrême gauche et ancien employé de la Régie, avait été tué par un agent de sécurité vingt ans plus tôt. C’est Arezki Amazouz qui rappelle les détails de ce fait divers, symbole de la violence des conflits sociaux qui ont émaillé l’histoire de la Régie Renault.

« Nous avons rendu nos outils avec autorisation d’en garder un »

L’ancien OS (ouvrier spécialisé) et président de l’Association des anciens ouvriers de l’usine Renault Billancourt de l’île Seguin (Atris) se souvient de ces derniers jours de mars 1992 comme si c’était hier. « Les ouvriers se croisaient sur l’esplanade de l’île Seguin, en silence, les larmes aux yeux. Nous avons rendu nos outils avec la permission d’en garder un, se souvient-il. On nous a remis une montre, un sac polochon et un t-shirt imprimé de l’île Seguin… Prises par tant d’émotion, la majorité des gens n’ont pas pu parler aux journalistes. »

Le paquebot Renault (usine de Billancourt, ici en 1984), a débarqué sur l’île Seguin. DR Renault Communication

La fermeture de l’UB tire alors le rideau sur un siècle d’histoire, que Le Parisien résumera dans une chronologie intitulée « Les taxis de la Marne, les 4 CV… Et les grèves ». Pour le journal et principalement l’édition départementale des Hauts-de-Seine, la saga de cette fermeture durera plus de trente ans. “Cela fait plusieurs années déjà que nous couvrons tous les événements liés à cette fermeture, car cela ne s’est pas fait du jour au lendemain, il y a eu tout un contexte industriel et politique”, rappelle Jacques Lallain, nommé chef de l’édition départementale en 1992.

Un contexte politique et économique international, bien sûr, avec la chute du mur de Berlin et la montée de la mondialisation, accompagnées de délocalisations. Mais aussi un contexte local, que Le Parisien avait déjà commencé à décrypter.

« À partir de 1982, la droite, avec Balkany à Levallois, commence à ronger les banlieues rouges. En 1988, Pasqua devient chef du conseil départemental et Sarkozy devient maire de Neuilly. Tous ces gens à la tête du 92 avaient la volonté de s’imposer politiquement dans la durée et de renouveler la population active avec une population de cadres plus proche d’eux », précise Jacques Lallain.

Fermeture, devenir du site, pollution des sols, recyclage : à chaque étape son « papier »

Vient ensuite la fin des chaînes des îles Seguin. Un moment véritablement « historique ». L’édition 92 suit ensuite tout le déroulement de cette fermeture, constatée en 1989. « Elle avait une charge symbolique extrêmement forte, car elle était le symbole de l’automobile en France, celui de la disparition d’un monde industriel et d’une ère politique de rivalités. entre le monde communiste et le monde libéral. »

Une chaîne de fabrication de 4 CV, en 1957. RenaultCommunication

Les journalistes de l’époque rencontraient régulièrement des hommes politiques, la direction de la Régie et des syndicats, très puissants chez Renault, notamment la CGT, qui conserva jusqu’au bout la majorité absolue dans son fief de Billancourt.

Les questions étaient nombreuses : qu’allait-on faire des salariés, qu’allait-il advenir de cette immense friche industrielle ? Qui du département alors présidé par Pasqua ou de la ville allait financer l’entreprise d’économie mixte pour acheter les terrains à l’Etat ?

« Il y avait aussi le gros problème de la qualité des sols, de la décontamination, des machines en mouvement, des milliers de tonnes d’acier », ajoute Jacques Lallain. A l’époque, l’angle du recyclage était secondaire, c’était plus logistique, on savait que la Seine allait être utilisée et qu’il y aurait des coupes. » A chaque étape son « papier », comme on dit dans le jargon.

« Un monde qui a disparu »

Alors que les machines fonctionnaient encore, le journaliste devenu plus tard secrétaire général de la rédaction du Parisien a eu l’occasion de visiter l’île Seguin.

” C’était les temps modernes de Charlot. Chaleur, bruit assourdissant, là où les tôles étaient embouties pour les former. Des fourneaux faisaient fondre le métal, des ouvriers travaillaient sur la chaîne de montage : des gens assis sur un tabouret dont la fonction était de déposer devant eux des pièces métalliques sur un tapis roulant et de vérifier leur conformité. Ils ont fait ça à une vitesse folle, toute la journée. Il y avait beaucoup de monde en salopette qui faisait les 3 x 8. Cette ambiance de travail, avec principalement des hommes, qui fumaient, buvaient, mangeaient des snacks, et cette plaisanterie, c’est un monde qui a disparu. » Ce dont témoigne également Arezki Amazouz : « Nous étions une famille. Les relations étaient amicales et fraternelles, avec 53 nationalités se côtoyant. »

Avec la fermeture de l'usine, c'est tout un monde qui ressemble à celui du film « Les temps modernes » de Charlie Chaplin (ici un ouvrier sur une machine de transfert en 1949) qui a pris fin.
Avec la fermeture de l’usine, c’est tout un monde qui ressemble à celui du film « Les temps modernes » de Charlie Chaplin (ici un ouvrier sur une machine de transfert en 1949) qui a pris fin. DR Renault Communication

Et tandis que l’OS répétait chaque jour le même geste, dans les locaux du Parisien, basé à l’époque à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), les journalistes côtoyaient aussi le monde industriel de la presse. “On travaillait sur des machines à écrire, il y avait un bruit fou quand tout le monde tapait vers 17 ou 18 heures. On frappait sur ces machines, on fumait et on buvait beaucoup… Il n’y avait pas un jour où il n’y avait pas de pot”, se souvient, un peu nostalgique, l’ancien reporter du Parisien.

Une fois le papier rédigé, la feuille était sténographiée pour être envoyée à des machines qui fabriquaient des bandes de papier. Ces bandes ont été remises aux secrétaires de rédaction qui les ont collées sur des modèles avec les photos papier. Les modèles étaient ensuite envoyés à l’atelier où la page était composée au plomb. Tout cela se faisait dans un même bâtiment avec une division du travail importante mais avec « une grande proximité » entre tous les corps de métier, se souvient Jacques Lallain.

 
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