Après la projection du documentaire Le retour du projectionniste au cinéma Urba d’Orbe, fin novembre, Serge Authier, projectionniste à la retraite, a évoqué devant le public l’histoire et la conservation des Films cinématographiques.
En 1968, petit ouvreur au cinéma Lido de Lausanne, Serge Authier apprend le métier de projectionniste. Une véritable passion : il n’a pas hésité à transporter un projecteur portable de 50 kilos, un écran et une enceinte à l’université pour projeter des films. Après onze années passées en Romandie à projeter en 35 et 70 mm, il part en 1998 pour la Cinémathèque, où il reste 20 ans, tout en dirigeant également le cinéma indépendant Le Bellevaux.
Fin novembre au cinéma Urba, à l’occasion de la projection du documentaire Le retour du projectionnisteSerge a apporté au public un morceau de film 35 mm en bobine et un autre film 70 mm, un film prêté par la Cinémathèque, qu’il a laissé circuler dans la salle.
Un métier débrouillard
Ce sont des films comme Docteur Jivago, Guerres des étoiles ou Ben-Comment qui passaient en 70 mm, a-t-il expliqué. Un format que l’on pourrait comparer aujourd’hui au numérique 8K : « C’était vraiment une image magnifique, on voyait presque les pores de la peau. Il y avait six pistes stéréophoniques : quand il y avait un hélicoptère dans l’image, on avait l’impression qu’il était dans la pièce.
Un jour, en Romandie, une scène de Ne touche pas à la femme blancheune partie des films qui devaient être visionnés le matin pour les censeurs et la presse, devaient être remontés au bon endroit. Il a fallu aller chercher l’éditeur à Genève, couper, coller et changer la scène sur les 8 exemplaires, raconte-t-il. Cela faisait aussi partie du travail des projectionnistes, dont la formation incluait l’optique, le cinéma, l’électricité… Des lampes de 3000 à 4000 watts pouvaient exploser, détruire la lanterne et le miroir du projecteur, rayer la lentille. Chaque cinéma avait souvent un objectif sur mesure, avec des ouvertures différentes selon les dimensions des salles. A l’époque, Serge mesurait la distance entre l’objectif et l’écran avec une ficelle, pour obtenir l’ouverture exacte de l’objectif ! « Il n’y avait pas de lasers à l’époque. Nous avons également changé un crible pour un rouleau concave de 117 m2 avec 7 m de hauteur en Romandie. On l’a transporté à sept heures, on a commencé à minuit jusqu’à 9 heures du matin pour la projection de 14 heures.
Un film d’une durée de 2,5 heures équivalait à 4 000 mètres de film. Au bout des galettes contenant les bobines, il y avait des repères, l’un à 45 cm de la fin du film et l’autre à 3,40 m du début, qui permettaient le changement. “Vous ne pouviez pas vous tromper, sinon l’écran resterait vide.” Dans les films anciens, ce sont les cercles noirs qui apparaissent sur l’écran toutes les 15 à 20 minutes.
Conservation difficile
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le passage au numérique n’a pas simplifié la conservation des œuvres. La technologie numérique n’est pas stable, obligeant Hollywood à réaliser des tirages négatifs en 35 mm pour conserver les films le plus longtemps possible. Face à la masse de la production numérique, il viendra un jour où beaucoup de choses seront perdues…
Cependant, préserver le film n’est pas chose aisée. Pour éviter que la couleur des films anciens ne devienne rose, à la Cinémathèque (ndlr Penthaz et Zurich, aujourd’hui), les bobines sont conservées au réfrigérateur, avec un taux d’humidité contrôlé. « Le noir et blanc est plus facile, sauf les premiers films – parfois appelés « films flammes » car constitués de nitrocellulose hautement inflammable – qui sont conservés dans des blockhaus. Ils ont besoin d’être aérés, retournés et sont très délicats. Mais l’image en noir et blanc des films de flammes est la meilleure de toutes, c’est magnifique. Il est désormais interdit de projeter ces films devenus des trésors.
Les travaux de conservation ont commencé avec Freddy Buache, fondateur de la Cinémathèque de Lausanne en 1948. Mais dès 1943, les cinéphiles collectionnaient les films pour les stocker dans les caves de Bâle. La ville l’interdisant, ils furent transférés dans d’autres caves, au Beau-Séjour à Lausanne, puis – car considérés comme des bombes à retardement – dans les anciennes écuries du parc Mon Repos.
Comme le Bellevaux, le Capitole de Lausanne, récemment restauré, ainsi que le Cosmopolis d’Aigle disposent encore d’un projecteur qui peut passer du
Films 35 mm et films de projet. Quelque 60 000 exemplaires sont conservés à la cinémathèque, aux côtés de milliers d’affiches de films. « Une vie ne suffit pas pour tout voir », conclut Serge avec un sourire rêveur.