“La voiture est un objet médiocre”

“La voiture est un objet médiocre”
“La voiture est un objet médiocre”

Une exposition sur les voitures dont on sort en se demandant si nous pourrions vivre sans, car l’automobile est tellement dans nos imaginaires et nos projections pour l’avenir. Pensez-vous que nous pourrions vivre sans voiture ?

En milieu urbain, c’est faisable. Dans les grandes villes, les infrastructures peuvent être développées pour utiliser d’autres modes de déplacement. Mais l’étalement urbain est un problème réel et massif à l’échelle européenne. Nous sommes donc loin de nous débarrasser de la voiture. Aujourd’hui, c’est un objet médiocre mais qui remplit suffisamment de fonctions pour qu’on le tolère.

La voiture, un objet médiocre ? Jetez tout !

Elle n’est pas à son meilleur. Écoutez, la plupart du temps, vous avez quatre sièges inutilisés. Il est trop grand pour la ville, et en même temps, bien souvent, il ne remplit pas sa fonction de chargement, car ce n’est pas non plus un fourgon.

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L’automobile est un objet médiocre mais qui remplit suffisamment de fonctions pour être toléré.

À certaines époques, la voiture a-t-elle été plus adaptée aux besoins de ses utilisateurs ?

Cela n’a jamais vraiment été adapté. C’est un objet socialement imposé. Au départ, ce sont les classes dirigeantes qui avaient les moyens de s’offrir ce jouet. Les constructeurs fabriquent des voitures pour eux-mêmes, comme aujourd’hui, Elon Musk fabrique sa Tesla, d’abord pour lui-même, puis la commercialise pour des gens riches comme lui. C’est alors cette communauté qui réclame d’avoir de l’électricité partout. Depuis le début, la voiture est une lutte de classes.

Mais au départ, les gens sont contre l’automobile. Sur les routes, c’est des piétons et des animaux et tout d’un coup, un objet arrive, qui va vite et écrase. Dès le départ, la critique de l’automobile était la suivante : bruyante, dangereuse et polluante, rien de nouveau aujourd’hui. Les lobbies automobiles l’imposent et responsabilisent les piétons. Depuis le retentissant procès de Ralph Nader contre General Motors, l’industrie qui fabriquait des voitures dangereuses doit changer de position (l’avocat américain a publié un essai en 1965 « Unsafe at Any Speed ​​», NDLR). Les constructeurs sont contraints de procéder à des crash tests. Petit à petit, le droit commence à concevoir les voitures et on a aujourd’hui une image très claire du droit qui imagine les voitures, notamment à travers la forme d’un SUV.

Un SUV Nautilus, Lincoln, représentatif de ces modèles de véhicules.

Avez-vous l’impression qu’avec la crise des ressources, il pourrait y avoir une transformation de ce monde automobile vers quelque chose de moins énergivore ?

On voit, en milieu urbain, le nombre d’objets de mobilité qui sont apparus : trottinettes, rollers, vélos cargo, vélos en libre-service. Tout cela coexiste avec un modèle économique qui exprime la classe automobile. On a eu un pic dans les années 2000, la « surconsommation de l’enseigne » et des marques partout. Nous voyons désormais de nouvelles stratégies. Regardez les jeunes, les premiers touchés car moins riches que leurs aînés : ils sont pragmatiques sur la question automobile. Les jeunes créateurs ne se disent pas : «je vais faire une belle balade« .

Dans l’exposition « Autofiction », on découvrira un certain nombre de concept-cars, qui mettent en lumière les besoins actuels, et notamment un véhicule monoplace qui consomme moins et roule plus lentement, idéal pour répondre aux besoins des usagers de la ville. qui ne sait pas faire du vélo. ©CAROLINE_DETHIER

Il y a deux milliards de voitures sur Terre. Est-ce un chiffre susceptible d’augmenter ?

Avec les voitures, il faut des infrastructures et des richesses pétrolières. Et pour de nombreux États, il est difficile d’acheter du pétrole, ces pays ne peuvent donc pas être développés. Mais sachez qu’il existe des territoires où, sans voiture, c’est impossible. Je pense aux États-Unis, à l’Amérique du Sud ou aux grandes agglomérations des côtes africaines.

