Oubliez les néo-nazis au crâne rasé, à la veste verte et aux bottes de combat. Alors que l’extrême droite se renforce un peu partout en Occident, le regard skinhead n’est plus populaire. Il a été remplacé par des vêtements d’apparence plus inoffensive. Mais le discours reste le même.
Cette tendance est actuellement étudiée par Elke Gaugele et Sarah Held, respectivement professeur et chercheuse à l’Académie des Beaux-Arts de Vienne. Dans le cadre de leur projet Mode et extrême droite, la nouvelle complexité du styleles deux chercheurs expliquent comment la nouvelle droite radicale utilise la mode pour adoucir son image et se rendre plus acceptable aux yeux de l’opinion publique.
L’idée est de paraître « moins menaçant », résume simplement Elke Gaugele, rejointe par La presse en Autriche.
Vêtements de marque et ultra-droite ont toujours fait bon ménage, explique le chercheur. LE skinheads aux tendances néo-nazies portent des polos noirs et jaunes de la marque Fred Perry depuis la fin des années 1960. Ce look a été perpétué dans les années 2010 par les Proud Boys de l’ex-Montréalais Gavin McInness, co-fondateur du très branché magazine Vicequi est depuis devenu une figure marquante du suprémacisme blanc aux États-Unis.
La marque anglaise de t-shirts Lonsdale a également été victime de ce qu’Elke Gaugele appelle le détournement de haine (détournement haineux). Porté judicieusement sous une veste ouverte, le logo de l’entreprise ne laisse apparaître que les quatre lettres NSDA, qui font subtilement référence au parti d’Adolf Hitler, le NSDAP (Parti national-socialiste des travailleurs allemands).
Dans un registre encore plus tordu, des radicaux dualt-droite ont également créé la marque The White Race, avec le même logo que The North Face, tandis que d’autres ont transformé le maillot des Red Wings de Détroit en celui des Right Wings, avec le célèbre soleil noir, symbole nazi reconnu, en place et places des rayons. sur la roue du logo de l’équipe.
Les sociétés Lonsdale et Fred Perry n’ont pas manqué de réagir aux détournements de leurs marques à des fins idéologiques, la première en s’associant à des festivals LGBTQ+ et prônant l’inclusion, la seconde en cessant toute distribution des polos concernés en Amérique.
Mais cela n’a pas empêché la mode fasciste de prospérer, notamment en Allemagne et en Autriche, où l’extrême droite connaît actuellement un regain dans la sphère politique, avec la montée des partis xénophobes de l’AfD et du FPÖ, qui prônent notamment le « remigration » des étrangers, projet d’expulsion massive motivé par la théorie du Grand Remplacement.
Relooking
Pour combler le vide laissé par Lonsdale et Fred Perry, de nouvelles marques sont apparues dans ces deux pays. Parmi eux, citons la marque allemande Thor Steinar, qui propose une gamme de t-shirts à l’esthétique viking et aux slogans plus ou moins explicites (« Sauvez le continent blanc »), ou encore la société autrichienne Phalanx Europa, fondée par Martin Sellner. , nouvelle tête d’affiche du mouvement identitaire autrichien, proche idéologiquement du FPÖ et de l’AfD.
Inspiré par Gavin McInnes et le philosophe français Alain de Benoist, Sellner a vite compris que la culture pop pouvait servir les intérêts idéologiques de l’extrême droite. Avec Phalanx, il reprend les codes de la mode hipster pour créer une collection de vêtements aux designs tendances et aux slogans cool. Exemples entre autres : une estampe de loutre, avec la phrase « Ma rivière, mes règles », ou encore des icônes inspirées du christianisme médiéval.
-Inoffensif, à première vue. Sauf que la plupart de ces t-shirts « véhiculent des idées islamophobes », souligne Elke Gaugele, évoquant notamment les croisades ainsi que le concept d’Europe forteresse, fermée à l’immigration. Ce qui les rend, selon elle, encore plus insidieux.
[Sellner] a déclaré : « Nous voulons être des hipsters identitaires et nous rendons ces t-shirts plus attrayants. » C’est un objectif ouvertement déclaré de la marque.
Elke Gaugele, professeur à l’Académie des Beaux-Arts de Vienne
Cette confusion des codes va encore plus loin, puisque Phalanx joue désormais le « normcore », qui consiste à s’habiller de la manière la plus conservatrice et beige possible, afin de paraître plus fréquentable. Le logo n’apparaît qu’en très petite taille sur des polos très conservateurs. bon goût ou des sweats à capuche gris sans personnalité.
Selon Elke Gaugele, cette stratégie de banalisation s’adresse directement aux jeunes en quête d’une communauté idéologique. “C’est une façon de mobiliser, d’attirer la nouvelle génération, en montrant qu’on peut être tendance tout en étant nazi”, dit-elle.
Apparemment ça marche. Journaliste indépendant appelé à couvrir l’extrême droite autrichienne, Christof Mackinger remarque que « beaucoup de jeunes militants ont l’air plus normaux qu’il y a 20 ans », que « les polos sont très visibles dans leurs manifestations » et qu’il n’y reste « pratiquement plus » skinheads à l’ancienne », avec des « références positives au national-socialisme ».
Le résultat pourrait rendre le mouvement plus attractif pour certains jeunes, reconnaît Christof Mackinger. Mais il s’empresse d’ajouter qu’en fin de compte, ces vêtements véhiculent « les mêmes vieilles histoires sur la race et le remplacement, avec juste un vocabulaire différent ».
Expansion et résistance
Comme pour l’extrême droite en Europe, le phénomène serait en hausse, notamment sur le marché de la vente en ligne. Elke Gaugele note que la société Thor Steiner dispose d’un « énorme système de distribution » qui lui permet, entre autres, de vendre en Russie, en Finlande ou aux États-Unis.
Légalement, il est très difficile d’empêcher la distribution de ces vêtements, car la plupart ne sont pas explicitement d’extrême droite ou néo-nazis. En Allemagne, cependant, la société civile s’est mobilisée pour empêcher l’ouverture des magasins Thor Steiner à Hambourg, Brême et Berlin. De son côté, l’ONG de gauche Laut gegen Nazis tente de contrer cette expansion à travers diverses stratégies, qui vont de la sensibilisation aux pirouettes administratives (voir autre texte).
C’est là, en fin de compte, le plus grand défi lorsqu’il s’agit de contrer cette stratégie de banalisation. Le message est parfois tellement codé qu’il devient difficile à identifier et donc à combattre.
Une bénédiction déguisée, conclut Simon Knittel, directeur créatif de l’agence de publicité Jung von Matt et porte-parole de Laut gegen Nazis. « Elle est parfois si cachée, si subtile que seuls les initiés la reconnaissent. D’une certaine manière, je pense que c’est une bonne nouvelle. Le problème est que nous ne savons pas toujours quoi faire pour lutter contre cela. »