Ils étaient probablement des centaines, à leur grande surprise, à se rassembler rue des Panoyaux, à Ménilmontant, ce samedi soir, dans un mouvement collectif d’adieu au Saint-Sauveur. Ce bar, siège historique de la gauche radicale et des antifas parisiens, a tiré sa révérence après 19 ans d’histoire. Son fondateur et propriétaire, Julien Terzics, figure historique de l’antifa parisien, est décédé en juillet dernier des suites d’un cancer. Il avait créé cet établissement pour offrir refuge aux militants antifascistes et de gauche radicale.
« J’ai les couilles », confie Karim, habitué du bar depuis plusieurs années. « Ce bar était le seul où j’étais à l’aise. C’était le seul endroit où l’on pouvait rencontrer une certaine population de Paris, entre les punks, les anarchistes, les antifas… Et je ne sais pas où je vais les trouver. » Quelques mètres plus loin, un jeune homme, Pierre, nous rejoint spontanément : « J’ai 30 ans aujourd’hui, je viens ici depuis que j’ai onze ans. J’étais déchiré au téléphone, quand un ami m’a dit : « C’est fini ».
Qu’ils soient adolescents, étudiants ou retraités, les habitués de Saint-Sauveur regrettent unanimement « un lieu de vie et de liberté incroyable », où régnait « une vie de quartier sans précédent », mêlant syndicalistes, luttes féministes et jeunes de Saint-Sauveur. Quartier Sauveur. la Banane, située quelques mètres plus loin. « On était ici dans un lieu libre où on laisse les problèmes dehors, avec un mélange de tout le monde complètement hallucinant », décrit Sandrine, des étoiles plein les yeux.
Au fil des années, le bar s’est transformé en un véritable lieu de contre-culture, donnant lieu à plusieurs projets, comme la création de l’Action antifasciste Paris Banlieue ou par exemple sa propre équipe de football, le Ménilmontant FC 1871. Il a, plus largement, devenir un véritable lieu de vie du quartier. Au cours des dernières années, le Saint-Sauveur avait connu plusieurs fermetures administratives, officiellement pour bruit nocturne, mettant à mal le moral de sa clientèle. « On sait que le bar s’accompagnait de sa réputation sulfureuse, et qu’il y a eu la gentrification du quartier », reconnaît Karim.
Après une énième fermeture qui lui a coûté 15 000 euros, Julien Terzics a écrit sur la page Facebook de l’établissement : « Parce que les nouveaux citadins branchés qui viennent s’installer à Ménilmontant, séduits par ce « quartier qui bouge », ne veulent pas que « ça se passe » en bas de chez eux. (…) Parce que nous ne sommes pas du genre à céder. » Et si certains croient encore que quelqu’un reprendra l’aventure, d’autres philosophent : « Les monuments sont faits pour être détruits ».