Un événement. Lorsqu’il arrive à Royan, en 1941, pour tourner dans le film « Fièvres », réalisé par Jean Delannoy, Tino Rossi n’a pas encore chanté « Petit Papa Noël » sorti en 1946, mais a déjà à son actif de belles chansons. Sa percée fulgurante est en partie due à son physique de Rudolph Valentino. Gominé, tiré à quatre épingles, celui qui fait chavirer le cœur des filles débute également une carrière au cinéma au début des années 30. Dans ce long métrage, il incarne le rôle d’une chanteuse d’opéra à succès mariée à Maria, interprétée par Madeleine Sologne. Si l’histoire est censée se dérouler dans le sud de la France, le réalisateur a choisi la côte de Royan pour sa ressemblance avec celle de la Méditerranée. Dans ce film, l’acteur chantera l’Ave Maria de Schubert, l’un de ses grands succès.
C’est durant cette période de tournage, fortement encadré par l’armée allemande, notamment à l’abbaye de Sablonceaux et dans la forêt de Suzac, que le Royannais Pierre Abadie de Madières, qui tenait alors un journal de bord, écrivit le récit dès le coup d’envoi d’un match de rugby de Tino Rossi entre Royan et Saint-Maixent le dimanche 19 octobre 1941 (1). D’ailleurs, l’intéressé n’était pas venu voir la confrontation entre les deux équipes mais le chanteur.
« Après avoir attendu, le Corse est enfin arrivé […]. Il portait un pantalon bleu et un très long imperméable. […]. Arrivé au centre du terrain, il s’est arrêté, a mis ses poings sur ses hanches et a regardé vers les tribunes, attendant sans doute les applaudissements, mais en vain, car personne ne bougeait. Tout le monde était désillusionné car il le trouvait laid. C’est vrai qu’il ne s’est pas maquillé comme dans un film », commence le témoin de ce spectacle.
Et Tino Rossi a tiré !
« Finalement les joueurs de Saint-Maixent ont poussé trois hourras !, le Tino a pris son élan, a tiré, comme on dit en langage sportif, et a quitté le terrain en courant. Il se rendit à la buvette, se rafraîchit, serra quelques mains et partit. Tout le monde était d’accord sur un point : il ne souffre pas des restrictions. » L’acteur-chanteur était habillé pour l’hiver. On ne peut pas dire qu’il ait laissé, à la lecture de Pierre Abadie de Madières, un souvenir inoubliable dans la tête des amateurs de ballon ovale. En revanche, le match, oui.
« J’aurais commencé mais j’étais coincé dans mon stand. Royan l’a emporté par 13 à 0. Bilan des morts : un homme est tombé si fort sur la face que la terre a jailli ; il a quitté le terrain le visage ensanglanté, une dent à la main ; un deuxième avait un bras presque disloqué ; un troisième, qui avait reçu un coup à la cheville droite, a été transporté dehors à bout de bras ; un quatrième s’est évanoui longtemps et a été évacué. Il n’y a eu aucun décès. Là, j’ai vu, je connais Tino Rossi… ». Et ça n’avait pas de prix…
(1) Passage by Pierre Abadie de Madières published in “War and Beach” volume I by Marie-Anne Bouchet-Roy by Éditions Bonne Anse.