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Décryptage
Durement touché par le terrorisme en 2015, l’État français a adopté plusieurs mesures pour améliorer la lutte contre le terrorisme. Des mesures efficaces mais qui ont depuis donné lieu à des détournements répressifs faute de contrôle.
Le 7 janvier 2015, il y a tout juste dix ans, les frères Chérif et Saïd Kouachi pénétraient dans les locaux de « Charlie Hebdo » à Paris et assassinaient douze personnes. S’en suivront l’assassinat d’un policier municipal de Montrouge et la prise d’otage du magasin Hyper Cacher de la porte de Vincennes par Amedy Coulibaly. Trois jours qui vont faire basculer la France dans le cauchemar du terrorisme qui se poursuivra avec les attentats du 13 novembre (130 morts).
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En réponse, les pouvoirs publics s’efforcent de fournir des armes supplémentaires aux forces de l’ordre, aux services de renseignement et à la justice. Des lois sont votées, des débats sont lancés et surtout, l’état d’urgence est activé pour la première fois depuis la guerre d’Algérie. Des décisions qui ont permis d’améliorer la lutte contre le terrorisme, mais qui ont depuis donné lieu à des détournements liberticides faute de contrôle.
Retour à janvier 2015. Le gouvernement socialiste avait promulgué deux mois plus tôt une loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. François Hollande, alors président de la République, a renoncé à déclarer l’état d’urgence. En revanche, il accélère la présentation d’un texte visant à encadrer juridiquement les activités des services de renseignement, qui sera adopté le 24 juillet. “Ce n’était pas parfait mais cela a jeté les bases d’un contrôle du renseignement”explique Serge Slama, professeur de droit public à l’université Grenoble-Alpes.
Une loi qui pose « les bases du contrôle du renseignement »
Alors que de nombreuses pratiques se déroulent en dehors de tout contrôle autre que hiérarchique, le nouveau texte donne une base juridique aux actions de renseignement : écoutes téléphoniques, marquage des véhicules, sonorisation dans les lieux privés, captation d’images et de données informatiques, etc. nécessitent désormais l’autorisation du Premier ministre, après avis d’une autorité administrative indépendante. Un droit de recours auprès du Conseil d’État est également prévu.
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« La France est mieux armée aujourd’hui» s’est félicité dix ans plus tard dans un entretien au « Nouvel Obs » Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’Intérieur. Parce que nous avons considérablement augmenté les moyens des forces de sécurité intérieure et des services de renseignement pour faire face à une menace sans précédent. » Certaines mesures sont cependant jugées répressives et contestées par plusieurs associations, à commencer par l’introduction des « IMSI-catchers », imitateurs d’antennes relais qui permettent d’aspirer en masse les conversations téléphoniques. Ou encore les « boîtes noires » censées permettre aux services de renseignement d’analyser de grandes quantités de données récupérées sur internet. Ce dernier point a également été remis en cause par la Cour de justice de l’Union européenne en 2020.
L’état d’urgence, des pouvoirs « exorbitants » et « abusés »
Le principal changement s’est produit le soir des attentats de novembre 2015, lorsque François Hollande a déclaré l’état d’urgence. Une mesure exceptionnelle prévue par la loi d’avril 1955, qui offre de nombreux pouvoirs supplémentaires aux pouvoirs publics : restriction des déplacements, interdiction de réunions publiques, assignation à résidence, perquisitions en tout lieu, etc. Des dispositions intrusives justifiées par l’urgence et réglementées par la loi. ce qui ne les autorise que pour douze jours. « En ce moment, il y a des centaines de morts, on ne sait pas s’il n’y aura pas d’autres attentats, donc le recours à l’état d’urgence me semble justifié »le juge Serge Slama.
Passé ce délai, le Parlement doit trancher. Le 20 novembre 2015, il prolonge ce régime d’exception pour une durée de trois mois, puis le renouvelle cinq autres fois jusqu’à… 1est Novembre 2017. « D’un point de vue opérationnel, cela n’était plus justifiécritique l’avocat spécialisé dans les contentieux des droits fondamentaux. Mais d’un point de vue électoral, c’était extrêmement compliqué de s’en sortir. » Résultat : après avoir annoncé la fin prochaine de l’état d’urgence lors de son discours du 14 juillet, François Hollande a changé d’avis suite à l’attentat de Nice quelques heures plus tard.
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La sortie arrivera enfin avec l’élection d’Emmanuel Macron, qui en avait fait une promesse de campagne. « Mais la contrepartie a été de transposer dans le droit commun les principales mesures de l’état d’urgence »explique Serge Slama. Le 30 octobre 2017, la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme a été promulguée et sert depuis de loi-cadre pour la lutte contre le terrorisme. La différence ? Jusqu’ici exceptionnelles, ces mesures peuvent désormais être utilisées à tout moment. « Cela ouvre une fenêtre d’opportunité pour les préfets ou le ministre de l’Intérieur pour détourner ces pouvoirs un peu exorbitants de leur destination. »
« Il faut se méfier des effets secondaires »
Ainsi, le recours à ces mesures s’observe dans des situations très éloignées de leur objectif antiterroriste : périmètre de sécurité lors des déplacements d’Emmanuel Macron pour échapper aux « évasions », tentative de dissolution des Insurrections de la Terre, à l’écart des manifestants, 1,2 million de mesures administratives. enquêtes lors des Jeux Olympiques de Paris (JO)… Pour Serge Slama, la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques même « permet de visualiser en un seul endroit plusieurs vestiges de différents états d’urgence : périmètre de protection, zone de restriction de circulation, assignation à résidence des personnes jugées dangereuses, utilisation systématique de drones et de QR codes… »
Si l’avocat assure qu’il est normal de faire évoluer les techniques de renseignement face aux nouvelles menaces terroristes, il alerte sur le manque de contrôle et la « usages abusifs » outils. En août 2023, un député de la Renaissance propose la dissolution de La France insoumise, mouvement politique représenté à l’Assemblée nationale… Jusqu’où cela peut-il aller ? Le temps nous le dira. En attendant, Serge Slama répond à Bernard Cazeneuve : « Oui, nous sommes mieux armés et les moyens de base ont réduit le nombre d’attaques, mais il faut se méfier des effets secondaires. »