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La route mythique, la 66, qui va de Chicago à Los Angeles, soutient le mythe de la voiture qui permet de partir à l’aventure. ©Reporters / Laif

En fait, moins de voitures n’est pas une évidence. Nous ne devons pas aborder cette question à travers le prisme des habitants des centres urbains européens. C’est d’ailleurs dommageable, car la presse vit souvent dans les centres urbains et a une vision biaisée de la mobilité. Mais regardez quand vous vous promenez en Belgique, il y a des infrastructures routières partout.

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Regardez quand vous vous promenez en Belgique, il y a des infrastructures routières partout.»

Autre chiffre intéressant de l’exposition : une voiture, a priori, dans son existence, sera à l’arrêt 96% de son temps.

Avez-vous remarqué ? En ville, on ne peut pas prendre de photo sans voiture dans le paysage. C’est un objet omniprésent. Et la plupart du temps à l’arrêt. Avec une faible vitesse effective ! En ville, on roule aussi vite qu’on conduit une voiture. Mais attention, le vélo n’est pas une panacée. Un certain nombre de personnes n’y arrivent pas. Les injonctions au vélo sont nombreuses, mais qu’en est-il des personnes ayant des enfants, des personnes handicapées, des personnes âgées ?

Les choses ne sont pas encore résolues dans notre imaginaire, et chacun doit revoir sa copie. Les Gilets jaunes ont été une révolte automobile qui a cristallisé le problème de l’étalement urbain, longtemps facilité par les politiques publiques. Aujourd’hui, nous voulons revenir en arrière, mais dans certains endroits, nous continuons à nous développer de manière absurde. On continue de vendre des voitures pour que les gens puissent aller plus loin tout en disant qu’il faut retourner dans les centres. Notre logique ne fonctionne plus.

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“La voiture roule à la vitesse d’une calèche !”

L’automobile est en effet un sujet très politique.

Il faut en tout cas se lancer en politique pour en reparler. Les politiques ont eu tendance à monopoliser ces questions techniques auprès des ingénieurs. Les ingénieurs ont créé des infrastructures approuvées par les politiques publiques, cela a développé l’emploi et cela a été validé par les politiques. Ce modèle est simpliste, car il y a d’autres partenaires à prendre en compte. La démocratie technique, qu’est-ce que cela signifie ? Justement, si l’on publie un article, il est important d’amener les gens à cette idée que, derrière toutes nos questions, il faut remettre en question la « démocratie technique ».

Mais en réalité, nous ne sommes pas encore tout à fait prêts, psychologiquement, à abandonner notre voiture. ou encore pour valider des modèles de véhicules partagés par exemple…

Pour quelqu’un qui appartient à la classe bourgeoise, la propriété est fondamentale et le partage est toujours annulé. Ce sont ceux qui sont dominants qui créeront, ou non, des soutiens.

D’autant plus si vous décidez de donner une valeur symbolique ou émotionnelle à votre voiture…

Et nous y mettons des effets… Avez-vous déjà remarqué ces grosses voitures chères garées dans les parkings des hypermarchés low-cost ? Quand vous voyez la voiture avancer, vous ne voyez pas les gens à l’intérieur. C’est une façon de cacher la misère dans une boîte. Et encore une fois, nous ne parlons pas de toutes les voitures de leasing, ni de celles achetées à crédit. 90 % des Audi sont en leasing, une voiture très « statutaire », dont les conducteurs ne sont pas propriétaires.

Le leasing privé, une nouvelle tendance sur le marché belge.

La voiture devient également de plus en plus « technologique ». Avec cette promesse de nous faciliter la vie. Mais du coup, on ne sait plus lire une carte sans GPS ; on ne sait plus faire un écart sans caméra de recul.

Il y a une sorte de « superrécit » à ce sujet. Je connais un ingénieur qui travaille sur les voitures autonomes. Il réfléchit à la manière dont le véhicule autonome pourrait communiquer avec les autres utilisateurs de l’espace public ; il imagine que l’on pourrait intégrer des informations dans les phares des voitures… Mais il part du présupposé que nous voulons tous vivre ainsi…

Pour la voiture du futur, tout sera une question de savoir-faire.

