A 19 heures, le corner PMU du bar L’Imprévu est toujours bondé d’habitués, rassemblés devant les bornes de jeux ou assis sur les bancs en Skaï couleur caramel, les yeux rivés sur les courses retransmises sur grand écran. “Je connais tout le monde ici, ce sont mes amis, ma famille”, » raconte Lalou Elie Thaieb, 75 ans, visage émacié et doudoune grise, balayant la pièce de la main dans les vapeurs de la cigarette électronique. Quand on lui demande combien de temps il passe ici dans la semaine, il rit : “J’arrive à midi, je pars vers 20 heures. Je viens tous les jours depuis trente ans et je perds entre 200 et 300 euros par mois”il calcule. Hamid, 30 ans (il préfère rester anonyme, comme d’autres témoins de cet article), chauffeur de taxi de passage après sa journée de travail, abonde dans le même sens : « Nous sommes un peu accros. Les jeux ne sont pas faits pour gagner. Je ne vais pas tarder, c’est quand même mieux d’être avec ma femme à la maison »assure-t-il. Le même groupe de retraités, jardiniers et ouvriers du bâtiment se retrouve toute l’année dans ce bistrot de la porte de Clichy à Paris.
Mais, ce soir, leurs habitudes vont être un peu bousculées. Le collectif Bouledogue, spécialisé dans la création de“événements inhabituels”pose ses valises pour un “PMU party”ces soirées organisées chaque mois dans différents lieux de Paris ou de Lille. Pour accentuer encore davantage l’esthétique désuète du bar, l’équipe a suspendu des lumières colorées au plafond, installées bière-pong sur les tables de la terrasse, collées des parodies de phrases de « contre-psychologie » sur le zinc. « Dans les PMU, il y a ce côté fédérateur, un peu brut. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire, en essayant de garder l’âme du lieu tout en le rendant plus sexy. Les gens en ont marre de payer 20 dollars pour entrer dans un club, ils ont besoin de renouveau, d’un lieu diversifié. », analyse Valentin Malguy, créateur du collectif Bouledogue, pull col roulé en laine et pinte de blonde à la main. Ce fut un succès : pour cette édition, 600 personnes ont réservé leur place gratuitement.
Habitué des « soirées PMU », Redouane, informaticien de 40 ans, est venu avec un groupe d’amis s’asseoir en terrasse, jouer aux dames et gratter les grilles Cash. “On joue tous les soirs, on se dit que c’est dans le folklore”, il rit. Simon, 28 ans, lunettes de soleil portées à l’arrière de la tête, dit retrouver ici « l’ambiance » qu’il cherche, un endroit, “quelque chose d’un peu beau, d’un peu simple, où on peut crier fort, boire beaucoup, dire des bêtises”loin des autres espaces parisiens, « Là où les gens sont trop individualistes, ils restent beaucoup dans leur propre groupe ». Un DJ installé à l’entrée du bar joue de la tech house, des trentenaires qui n’ont jamais mis les pieds dans le public de L’Imprévu sur la piste. Mais depuis quand les bars du PMU sont-ils devenus des éléments du patrimoine français, un objet de curiosité pour les non-amateurs de jeux d’argent ? Et à quelle imagination ces espaces bien réels (il existe 14 200 points de vente PMU en France) évoquent-ils ?
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