Ernest Cole, photographe sud-africain, a été le premier à exposer au monde entier les horreurs de l’apartheid. Son livre House of Bondage, publié en 1967 alors qu’il n’avait que 27 ans, l’a conduit à s’exiler à New York et en Europe pour le reste de sa vie, sans jamais retrouver ses repères. Raoul Peck raconte ses errances, ses tourments d’artiste et sa colère au quotidien, face au silence ou la complicité du monde occidental devant les horreurs du régime de l’Apartheid. Il raconte aussi comment, en 2017, 60 000 négatifs de son travail sont découverts dans le coffre d’une banque suédoise.
Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.
Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d’intérêt.
Gérer mes choix J’autorise
Ernest Cole, l’un des premiers photojournalistes noirs d’Afrique du Sud, a créé des images d’une force inouïe qui ont révélées au monde la vie des Noirs sous le régime de l’apartheid. Il s’agit de son œuvre la plus connue et la plus diffusée. Quiconque connaît ce chapitre de l’histoire de l’Afrique du Sud reconnaîtra sa photo emblématique d’une femme blanche d’âge moyen assise sur le banc d’un parc portant l’avertissement « EUROPEANS ONLY. »
Né en 1940 sous le nom d’Ernest Levi Tsoloane Kole à Eersterust, Pretoria, Ernest Cole a commencé́ sa carrière en balayant les sols d’un studio de photographie à Johannesburg à la fin des années 50.
Son travail est reconnu dix ans plus tard, lorsqu’il a été engagé comme photographe indépendant pour le célèbre magazine noir DRUM. Ses photos font de lui une cible du gouvernement sud-africain et, devenu une « persona non grata », il quitte Johannesburg pour l’Europe en 1966. Il expédie certains de ses négatifs et ses tirages hors du pays et en laisse d’autres en sécurité́ chez des amis.
Après un séjour en Europe, il s’installe à New York où il travaille pour l’agence Magnum et publie son premier livre de photographies dénonçant l’apartheid, House of bondage (1967), inspiré du travail d’Henri Cartier-Bresson. Bien qu’interdit en Afrique du Sud, le livre fait date et donne à Cole sa place dans la communauté culturelle noire de l’époque. Plus tard, Cole reçoit une bourse de la Ford Fondation pour photographier la vie des Noirs dans les zones rurales du Sud et les zones urbaines du Nord des États-Unis. Pour des raisons inconnues, le livre n’a jamais été publié. À la fin des années 1970, il semble avoir abandonné la photographie et perdu le contrôle de ses archives. Il traverse des périodes où il est sans domicile fixe et meurt d’un cancer du pancréas en 1990, quelques jours après avoir vu Nelson Mandela sortir de prison.
Raoul Peck se penche sur cet artiste hors-norme :
« Certaines de ces photos sont iconiques et tous ceux qui se sont intéressés à l’Afrique du Sud ou ont pris part à la lutte anti-apartheid les connaissent. »
Ses archives sont nombreuses mais :
« … en 2017, près de 60 000 négatifs et photos sont découverts dans trois grandes malles métalliques dans les coffres d’une banque suédoise. Là, l’histoire tourne carrément au thriller avec la découverte d’un trésor dont on ignorait tous l’existence, y compris la famille. »
Raoul Peck a fait le choix de faire parler Ernest Cole à la première personne :
« Quand on souhaite raconter l’histoire d’artistes noirs qui ont été peu visibles de leur vivant, c’est souvent le point de vue des chroniqueurs occidentaux qui s’exprime. En général, ils sont bienveillants mais avec une note de paternalisme ou une interprétation liée à leur propre vision eurocentrique du personnage, du pays, de l’état du monde…
Je fais des films pour recréer justement une mémoire, développer une narration différente de l’histoire officielle et académique et aussi déconstruire ce regard « extérieur ». En réaction à cela, mon approche est de varier les sources, rencontrer les familles, les amis proches, bref, m’appuyer sur le récit oral lorsqu’il énonce des « faits » et non des anecdotes. Comme j’avais en effet décidé qu’Ernest raconterait sa propre histoire, il me fallait des faits et événements fiables, directs pour trouver le véritable Ernest Cole.
Une façon pour Ernest Cole, parlant à la première personne, de maitriser le récit de sa vie de manière magistrale et incontestable, sans intermédiaire. J’ai épluché tout ce qu’il a écrit lui-même, ses notes de photographe, ses impressions d’artiste… Il n’y a pas de journal à proprement parler mais des courriers, des échanges autour de « La Maison des servitudes ». On y sent une force, une vision politique saisissante pour un jeune homme de 26 ans ou 27 ans. »
Afin de rester au plus près de l’homme Ernest Cole, il a fallu à Raoul Peck :
« … rechercher toux ceux qui l’ont rencontré en Afrique du Sud, en Suède, en Angleterre, aux Etats-Unis… Et on les a tous longuement interviewés pour tirer d’eux leurs ressentis, leurs souvenirs, leur vision. J’ai accumulé des moments-clefs, des réflexions, des états d’âme…
Ernest était en colère, il avait l’impression de ne pas avoir pu accomplir sa vision artistique. C’était bouleversant d’entendre tout cela. »
Ernest Cole est un enfant de l’apartheid :
« … une vraie prison à ciel ouvert régulée de façon drastique par l’État. C’est une expérience qui nie l’humanité de chacun. Ensuite, il arrive à New York. Il pense qu’il va exploser en tant qu’artiste. Or on lui demande surtout de photographier des Noirs, dans la misère. Lui rêve d’être Cartier-Bresson. Un photographe, c’est un photographe, pas « un photographe noir ». Dans les papiers d’Ernest, on a retrouvé beaucoup de magazines de mode, de publicités. Ça l’intéressait. Mais comme on veut qu’il photographie des Noirs, on l’envoie dans le Sud des Etats-Unis. Là où un mauvais geste, un mauvais regard peut conduire au lynchage. C’est terrible. Il est doublement étranger, et noir ! James Baldwin avait vécu ça lui aussi, quand il était allé en reportage dans ces mêmes États du Sud. »
Raoul Peck reprend :
« Ceux qui ont rapporté le récit de la vie d’Ernest Cole et sa lente « déchéance » ont souvent parlé de dépression, de paranoïa, de drogue, de folie. Comme si son histoire ne méritait que de s’inscrire dans une explication pathologique. Cela ne m’a pas pris de - pour comprendre que son problème, c’était l’exil. Je suis passé par là, j’ai passé toute ma jeunesse loin d’Haïti. On oublie que la présence de votre pays dans votre tête est quotidienne. Vous êtes constamment renvoyé aux drames qui se passent chez vous, et vous ne pouvez pas y retourner. Pour lui qui était obligé de rester à l’étranger, l’apartheid était toujours omniprésent… Ça le minait. »
La photo est ici plus qu’un matériel :
« Être photographe, c’est raconter toute une histoire avec très peu d’éléments. Quand le regard se plante dans l’objectif, quelque chose de l’humanité passe. Cette question traversait Ernest Cole. Je le vois dans ses photos, dans les planches de contact. Il se déplaçait pour obtenir ce moment du regard-caméra. Dans toutes ses photos, il y a un personnage qui nous regarde et qui est souvent au centre. J’adore aller chercher le récit dans la photo. Qui est observateur ? Qui est acteur ? Qui est victime ? »
►►► Distribution
- Réalisé par Raoul Peck
- Écrit par Ernest Cole, Raoul Peck
- Avec Lakeith Stanfield, Raoul Peck
L’instant M [!–> Écoute plus tard
[!–> Écouter 18 min