Dans les années 1970, le philosophe Ivan Illich travaillait sur l’automobile. Il dit que nous franchissons des seuils techniques : une voiture roule d’abord à 30-40 km/h, puis à 60 km/h. Comme il y a du vent là-bas, il faut ajouter des portes. Au-dessus de 60 km/h, nous avons des accidents plus dangereux, donc nous mettons des garde-corps et créons des « zones de sécurité ». Une autoroute fait entre 250 et 500 mètres de large, un ruban qui défigure le paysage. Et chaque fois que nous ajoutons de la sécurité, nous relevons les seuils techniques. Et les ingénieurs ont pour mission de vous aider à « franchir » le seuil technique. Ils ajoutent de la technologie, qui recrée des contraintes, sur lesquelles travaillent d’autres ingénieurs….

Et si la solution était de rouler moins vite ?

Illich avait fait ces calculs : quand on achète une voiture, on achète une assurance, un parking, on passe du temps. Vous travaillez pour financer votre voiture. Il a calculé le coût de la voiture et donc la vitesse qu’elle nous donne réellement. En résumé : la voiture roule à la vitesse d’une calèche ! Nous avons simplement ajouté une amplification technologique. Et il a écrit ceci en 1975.

Que désirons-nous au quotidien ? Si on veut voir des amis, on ne peut pas y aller à pied ? Si c’est pour vivre avec vos enfants, pouvez-vous avoir des activités sur place ? On pense aussi à ces jeunes qui ont des voitures suralimentées et qui accélèrent entre deux feux : on est dans l’absurdité totale. Agressif et violent. Nous voyons aussi toute cette frustration.

Alors que justement, la voiture nous est vendue comme un objet émancipateur. La voiture qui nous donne la liberté, un mythe qui a fait long feu…

Notez que nous continuons à diffuser des publicités dans lesquelles une voiture circule seule dans l’espace public. Pas très crédible… Mais je dirais surtout que la voiture est un objet disciplinaire. Dans les années 1970, le philosophe André Gorz écrivait L’idéologie de la voiture, dans lequel il analyse le système idéologique en place derrière l’automobile. Il anticipe alors les questions de décroissance.

Notre société est-elle capable d’accepter que le fantasme qu’elle a placé dans la voiture n’est qu’un fantasme ?

Je vous dirai qu’il y a une réelle inquiétude chez les constructeurs : ils perdent une clientèle jeune. L’âge moyen des acheteurs de voitures est supérieur à 50 ans. En effet, aujourd’hui, certains hommes ont besoin de reconnaissance, alors on s’adresse à eux avec des véhicules performants et des moteurs suralimentés. Mais les jeunes des zones urbaines n’achètent plus de voitures. Et même à la campagne, ils commencent à utiliser les services numériques comme Uber pour se déplacer.

⇒”Autofiction, une biographie de l’objet automobile », au CID (Centre d’Innovation et de Design), site du Grand Hornu, à Hornu, jusqu’au 16 février 2025. Infos : www.cid-grand-hornu.be


Microvisite en bouche

Si la R5 Diamant de Pierre Gonalons pour Renault brille au milieu de l’exposition, on soulignera néanmoins la grande multiplicité des propositions de design qu’offre Autofiction. Vidéo avec Olivier Bosson et Nicolas Gourault qui s’interrogent sur les déboires des véhicules autonomes. Qui est responsable lorsque le conducteur virtuel renverse un humain ? On passe en revue les alternatives aux voitures de notre époque, la Microlino électrique ou ce véhicule polyvalent de Toyota qui s’adapte aux continents. On est rattrapé par le travail marquant de la photographe Camille Ayme sur le recyclage dans les casses automobiles (peu de choses se recyclent dans une voiture, le drame !) Enfin, coup de coeur pour le BX de Mathilde Pellé qui a travaillé avec des élèves du lycée Hornu-Colfontaine école. À contre-courant de notre époque « d’option » et de capitalisme qui explique tout ce qui vous manque, elle a questionné l’automobile sous l’angle de la réduction. Que peut-on retirer d’une voiture ? Pas mal de choses en fait… DE

 
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