revue d’un monde complètement fou sur Netflix

Repaire de la folie américaine

Existe-t-il meilleur témoin de l’histoire des USA que ces films (ou séries) qui apparaissent de temps à autre faire le même constat à chaque fois : « quel pays fou, tout de même. » Qu’il s’agisse de l’assassinat de JFK, de la guerre froide, du 11 septembre, de l’invasion de l’Irak, etc., les États-Unis ont bouleversé l’imaginaire collectif par leur caractère imprévisible. Le chaos de sa politique et le mystère de ses ambitions (qui ont donné naissance à des théories du complot) ont fait de cette nation un empire kafkaïen idéal pour la fiction dystopique et anxiogène.

Les renversements de valeurs, les contrevérités, les délires médiatiques : tout semble plausible. C’est pour cette raison que le genre du récit paranoïaque a toujours été prolifique aux USA (A cause d’un assassinat, JFK, Los Angeles Invasion). Une paranoïa souvent justifiée parmi un héros qui se retrouve seul contre tout le monde. Celui qui est victime ou spectateur d’un complot à grande échelle. Tout le monde le traitera de fou. La justice va le traquer pour l’arrêter. Cependant, ce samaritain sensé cherchera à démontrer que la folie est ailleurs. Et c’est précisément ce qu’il dit La folie. Une nouvelle tentative de fiction pour observer la confusion américaine, à la mode de 2024.

Quand La folie commence, on a plus l’impression d’être dans Alan Wake que dans un thriller classique. Ce n’est pas une faute, bien au contraire. Le mystère parvient à s’installer très vite et dès le premier épisodeavant même que quelque chose de bizarre n’arrive. Car en fait, le cadre qu’on nous donne est assez suspect. Muncie Daniels (Colman Domingo), journaliste en disgrâce, se réfugie dans une cabane isolée en Pennsylvanie pour écrire son livre.

A peine sa première interaction avec son unique voisin dégage-t-elle un malaise. Muncie est une célébrité afro-américaine et la série réussit facilement à nous faire ressentir la gravité du regard porté sur lui, surtout lorsque l’hostilité s’intensifie. Comme dans un film de Jordan Peelele racisme apparaît particulièrement terrifiant lorsqu’il est dans l’air du temps. Il semble alors polymorphe et capable de surgir de n’importe où sans prévenir. C’est exactement ce qui arrive quand Muncie découvre le corps de son voisinque la police a ensuite identifié comme un suprémaciste blanc bien connu. Tout désigne alors le journaliste comme le suspect numéro 1, pour des raisons absurdes.

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Ce n’est pas toujours subtil, mais le point est là

C’est un monde fou

La meilleure idée de La folie c’est son point de départ. Le suspense des premiers épisodes est bien palpable, car, au-delà des aventures qu’il apporte (on a de l’intrigue, des scènes de course-poursuite, des interrogatoires… tout ce qu’on peut attendre) il reste lié à une politique de commentaire qui touche au concret. A l’ère de la post-vérité où les faits sont aussi malléables que les opinions, la série aborde dans un premier temps l’inversion des rapports de pouvoir, au profit d’un racisme systémique qui semble impossible à battre.

Même s’il est un personnage riche et influent, Muncie est immédiatement le perdant face à des accusations apparemment très grossières. Et même en étant un individu dépolitiséle fait qu’il soit afro-américain le politise automatiquement aux yeux de tous. Il est considéré comme un militant malgré lui, et capable de meurtre sous prétexte que la victime était suprémaciste. Une fausse vérité ce qui correspond à un imaginaire médiatique déjà préconstruit. Muncie, avec la mort aux trousses, décide d’y aller seul et de défier les autorités pour découvrir lui-même la vérité. Un classique. Mais dans ce contexte, cela suffit à nous donner envie de le suivre jusqu’à la fin de ces 8 épisodes.

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Notez l’excellente bande originale de Philip Klein qui émule une ambiance jazz néo-noir super cool.

Dans la suite de l’histoire, La folie parvient un peu moins à surprendre dans son écriture, mais reste très efficace dans sa formule de thriller paranoïaque moderne. Le genre sert aussi à divertir après tout et la série le fait bien. Son scénario est dense et a le bon goût de ne pas trop tourner en rond, en resserrant sur deux intrigues principales (l’un du point de vue de Muncie et sa famille et l’autre du côté d’un personnage secondaire assez réussi) qui avancent à bon rythme sans se disperser.

Le rythme de l’action est soutenu et on aime voir Muncie affronter des tueurs à gages à un moment donné, puis se battre sur le plan médiatique et juridique plus tard. Nous alternons ainsi régulièrement entre Le fugitif et Fille disparue (deux excellentes références donc), sans qu’un ton nuise à l’autre. Bien au contraire. Tout cela fait référence au point central de La folie qui sera le choix des armes (entre violence ou influence) dans le combat politique. Une réflexion que la série aura la bonne idée de ne pas totalement trancher au final et qu’elle met en scène différentes situations concrètes tout au long de l’histoire.

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Le fameux interrogatoire où tout dégénère

Netflix doit

Dans plusieurs scènes, le revolver s’opposera au téléphone et aux réseaux sociaux pour symboliser deux méthodes d’action. Dans un cas, la menace brutale triomphera et parfois c’est le pouvoir des images qui l’emportera. La série poussera cette réflexion sur l’engagement politique jusqu’à son terme (qui rappelle vaguement celle du récent Le tueur par David Fincher) où la question de action violente légitime sera demandé à nouveau. Bref, tout cela est franchement intéressant, mais restera limité par un manque d’audace global. Les sujets les plus complexes de La folie sera malheureusement, au fur et à mesure de l’avancement de la série, dilué dans narration trop sage (la signature Netflix).

Là où les premiers épisodes promettaient d’analyser la montée de nouveaux mouvements suprémacistes et leurs liens avec la sphère politique, les influenceurs et les réseaux sociaux, La folie va progressivement s’en détourner pour se consacrer à plus de problèmes hollywoodiens. On retrouvera ainsi le bon vieux complot impliquant des mégacorporations maléfiques et des riches qui ont un complexe divin en tant que grands méchants. Nous leur opposerons le sympathique père américain qui va, au milieu de tout ce chaos, devoir tenter de renouer avec ses enfants, son ex-femme et sa communauté. Et nous aurons cette fin heureuse cousue de fils blancs.

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Si on pouvait avoir un spin-off sur elle et sa clique ce serait génial, merci

C’est dommage, car cela minimise grandement le cynisme de la série qui aurait dû être la boussole de l’histoirepour nous donner une conclusion beaucoup plus désespérée. Malgré ce regret, il reste Colman Domingo qui, dans son rôle de Muncie Daniels, porte avec succès la série sur ses épaules. C’est très amusant de le voir incarnant Idris Elba dans Luther (sans égaler le charisme, il faut l’avouer) et vraiment s’amuser en héros d’action tourmenté.

L’autre atout de The Madness est Tamsin Topolski, alias Lucie Snipes, la veuve du suprémaciste assassiné. Elle brille particulièrement dans le rôle d’une mère paranoïaque, obligée de renouer avec son ancien clan de fascistes pour obtenir des réponses. Une intrigue qu’on aurait aimé voir davantage (au lieu d’histoires familiales), tant la série lui doit ses meilleures scènes, dont celle où l’un des anciens amis de Lucie (qui se retrouve alors plongée parmi les militants racistes de son quartier) lui exprime son chagrin d’une manière aussi touchante qu’effrayante.

La Folie est disponible en intégralité sur Netflix depuis le 28 novembre 2024 en .

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